Jusqu’au 19 février, les élections régionales n’intéressaient pas grand-monde. Il aura suffi que deux élus UMP du Val-d’Oise révèlent, ce jour-là, le passé judiciaire supposé d’Ali Soumaré, candidat dans le 95 sous les couleurs du PS, pour que ça s’agite à OK Corral. Selon les maires de Franconville et Saint-Leu-la-Forêt, Francis Delattre et Sébastien Meurant, la tête de liste socialiste pour les régionales dans le Val-d’Oise serait un multirécidiviste et un ancien caïd de Villiers-le-Bel.

Un passé « trouble » déjà mis en avant par ses propres partisans : « Nous avions fait une primaire pour choisir celui qui allait nous représenter dans le 95, et pour faire barrage à la candidature de Ali, certains de nos militants ont divulgué des informations sur son soi-disant pedigree judiciaire », raconte Ludovic, militant du Parti socialiste et résident de Villiers-le-Bel depuis une vingtaine d’années.

Réalité ou fiction ? Ces accusations sont-elles fondées ? Ali Soumaré fait la une de la presse depuis quelques jours. En novembre 2007 déjà, ce jeune homme de 29 ans avait déjà attiré l’attention sur lui en devenant le porte-parole des familles des deux adolescents Larhamy et Moushin, tués dans une collision avec une voiture de police, un drame qui avait déclenché des émeutes dans la ville.

Avant cela, Ali était un simple militant de la section PS de Villiers-le-Bel. Issu d’une famille nombreuse, il a habité pendant plusieurs années avec ses parents dans la cité « des bâtiments gris », un ensemble de tours typiques des banlieues. Son ascension médiatique et politique ne l’éloigne pas des siens : avec son épouse, il réside toujours dans la commune, dans un quartier mitoyen de celui de ses parents.

« J’ai effectué une partie de ma scolarité avec Ali, raconte Mohamed, 28 ans, agent d’escale à Air France et ancien Beauvillésois. C’est n’importe quoi, Ali n’a jamais été un caïd ou un voyou, il a toujours été un mec calme et sérieux. Il a peut-être fait une connerie à 20 ans, mais basta. Ali est synonyme de politique mais pas de délinquant. » Ali l’homme politique ! C’est l’image que disent avoir de lui la plupart des Beauvillésois rencontrés : « Quand je vois Ali, je pense Parti socialiste, je l’ai toujours vu avec un tract dans la main ou en train de convaincre les passants à voter pour le parti à la rose, et ce depuis des dizaines d’années », affirme Aboubacar, résident dans le même quartier que celui du candidat de gauche.

Un engagement politique qu’Ali Soumaré a embrassé très tôt. Après une scolarité courte, il intègre un poste d’animateur jeunesse au sein de la mairie de Villiers-le-Bel. De l’action sociale, il passe rapidement à l’action politique, en intégrant la section locale du Parti socialiste comme militant de base. Il sera dès lors un soldat zélé de la gauche : distribution de tracts, porte-à-porte, collage d’affiches, etc.

Alors que beaucoup de jeunes issus de son quartier sont déçus par la gauche, lui est convaincu que le Parti socialiste a réponse à tout. Un militantisme qui n’est pas bien vu par tout le monde : « Lors du drame de Villiers-le-Bel et les émeutes qui ont suivi, il y a eu une cassure entre la municipalité de gauche et les jeunes, explique Charlie, garagiste et habitant de Villiers-le-Bel. C’est Soumaré qui a tenté de réconcilier les deux bords (jeunes et PS, ndlr). »

Ali le pacificateur, en somme. Cette posture cache des arrière-pensées politiques, estiment certains. « Quand il a pris la parole lors de la première marche pour soutenir les familles de Larhamy et Moushin, certains l’ont sifflé, car ils ont vu derrière cela une récupération politique », raconte le garagiste.

Plus récemment, lors de l’émission de Harry Roselmack, son apparition dans le reportage ne lui a pas valu que des sympathies. « Il faut arrêter de nous montrer comme des animaux, quand le mec de TF1 est venu filmer, on avait l’impression qu’il venait voir des animaux en cage. Voir Ali dans un reportage qui se limite à deux quartiers chauds, sans montrer le reste, c’est critiquable », lance Farid, la quarantaine, ingénieur en informatique et habitant dans la zone pavillonnaire de Villiers-le-Bel.

Les Beauvillésois que j’ai interrogés mardi sur la « polémique Soumaré » s’accordent à lui reconnaître une « sincérité » dans l’engagement politique. « Il est militant depuis une dizaine d’années, je crois. Il a gravi les échelons pas à pas, il ne doit sa place qu’à lui-même. Et comme il est dans les petits papiers de Strauss Khan (président du FMI, ancien maire de Sarcelles, la ville voisine, ndlr) et de Pupponi (le successeur de DSK à la mairie de Sarcelles), je le vois bien ministre ou secrétaire d’Etat en 2012 », prédit René, retraité et sympathisant du Parti socialiste.

D’autres, avant de le voir occuper un poste ministériel, l’imagine bien maire de Villiers-le-Bel. « Monsieur Soumaré, c’est un vrai animal politique, le réduire à un jeune issu des quartiers c’est faire fausse route. Il a toujours refusé d’intégrer le conseil municipal, malgré les appels du pied de Didier Vaillant, le maire de gauche. Il n’est pas con, il ne veut pas se mouiller. Et lui, il vise le poste de premier magistrat de la ville », analyse Jawad, employé de banque, Beauvillésois depuis trente ans.

On prédit donc à cet « animal politique » une ascension fulgurante qui « ne sera pas stoppée » par les accusations dont il fait l’objet. « Ali, il passe tous les jours acheter la presse, c’est vrai que je ne le vois plus depuis deux jours. C’est un mec sérieux et propre sur lui. Alors, ces supposées conneries, j’y crois pas une seconde. Bon peut-être qu’il a fait une bêtise quand il avait 20 ans, mais quand tu sors de la ZAC, c’est obligé que tu aies une petite ligne sur ton casier », affirme José, propriétaire du kiosque à journaux situé en face de la gare de Villiers-le-Bel.

Le kiosque à journaux, il n’y a pas meilleur café du commerce depuis l’interdiction de fumer dans les bars-restaus. « Les politiques, ce sont tous des voyous : Balkany, Huchon, Pasqua, Chirac et maintenant Soumaré », lance un client du kiosque. « Et en plus, Soumaré, c’est un simple voleur de poules par rapport aux bandits de grand chemin que sont les Huchon et les Chirac », ironise le même. « C’est un homme politique, et en vrai homme politique, il a une petite casserole. Ce n’est pas grave, d’ailleurs je vote à gauche et cela ne va pas changer », dit Ali, un autre client.

Qu’en dit le premier concerné ? Comme tout bon homme politique, il soigne sa communication. Pour le moment, il n’a accordé d’interview qu’à un quotidien national (Le Parisien). Ali Soumaré, en effet, a très vite appris le métier de politique.

Chaker Nouri

Chaker Nouri

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