L’intitulé du rapport remis par Jean-Louis Borloo annonce la couleur : « Vivre ensemble, vivre en grand la république, pour une réconciliation nationale ». La phrase qui suit donne le ton : « L’heure n’est plus aux rapports d’experts, l’heure est à l’action ». Pas question pour l’ancien ministre de la Ville, missionné en novembre 2017 par Emmanuel Macron pour faire des propositions pour les banlieues, d’apparaître comme l’énième accoucheur d’un texte mou et sans ambitions. Le constat dressé par Jean-Louis Borloo est d’ailleurs sans appel et les mots rappellent tant ceux que nous utilisons pour parler de cet immense gâchis : « jeunesse sacrifiée« , « relégation« , « scandale », « abandon ». Nous aurions pu en rajouter d’autres.

Son effort de pédagogie et de déconstruction des idées reçues est à saluer : « Trop d’argent aurait été déversé pour les quartiers ? Faux, écrit-il. Dans les quartiers politique de la ville, les communes ont plus de besoins mais moins de ressources : elles disposent de 30% de capacité financière en moins, bien que leur taux d’imposition soit deux fois plus élevé et que leurs besoins soient de 30% supérieurs ». Et l’ancien maire de Valenciennes de faire une liste à la Prévert de tous ces clichés rabâchés à longueur d’éditos et de commentaires sur les plateaux télés qui consistent à affirmer que les banlieues reçoivent toujours plus. Entendez, plus que les territoires ruraux, puisqu’il est si utile pour certains pyromanes d’opposer les uns aux autres.

Que dit le contenu annoncé comme explosif et d’une envergure jamais vue ?

Il est à vrai dire assez inégal. Quelques propositions sont inédites, certaines touchent du doigt des revendications de longue date des acteurs de terrain. Leur patte dans ce texte est indéniable et depuis le temps qu’ils crient sans être entendus, ils sont ici servis. D’autres apparaissent comme des idées marketing, gadgets évitant l’essentiel ou pêchent par imprécision. Toutes sont proposées dans le cadre d’un plan de bataille global dessiné autour de 19 programmes. Voici le décryptage du Bondy Blog.

Petite enfance. Jean-Louis Borloo plaide pour investir massivement dans la petite enfance. Il propose d’augmenter sensiblement les places en crèches dans les quartiers, 30 000 en plus à horizon 2022, ce qui permettrait de couvrir un tiers des besoins, souligne-t-il. Pour cela, il propose de réduire le reste à charge des communes qui n’arrivent plus à suivre financièrement et de doubler le fonds dédié à la petite enfance de la Caisse Nationale d’Allocations Familiales de 400 à 800 millions d’euros. Jean-Louis Borloo propose également un programme d’accompagnement social et éducatif à destination des enfants en difficulté identifiés par les services sociaux. Copiloté par les départements et le ministère de l’Education nationale, il serait financé, là aussi, par la CNAF dès la rentrée 2019 à hauteur de 15 millions d’euros. Rien n’est dit en revanche sur comment sera abondé la CNAF pour le financement de ces mesures.

« Les cités éducatives« . L’une des propositions phares de Jean-Louis Borloo réside dans la création de cités éducatives qui regrouperaient écoles et collèges dans un même lieu dans une approche globale avec « une autonomie de pédagogie et de gestion renforcée » ; une approche inédite même si la proposition manque d’explications. Reste que la question de l’autonomie financière d’établissements, telle que proposée, se pose alors même que ces derniers sont déjà en proie à des difficultés de sous dotations budgétaires et de sous-investissements chroniques.

Autres propositions : la gratuité de la cantine dans les écoles et collèges REP et REP+ et la création d’un pôle médico-social géré par le département au niveau de chaque collège tête de réseau. Là aussi, demeure la question du financement de cette compétence par les conseils départementaux. Jean-Louis Borloo plaide également pour la création d’une Académie des leaders : une sorte d’ENA qui sélectionnera sur concours des jeunes habitants des quartiers qui rejoindront ensuite la haute fonction publique. L’intérêt de cette école est fortement discutable tant la proposition valide une nouvelle fois l’idée que les quartiers doivent avoir des politiques publiques d’exception, légitimant de fait un fonctionnement à deux vitesses entre d’un côté l’ENA pour les mieux lotis, de l’autre, une école pour les gens des quartiers. Ne vaudrait-il pas plutôt démocratiser encore plus l’accès aux grande écoles comme l’ENA et diversifier ses enseignements et son fonctionnement ?

Enfin, Jean-Louis Borloo propose de créer un fonds d’investissement éducatif dans les quartiers pour la réhabilitation et la construction des 300 écoles et 100 collèges les plus dégradés. L’ancien ministre de la Ville dit plaider pour des écoles à « innovation pédagogique » sans expliquer de quoi il en ressort. En revanche, rien n’est dit sur les moyens humains que ne cessent de réclamer les enseignants et autres professionnels de l’éducation des quartiers prioritaires, notamment en termes de dotations horaires globales dans les collèges et les lycées et de postes administratifs et techniques largement insuffisants selon eux.

Emploi et formation. Jean-Louis Borloo mise pour une grande partie de son programme sur les formations en alternance et en apprentissage prenant comme modèle l’Allemagne qui, dixit l’ancien ministre, « n’a quasiment pas de chômage des jeunes« , ignorant pourtant la montée documentée de la précarité outre-Rhin. Une des propositions : lancer un plan de formation et d’emploi dans les services à la personne dans les quartiers permettant le recrutement de 100 000 personnes sur trois ans. Une des autres mesures : « contraindre les entreprises à 1,5% d’apprentis issus des quartiers dans les deux ans, à défaut, le Parlement sera saisi pour décider de légiférer de manière contraignante« . Le secteur public est également sollicité : 50 000 apprentis devront être recrutés en trois ans dans les quartiers. En revanche, aucun aspect contraignant s’agissant des emplois nets dans les entreprises notamment pour les diplômés issus des quartiers alors même qu’un certain nombre envisage de partir ou ont déjà quitté la France. Jean-Louis Borloo appelle également à l’engagement d’autres réseaux dans la lutte pour l’emploi dans les quartiers : ministère des Armées, cabinets de recrutement, entreprises et associations spécialisées dans l’insertion sociale et la formation… L’ancien ministre de la Ville souhaite également amplifier et élargir le système des clauses sociales à d’autres grands donneurs d’ordre afin de contraindre à l’embauche de personnes issues des quartiers. Enfin, s’agissant de l’initiative économique, l’ancien ministre appelle à la création d’un fonds de soutien de 60 millions d’euros par an au profit des entrepreneurs des quartiers avec l’Agence France entrepreneurs et la Banque Publique d’Investissement. Pourtant, l’Agence France Entrepreneurs avait été créée exactement dans ce but en avril 2016. En revanche, rien s’agissant des banques qui souvent, comme le racontent régulièrement les témoignages de créateurs d’entreprises dans les quartiers, ne jouent pas le jeu refusant des prêts bancaires en raison de l’adresse des porteurs de projets.

Urbanisme. Comment ne pas donner raison à Jean-Louis Borloo sur le constat ? L’Agence nationale de rénovation urbaine est à l’arrêt depuis plus de quatre ans alors que les projets sont identifiés. Pour sortir de l’engluement technocratique, le missionné propose la mise en place d’une fondation regroupant collectivités territoriales, financeurs, partenaires sociaux et bailleurs, avec comme manne financière pérenne les fonds et actifs d’Action Logement. Avantage selon Jean-Louis Borloo : « De par son statut de fondation, elle n’entrera pas dans les critères de Maastricht et ne sera pas soumise à l’annualité budgétaire« . Il estime l’impact sur l’emploi « à plus de 100 000 emplois par an« . Autre axe de travail essentiel sur l’habitat dans les quartiers : la lutte contre les copropriétés insalubres, en expropriant et en rachetant 3 000 à 5000 logements par an pendant cinq ans via la Caisse des Dépôts.

Une bonne chose s’agissant des associations, au nombre de 100 000 dans les quartiers : Jean-Louis Borloo appelle à la suppression pure et simple de la mécanique du financement des associations par les appels à projets et plaide pour un financement pérenne sur la base de leurs actions. Cette proposition, qui paraît simple sur le papier, est une revendication de longue date des acteurs de terrain qui passent une bonne partie de leur temps à remplir des dossiers d’appels à projets, souvent sans les moyens administratifs adéquats, au lieu de le consacrer à leur cœur de métier. Rappelons tout de même que cette logique d’appel à projets en politique de la ville a commencé avec l’Agence Nationale de Rénovation Urbaine dont Jean-Louis Borloo est à l’origine….

Cour d’équité territoriale. L’ancien ministre de la Ville propose la mise en place d’une juridiction inédite : elle sera chargée de vérifier si les moyens de rééquilibrage à destination des quartiers ont réellement été mis en place. Elle va même plus loin puisqu’elle permettra de condamner « tout gestionnaire public ayant failli à l’obligation de moyens qui s’impose à lui pour contribuer à l’équité territoriale« . De plus, la Cour adoptera tous les ans un rapport sur l’égalité des territoires sur la base des textes ministériels annuels obligatoirement transmis au Commissariat général à l’égalité des territoires (CGET) et des condamnations prononcées. Cette proposition est une révolution à la fois juridique et administrative et renverse la logique qui consiste à voir dans les habitants de simples récipiendaires sans possibilité d’action pour faire respecter l’égalité réelle.

S’agissant de la sécurité, Jean-Louis Borloo propose la création d’un « fonds exceptionnel de sécurité de 100 millions d’euros affecté aux 60 villes les plus en difficultés », sans en dire plus sur la provenance du financement. Il suggère également le renforcement du déploiement de la vidéoprotection pourtant déjà largement à l’œuvre et sans efficacité prouvée sur la baisse de la délinquance. Il propose également « la création d’une fonction de Médiateur de la police nationale, avec des délégués locaux, pour prévenir, filtrer et déminer en amont les petits conflits » et le déploiement de 500 « correspondants de nuit » en lien avec la police municipale. En revanche, aucune mention concernant les rapports police-population, ni les tensions que génèrent les contrôles d’identité.

Et maintenant ?

La question est désormais de savoir ce que le président de la République va retenir de ce document de cent soixante pages. Si c’est Emmanuel Macron qui, lui-même, a missionné Jean-Louis Borloo, l’accueil jusqu’à présent fait à ce travail ne laisse pas présager une grande ambition pour la suite : un rapport présenté en catastrophe à Matignon alors qu’il était attendu à l’Elysée, aucune prise de parole du Premier ministre et un discours du chef de l’État sur la politique de la ville qui n’aura pas lieu avant la mi-mai. En novembre 2017, à Tourcoing, Emmanuel Macron proposait « un changement total de méthode sur les banlieues » avec « une mobilisation nationale » et du « concret ». Rendez-vous est pris dans quelques jours.

La rédaction du Bondy Blog

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