Un possible futur président de la République menotté et hagard. Un avocat de stars, impuissant face à une juge intransigeante et un procureur sans pitié. Une femme de chambre qui parle. Et enfin, des journalistes à l’affût du scoop. « L’affaire DSK » a tout d’un polar. Elle commence samedi après-midi lorsque le directeur général du Fonds monétaire international (FMI) est arrêté à bord d’un avion d’Air France en partance pour Paris à dix minutes du décollage. Direction le commissariat de Midtown Precinct South, sur la 35e Rue. Il pleut. Il vente. La lumière orangée des lampadaires donne au bâtiment sans vie un caractère fantomatique. A l’intérieur, derrière un bureau, fourmillent des « cops » armés. « Je ne peux rien vous dire, déclare gentiment une policière blonde dans l’uniforme bleu de la NYPD. Je ne sais pas s’il est encore là ou pas. » Il est déjà 23 heures.

En réalité, Dominique Strauss-Kahn est parti depuis longtemps. Depuis quelques heures, il est au bureau de la « Special Victims Unit » (SVU), à Harlem, une division de police new-yorkaise spécialisée notamment dans les affaires de viol. Le cas DSK est sérieux. Déjà, à la sortie du parking, des journalistes qui ont eu vent de sa présence font le guet dans l’espoir d’apercevoir celui qui, il y a quelques heures encore, était au firmament de la finance mondiale et probable champion des socialistes français pour la présidentielle de 2012.

Dimanche : Harlem, « game over »

Il est 7 heures du matin dimanche, et devant le bâtiment de briques rouges, massif, de la SVU, les photographes et les cameramen ont sorti les anoraks et les parapluies pour se protéger de la pluie battante. Dehors, il y a les vétérans du « stake out », une pratique qui consiste à attendre (parfois pendant des heures) le sujet d’une actu à la sortie du bâtiment où il se trouve. Et ils râlent : « Je pourrais être en train de bruncher tranquille. Il n’aurait pas pu attendre lundi pour faire ça », se plaint le photographe du tabloïd The New York Post.

Le poste de police se trouve sur la 124e Rue, dans une section industrielle d’Harlem-Est. Les badauds s’étonnent de la présence de la presse sur ce « bloc » où aucune célébrité ne s’aventure. « Qui est le poisson ? » s’écrie une passante, depuis sa voiture. « Lindsay Lohan (une jeune actrice et chanteuse, plutôt canon, ndlr) », lui répond un photographe. Un groupe de Français est là aussi : « La campagne de DSK s’arrête à Harlem en ce dimanche pluvieux », commente Avner, de passage à New York.

Les hypothèses sur ce qu’il se passe derrière les murs de la SVU fusent. Un photographe avance pour plaisanter que DSK sert des croissants aux policiers. Le « perp walk » (« perpetrator walk » ou « marche du criminel »), la pratique décriée mais courante aux Etats-Unis qui vise à faire défiler le détenu devant les objectifs, devait avoir lieu à 13 heures. Mais le temps passe, et on se rend à l’évidence : l’attente sera longue. Et ce, malgré les promesses d’un employé du commissariat qui apparaît de temps à autre devant les journalistes pour leur dire que DSK sortira « bientôt ».

A 16 heures, quand on n’y croyait plus, le même employé réapparaît pour dire que la victime présumée, une femme de chambre de 32 ans, arriverait en van au poste pour identifier son agresseur. Interdiction formelle de la filmer ou de la prendre en photo, « sinon on ne fera pas marcher » DSK, prévient-il. On range les caméras. Le van passe quelques minutes plus tard. Le visage de la victime est invisible. Elle repartira cachée sous une couverture moins d’une heure plus tard. L’information tombe dans les BlackBerry et autres smart-phones des journalistes : elle a formellement identifié DSK parmi cinq autres personnes.

Il est 22 heure et l’attente paraît interminable. On commence à se demander s’il apparaîtra, s’il est encore dans le bâtiment. Un journaliste dit que sa rédaction lui a indiqué qu’il serait déjà à « central booking », un centre de détention dans le sud de Manhattan. Puis, un officier de police surgit : « C’est pour bientôt. » Le mot magique.

Dans la foulée, une voiture grise se gare juste devant l’entrée du parking du commissariat. Un homme, vraisemblablement un officier de police, ouvre la portière arrière. La presse frétille : le « perp walk » tant attendu approche. Mieux, l’officier rapproche la voiture des journalistes. Ces derniers applaudissent : « Tu seras l’employé du mois », lui lance l’un d’eux.

Il avait les traits tirés, le visage renfermé : DSK apparaît menotté, escorté par deux policiers, leur insigne sur la veste. Image dramatique qui laisse un sentiment de malaise. La voiture s’enfonce dans la nuit, vers un lieu tenu secret. La presse est contente : elle a eu sa « marche de la honte » qui sera en une demain.

Lundi : la juge intraitable

La salle d’audience de la cour criminelle de Manhattan, dans laquelle DSK comparaît pour savoir s’il bénéficiera d’une caution, est grande, rideaux bordeaux, longs bancs en bois. La juge, Melissa Jackson est assise derrière un pupitre sur une estrade, un drapeau américain sur sa droite et celui de New York sur sa gauche, au-dessous de la devise « In God We Trust ». Derrière une palissade qui sépare le public du personnel judiciaire s’affairent des policiers, des greffiers et des avocats.

Le défilé des cassés de la société américaine commence. Un homme aux cheveux longs comparaît pour consommation et trafic de drogue. Un autre, pour consommation d’alcool dans la rue (interdit aux Etats-Unis). Un autre est accusé d’avoir jeté des bouteilles sur autrui. Difficile d’imaginer un DSK là-dedans. Et pourtant, il finit par apparaître, sans menottes cette fois-ci. Il prend position sur le banc des accusés et croise, au passage, une femme menottée. Les photographes et les cameramen, que la juge a fait entrer quelques minutes plus tôt à la grande surprise de certains journalistes français, ont pris place en face de lui. Des journalistes qui attendaient à l’extérieur ont eux aussi été autorisés à entrer. DSK, lui, subit un scan oculaire pour vérifier son identité. Il est le dossier 1225782. Ses traits sont tirés, il est mal rasé. « Je suis venu voir le roi de France se faire juger comme un homme du peuple », lance un avocat assistant à l’audience.

Face au juge, l’assistant du procureur explique que compte-tenu du réseau et des moyens financiers du prévenu, DSK a le profil parfait du fugitif. A côté de ce dernier, l’avocat des stars (Michael Jackson entre autres), l’élégant Benjamin Brafman argue notamment qu’il serait impossible pour DSK de fuir le pays en raison de la couverture médiatique qu’il a générée ses dernières 72 heures. On guette dans le regard de la juge une quelconque réaction, mais elle regarde Brafman sans broncher. Ça sent le roussi. Puis, le couperet tombe : DSK retourne en détention préventive. En quelques secondes, il est embarqué par la police. La salle se vide.

« Elle a eu des couilles », commente un homme dans le couloir, en parlant de la juge. Strauss-Kahn, lui, est déjà en route pour le centre pénitentiaire de Rikers Island, « le rocher » de New York, avec pour seule ouverture sur le monde, un poste de radio.

Alexis Buisson (New York)

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