LE TOUR DE FRANCE DES VILLAGES. EPISODE 6. Le Gast dans le Calvados, s’est, comme de nombreux villages, vidé peu à peu de sa substance. Les jeunes ont suivi le travail, en ville, et les agriculteurs attendent la fin et résistent à leur manière.

Déjà, il y a du soleil. « C’est rare, vous avez de la chance ». Et puis, il y a du vert, à l’infini. Il y a des champs et des champs. Des forets. C’est nulle part dans le Calvados, à l’ouest de la France. « On est loin de la ville, loin de tout ». Le Gast est un village de 242 habitants, à peu près. « Mais les maisons ne sont pas les unes collées aux autres, il y a de l’espace ». Au centre, il y a l’église, la mairie et la salle municipale.

Ce jour là, dans la salle refaite, des retraités du village préparent le repas annuel de l’association des anciens. La journée, quand ils ne mettent pas la table, ils jouent, ensemble, à la belote. Ils discutent, ils se racontent leur routine, ils attendent que le temps passe. « Certains sont seuls, alors ça leur fait du bien ces moments tous ensemble », prévient la présidente de l’association.

photo 3photo 3Son mari n’est pas loin. Il a été maire du village pendant treize ans, avant de laisser sa place aux dernières élections. Pour lui, être maire d’un village ne « relève pas de la politique, mais de l’humain ». Il dit : « C’est différent des grandes villes ». Sinon, il était agriculteur avant de prendre sa retraite, exténué. Il parle de son ancien métier, un peu démoralisé. « On était nombreux avant, mais il ne reste plus que quatre agriculteurs au village maintenant ».

C’est un village qui s’est vidé, peu à peu, au fil de temps. Des employeurs qui ont déserté, donc des habitants qui ont du le quitter. Le Gast est connu pour son granit, adoré. Une pierre grisâtre, dure, taillée dans la roche. « Le parvis du centre Pompidou, à Paris, est en granit du Gast » dit fièrement le maire actuel, Yves Rondel. Sauf que même les tailleurs de pierre et spécialistes du granit, eux aussi, ont déserté les lieux. Comme les agriculteurs. Comme tout le monde qui est parti ailleurs.

Ils étaient 700 dans les années 30. « Mais quand il n’y a plus d’activité, il n’y a plus de travail, donc il n’y a plus personne », résume facilement le maire qui dit que « la ruralité est en danger ». Certaines maisons sont vides depuis plusieurs années, sans trouver de repreneur, à l’abandon. Les jeunes s’en vont vers Vire, la ville de 13 000 habitants à une vingtaine de kilomètres. Ou à Paris. Il reste Jean Luc, sa femme et sa fille, Chloé. Une maison, collée à leur ferme que ses parents exploitaient depuis les années 70. Alors, après eux, il l’a repris. C’est le cycle normal, même s’il ne la léguera pas à sa fille parce qu’il sait que « c’est trop dur ». D’ailleurs, elle veut être gendarme à cheval.

photo 5Jean Luc, avec sa femme, traient les vaches, le matin et le soir. Ils récupèrent le lait. Ils se battent contre les démarches administratives et se débrouillent comme ils peuvent. Chaque mois, ils gagnent « un smic pour deux ». C’est tout. Le maire ne compte plus ceux qui touchent plus que le RSA, ici. Le salaire moyen est de 1000 euros et cette commune du Calvados est classée 704ème sur 706, en terme de revenus. Il dit : « J’entends les silences ». De ceux qui souffrent sans rien dire, de ceux qui vivent sans rien demander, jusqu’au moment où ils n’en pourront plus.

Un autre pavillon, un peu surélevé. Bernard est là, depuis des années, avec sa femme. Elle n’entend plus grand chose. Lui, il est en forme à 82 ans. Il parle. Il marche dans la foret. Il se promène en voiture. Il a travaillé 43 ans dans le granit à extraire la pierre. Depuis, il a la silicose à force d’avoir inhaler n’importe quoi. Il n’est pas le seul. D’autres sont morts carrément. Il touche la retraite, à peu près le smic. Il dit : « Il faut faire avec ce qu’on a ». Même si on a pas grand chose, il faut faire.

A midi, le maison du maire est couvert d’un peu de soleil qui se faufile entre les arbres. Une belle maison, anciennement un presbytère. Ses deux enfants sont partis, l’un à Paris et l’autre pas très loin. Il vit avec sa femme, sage-femme. Cette nuit, elle était de garde, il n’y a eu aucun accouchement. Elle a la voix qui déraille, un peu de fatigue et un peu de froid. Tous les deux ont vécu aux Comores quand il était encore professeur dans l’Education Nationale. Ils ont voyagé un peu partout. Ils aiment le théâtre et Georges Brassens.

Ils disent, ensemble : « Les médias sont très parisiens. Ils oublient les villages et la vie à la campagne, c’est dommage ». Leur fils essaye de se débrouiller comme jeune journaliste à Paris, après avoir fait Sciences Po. Ils disent : « Il se rend compte, quand ils proposent des sujets aux rédactions sur la campagne, sur son milieu, qu’elles s’en foutent ». Le maire relativise, en disant que les villageois d’ici et d’ailleurs n’ont, eux aussi, pas trop envie d’étaler leurs vies partout. Qu’ils sont discrets. Que souvent, ils préfèrent garder ça pour eux. « Par honte », parfois.

photo 4Il y a des roses sur la table et des canelés. Le maire se présente, une nouvelle fois, aux prochaines élections municipales. Il sera le seul candidat à sa succession, avec quatre femmes sur neuf sur sa liste. Il dit que sa couleur politique est « plutôt le centre ». Aux présidentielles, il y a eu beaucoup de droite et un peu d’extreme droite. La femme de Maurice, l’ancien pâtissier, raconte : « C’était un village à gauche avec tous les ouvriers, avant. Mais comme il y a en a presque plus, le vote est plutôt à droite maintenant ».

Elle a voté pour Nicolas Sarkozy. Son mari, sur la liste du maire, aussi. « Il a essayé de faire quelque chose alors que François Hollande ferme tout. Regardez, il a voulu inverser la courbe du chômage, mais elle n’a fait qu’augmenter ». Elle dit aussi qu’il y a « peut être un peu trop d’étrangers » en France. Elle précise qu’elle n’est pas du tout attiré par les extrêmes. Le soleil finit par se coucher sur la campagne. Le maire s’efface, certain de sa prochaine élection. Il faudra, encore un peu, écouter les silences et les souffrances. Il faudra surtout se répéter, comme il dit, que ça pourrait être pire.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

 

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