La mort de Nahel, tué par un policier le 27 juin dernier, a provoqué des révoltes urbaines en France. Dans le poste, les flammes ont envahi chaînes d’information en continu et journaux télévisés. Mais par-delà les flammes, peu de réflexions et, par conséquent, de réponses politiques ont émergé.

Pire, alors que la question des violences policières – qui restent le point de départ de cette situation – n’est pas prise en compte, l’exécutif a apporté son plein soutien au mouvement de “grève” des policiers. Ces derniers se sont mobilisés en soutien à leurs collègues mis en cause dans l’agression inouïe qui a défiguré Hedi, un jeune de 22 ans, à Marseille.

Chercheur au CNRS, Julien Talpin travaille sur les quartiers populaires depuis de nombreuses années. Il est notamment l’auteur de “Bâillonner les quartiers. Comment le pouvoir réprime les mobilisations populaires” (Éd. Les Étaques, 2020). Interview. 

Après les révoltes, la politique de la ville a été placée sous la cotutelle du ministère de l’Intérieur et du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Quelles conclusions en tirez-vous ?

Il est encore tôt pour tirer des conclusions, mais symboliquement ça dit des choses. Le fait que la secrétaire d’État à la ville, Sabrina Agresti-Roubache, soit placée sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, indique que l’option répressive – qui semble se dessiner depuis les révoltes urbaines du mois dernier – est confirmée. Les derniers événements liés aux mobilisations des syndicats policiers à Marseille avec le soutien du gouvernement vont dans le même sens.

Plus que jamais, c’est l’option répressive qui semble être choisie

Depuis le début de l’histoire de la politique de la ville, dans les années 80, une oscillation entre trois prismes s’est opérée : le social, un aspect plus centré sur le bâti avec la rénovation urbaine et un côté plus sécuritaire.

Plus que jamais, c’est l’option répressive qui semble être choisie. Tout ceci montre bien la marginalisation de la politique de la ville par les gouvernements successifs d’Emmanuel Macron, depuis six ans. Olivier Klein, le précédent ministre de la Ville, était relativement minoritaire au gouvernement. Et la nomination de la nouvelle secrétaire d’État à la ville vient confirmer cette tendance.

Après la mort de Nahel, les quartiers se sont embrasés. Depuis, le gouvernement paraît, en effet, apporter une réponse exclusivement répressive. Comment observez-vous cela ?

Ce qui frappe surtout, c’est l’absence de réponse. Il ne s’est pas passé grand-chose. Le président de la République a expliqué vouloir prendre le temps de la réflexion. On a été sollicités par le CNRS et par un certain nombre de chercheurs qui travaillent sur les quartiers populaires pour faire remonter les résultats de nos recherches.

On a d’ailleurs été surpris, parce que les résultats de nos travaux sont assez connus et diffusés. Mais bon, pourquoi pas ? Peut-être que le gouvernement prend effectivement son temps pour déterminer les orientations, mais pour l’instant, on ne voit pas grand-chose venir.

L’incrimination des familles, durant les révoltes, dépolitise assez fortement les enjeux

À ce jour, le registre des annonces est assez claire, avec l’incrimination des familles durant les révoltes. On a beaucoup parlé du rôle des parents, des mères célibataires. C’est une façon de dépolitiser assez fortement les enjeux. Comme si les révoltes ne découleraient que d’un manque de contrôle social de la part des familles… Une interprétation pour le moins réductrice.

Depuis son discours à Nouméa, le Président s’évertue à insister sur l’ordre. Le chef de l’État réaffirme constamment son soutien aux syndicats de policiers de manière presque irrationnelle, au point qu’on a le sentiment qu’il a du mal à les tenir. Donc c’est principalement cette direction-là qui a été prise à ce jour. Mais attendons, puisqu’on est encore que dans l’ordre du déclaratif.

Plus globalement, quel regard portez-vous sur le rapport du président de la République aux quartiers populaires ?

Une évolution assez rapide s’est produite entre le candidat Macron de 2017 et le Président actuel. Au moment de l’élection de 2017, il tenait plutôt un discours d’ouverture envers les quartiers. Notamment sur la question de la diversité, de l’histoire coloniale. Il avait fait un certain nombre de déclarations assez détonantes et avait d’ailleurs été critiqué pour cela. Ce positionnement initial s’était traduit par un bon score dans les quartiers en 2017. Dès le premier tour, une partie des habitants a voté pour lui.

Mais rapidement, les gens ont compris son projet. Une série d’épisodes ont indiqué un basculement de l’orientation politique d’Emmanuel Macron. D’abord, le plan Borloo a été abandonné dès 2018, puis le mouvement des Gilets jaunes a confirmé cette tendance de se détourner de la politique de la ville et des quartiers.

La théorie selon laquelle, les quartiers populaires seraient privilégiés par rapport à d’autres territoires de la République va accompagner ce désintérêt. Ce postulat ne va pas cesser de revenir, sans qu’il soit démenti par le gouvernement, quand bien même, il est faux, et les recherches le montrent. Il faudrait donc davantage de moyens pour les territoires ruraux. Alors qu’il est tout à fait possible de faire les deux : soutenir à la fois les banlieues et les territoires ruraux.

La loi séparatisme va être vécue comme une loi d’exception en direction des quartiers

Lors des enquêtes et des entretiens que je peux faire avec les habitants des quartiers, la séquence sur le séparatisme est très souvent évoquée. Il s’agit d’un fait marquant de ce tournant très sécuritaire avec la dissolution du CCIF, après l’assassinat de Samuel Paty. Avec des justifications qui sont pour le moins discutables.

Ensuite, la loi séparatisme va être vécue comme une loi d’exception en direction des quartiers. Tous ces éléments-là, mis bout à bout, ont créé une grande déception de ces habitants à l’égard du premier quinquennat d’Emmanuel Macron.

La mort de Nahel, les révoltes et la réponse gouvernementale à celles-ci viennent confirmer cette fracture entre Emmanuel Macron et les quartiers populaires

Et cela va se traduire d’un point de vue électoral puisqu’il fait de nettement moins bons scores dans les banlieues en 2022 qu’en 2017. On a des chiffres qui le montrent. J’ai fait une enquête assez précise sur Roubaix. Un report de voix qui peut paraître assez surprenant a eu lieu. Près de trois quart des gens qui avaient voté pour Emmanuel Macron au 1ᵉʳ tour de 2017, ont voté Jean-Luc Mélenchon au 1ᵉʳ tour de 2022. La mort de Nahel, les révoltes et la réponse gouvernementale à celles-ci viennent confirmer cette fracture entre Emmanuel Macron et les quartiers populaires.

Propos recueillis par Hervé Hinopay

Crédits photos : Marie-Mène Mekaoui

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