Devant la Maison du Peuple Guy Môquet située à la Courneuve, Thomas Porcher est entouré par une foule dense. La discussion est animée. Et l’événement n’est même pas encore commencé… L’ambiance était bien à l’échange et au débat ce mardi 3 mars, à l’occasion de la soirée de lancement du nouveau livre de l’économiste, Les Délaissés.

Devenu une figure de la gauche intellectuelle, l’enfant de La Courneuve est ce soir-là l’invité d’un numéro exceptionnel du LC Mag, une émission de web TV fabriquée et présentée par des jeunes Courneuviens. Le choix de présenter son ouvrage ici est loin d’être anodin pour l’économiste, qui l’explique à Khodia, la jeune présentatrice de l’émission. Il aurait très bien pu choisir une bibliothèque parisienne pour lancer son bouquin, comme il l’explique, mais il est attaché à ce territoire, dont il remercie à cette occasion les élus, les enseignants et les jeunes.

Rendu célèbre par le succès de son livre précédent, Traité d’économie hérétique, Porcher présente un nouvel ouvrage dont le nom peut déjà susciter la réflexion. Eh oui ! C’est qui, les délaissés ? « Ils représentent la majorité de la population, explique l’auteur. Il y a différents niveaux. Vous avez les gilets jaunes qui sont les habitants des territoires, des cadres de catégorie C, fonctionnaires, employés, ouvriers… » Pour beaucoup, ces délaissés sont les victimes collatérales de la désindustrialisation, souligne-t-il aussi.

Les délaissés, ce bloc majoritaire mais divisé

Sur scène, devant le public, Khodia se lance dans une série de questions portant sur le fond du livre. Après le succès de son Traité d’économie hérétique, elle lui demande pourquoi Les Délaissés paraît beaucoup plus personnel. « Ce n’est pas vraiment personnel mais plus politique », nuance-t-il.  L’économiste estime qu’il faut dépasser la question du débat des gauches tronqué pour prendre le pouvoir. Sous-titre : « Comment unifier ce bloc majoritaire, qui est celui des délaissés, pour qu’ils puissent proposer un projet économique commun, malgré leurs différences géographiques, culturelles et sociales ? »

Au cours de l’entretien, de nombreux sujets sont débattus, mais certaines thématiques émergent, comme l’engagement citoyen, la convergence des luttes, la répartition des richesses ou la disparition du service public. « La croissance a plus profité à 1% de personnes qu’au reste de la population, souligne-t-il. Ces 1% ont reçu 4 milliards, alors qu’on  a retiré 1,2 milliards à l’hôpital qui rend service à tout le monde. On fait aussi des économies sur l’éducation. »

La salle Guy-Môquet était pleine pour accueillir l’économiste / (C) Hervé Hinopay

Après la discussion, Thomas Porcher est invité à répondre à quelques questions du public. Yoan, un jeune homme, intervient avec passion : « Allez-vous aller au bout de votre raisonnement ?, provoque-t-il. J’ai l’impression que votre livre arrive en retard. Il faut que des intellectuels français s’engagent sur un scénario de sortie de l’euro, qu’ils en prévoient les conséquences concrètes. »

Dans l’assistance, Léa est particulièrement attentive. « Je le connaissais déjà, et j’avais aussi lu ce qu’il a écrit auparavant. Je trouve que ce qu’il raconte, c’est une pensée qu’on n’a pas forcément et dont on a besoin. Il explique très bien que si on n’est pas capable à gauche de s’unir et de former un bloc, on ne sera pas en mesure de lutter contre la machine qu’on a en face, c’est-à-dire la quête du libéralisme. » La jeune femme est conquise : « Il redonne un vrai sens à la lutte des classes. Ce qui est assez intéressant, c’est de partir de l’économie et de faire appel à l’intelligence des gens. Leur faire comprendre qu’ils peuvent reprendre le contrôle. »

Un appel à la mobilisation citoyenne

Une cheffe d’entreprise, gilet jaune, prend la parole à son tour. Elle déclare adhérer complètement aux idées défendues par Thomas Porcher dans le livre mais s’interroge : « Aujourd’hui, on manifeste ? Pour les municipales, je vote encore pour un candidat qui fait partie du système ? Et si on ne vote pas ? » Désemparée, elle considère qu’il n’y a pas d’issue. L’économiste lui rappelle malgré tout l’importance du vote. Un jeune homme prend la parole et embraye : « Il est primordial de s’emparer du droit de vote, de l’utiliser. La question du choix est indispensable. Le choix de voter ou pas. » 

En filigrane, on entrevoit la présidentielle de 2022, et la perspective de voir les idées soulevées ce soir échouer à nouveau. Que faire de l’avenir ? Le dernier intervenant se veut optimiste : « La jeune génération se lève et se révolte contre un système en place depuis très longtemps. » Lorsqu’on le questionne, en marge de la conférence, à ce sujet, Thomas Porcher encourage aussi ce réveil citoyen. « Chacun doit s’engager à son niveau, répond-il. Lorsque les citoyens se mobilisent, ils peuvent changer les choses. Regardez les gilets jaunes… »

Celui qui a co-fondé fin 2018 le mouvement « Place Publique » appelle à une « convergence » entre ces derniers et les « habitants des quartiers populaires, les cadres moyens, les agriculteurs » et cite « le comité Adama, Extinction Rébellion »… « Demain, si on veut renverser le système et avoir une économie plus sociale, écologique et solidaire, il faut s’attaquer à la question économique, précise-t-il au BB. Dans mon livre, je propose un programme économique commun pour avoir un avenir meilleur. » 2022 n’est finalement pas si loin…

Hervé HINOPAY

  • Les Délaissés, Thomas Porcher, éd. Fayard, février 2020, 234 pages, 18,00€

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