Le gouvernement n’en finit plus de muscler sa jambe droite. Portée par Gérald Darmanin, la loi de programmation et d’orientation pour le ministère de l’Intérieur (Lopmi) est en phase d’être adoptée.
Ce texte comporte plusieurs points polémiques. Il prévoit le doublement des places en centre de rétention administrative (CRA) et le durcissement des sanctions pour refus d’obtempérer ou rodéos urbains. Les amendes délictuelles forfaitaires, dont nous documentions les limites et les dérives, seront étendues à 29 nouvelles infractions.
La réforme de la police judiciaire reste, elle aussi, très critiquée par les professionnels. Cette police qui traque la délinquance en col blanc craint de voir ses moyens d’investigation restreints. Évelyne Sire-Marin, magistrate honoraire et membre de la Ligue des droits de l’homme fait le point sur les dangers de ce texte.
Députés et sénateurs ont trouvé un accord sur les contours de la Lopmi, jeudi 1er décembre. Un des points de cette loi concerne les amendes forfaitaires délictuelles. De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de déléguer les pouvoirs du juge à des policiers. Quand un délit est soupçonné, à la place du juge, c’est le policier qui décide de la culpabilité et de la sanction avec l’amende forfaitaire délictuelle. Ce sera donc le cas pour les 29 nouvelles infractions qui donneront lieu à des amendes délictuelles forfaitaires.
Ces amendes peuvent aller de 200 à 500 euros
Ces amendes existent déjà en matière d’usage des stupéfiants et on sait qu’elles représentent des sommes importantes, elles peuvent aller de 200 euros à 500 euros. Si vous avez les moyens de payer tout de suite, elles sont moins chères. Les amendes peuvent s’accumuler et peser sur le budget des familles. Ces dettes risquent également d’avoir un effet pervers et de pousser ceux qui les contractent à aller chercher de l’argent facile pour les éponger.
Il faut avoir à l’esprit que ce sont les pauvres qui sont visés par ces amendes. Pour caricaturer, les habitants du XVIe ne se retrouveraient pas en difficulté pour les payer, pas de la même manière que quelqu’un de plus précaires.
Aussi, parmi les 29 nouvelles infractions, il y a l’entrave à la circulation. Nous craignons que cette mesure soit utilisée pour sanctionner les manifestants.
Vous nous dites que les amendes forfaitaires vont toucher les plus précaires. Dans ce texte, il y a aussi la réforme de la police judiciaire qui traite d’actes de délinquance commis par un public souvent bien plus aisé. Symboliquement, ça interroge ?
On observe en effet un déploiement de moyens qui n’est pas le même que celui réservé à la criminalité organisée.
La police judiciaire, c’est à peine 3% des effectifs de la police nationale. Leur mission est de lutter contre les délits les plus graves, comme la délinquance économique et financière.
Nous craignons que la police judiciaire soient empêchés d’enquêter par manque de moyens
La levée de bouclier des agents de la police judiciaire est justifiée. Cette loi risque de la désorganiser. L’organisation de la PJ se fera désormais au niveau départemental et ces policiers craignent d’être mobilisés sur d’autres dossiers, comme de petits dossiers délinquances.
Les parlementaires ont inscrit le fait que cette réforme ne doit pas avoir de conséquences sur le libre choix du service enquêteur par le magistrat. Mais ce que l’on craint, c’est qu’une fois le service enquêteur désigné ils soient empêchés d’enquêter par manque de moyens.
Cette loi durcit également les sanctions en cas de refus d’obtempérer ?
il y a moins d’un an, la sanction a déjà été doublée et a été portée à 2 ans d’emprisonnement et 15 000 euros d’amendes. Pourtant, les refus d’obtempérer augmentent, ça ne fonctionne pas.
Dans la majorité des cas, les refus d’obtempérer se font par des automobilistes qui roulent sans assurance. En France, environ 800 000 personnes conduisent sans assurance, souvent à cause de difficultés financières.
Il faudrait se pencher sur les causes des refus d’obtempérer, parce qu’il y a des causes économiques. Il est d’ailleurs dommage que les parlementaires ne travaillent pas sur cette question. Pourquoi ne pas envisager un fonds d’aides pour que les automobilistes les plus précaires puissent être assurés ?
Propos recueillis par Héléna Berkaoui