« Je n’ai pas l’air comme ça, mais on est hyper motivé« , rassure Philippe Poutou, ce jeudi 21 octobre 2021 lors d’un meeting à La Bellevilloise. Le visage du parti d’extrême gauche a rempilé pour une troisième candidature à la présidence de la République, après un score du NPA de 1,1% aux dernières élections.

L’ancien ouvrier chez Ford et actuel conseiller municipal à Bordeaux y va à contrecœur, ce n’est un secret pour personne. Pour son premier meeting de campagne, les affiches qui tapissent la salle du meeting, dans le Nord de Paris, arborent d’ailleurs les visages de la militante Angela Davis ou celui de George Floyd -décédé à la suite d’une intervention policière aux Etats Unis, plutôt que celui de l’homme de 54 ans.

« Je soutiens une candidature ouvrière, mais ce n’est pas qu’une question de candidat« , murmure une jeune fille dans la salle ce soir-là au milieu du brouhaha ambiant. « Le programme a été discuté collectivement« , appuie Lisa*, militante au Nouveau Parti Anticapitaliste depuis trois ans.

Un grand nombre d’étudiants ont chauffé l’ambiance du meeting de Philippe Poutou.

Le collectif, justement : ils sont un peu plus de 200 personnes -quelques curieux, mais surtout des jeunes militants du parti venus en groupe- à entonner des slogans politiques, habituellement réservés aux manifestations. « Une habitude de réunion« , jure la femme de 21 ans, pour qui ce sera la première élection présidentielle, mais pas la première lutte.

« J’ai commencé à manifester en 2016, à l’occasion de la mobilisation contre la Loi Travail« , raconte l’étudiante du 93 en anthropologie. « C’est à ce moment-là que je me suis radicalisée. Radicalisé, cela vient de ‘gauche radicale’. On utilisait ce terme bien avant la droite !« , plaisante-t-elle.

Un « petit candidat » en tête des discussions

Pour cette étudiante, hors de question de donner son vote aux partis de gauche dits réformistes, même si elle ne croit pas aux chance de Philippe Poutou de l’emporter. Une stratégie du NPA revendiquée qui, d’ailleurs, voit en la fonction présidentielle « une fonction profondément anti-démocratique« , comme l’expliquait le 17 octobre dernier le candidat sur le plateau d’A l’air libre, l’émission de Mediapart. Pour le parti, l’important est d’importer dans le débat démocratique, les combats qui lui sont chers.

L’annonce de la plainte du Ministre de l’Intérieur après les propos du candidat sur les violences policières est vécue par le parti comme “un coup de pub” bénéfique.

« La gauche radicale a toute sa place dans ces élections« , juge également Joachim, 22 ans. Le 14 octobre dernier, le parti d’extrême gauche était en tendance des sujets les plus discutés sur le réseau social Twitter après la sortie de Philippe Poutou : « La police tue, évidemment« , semblant lui donner raison. « Il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Philippe Poutou tenait ce genre de propos en 2017 et le NPA parlait déjà de désarmer la police« , observe le jeune homme, qui cherche une place assise dans la salle.

Joachim, pourtant, n’a pas sa carte d’adhérent au NPA. Son cœur penche pour le Parti Communiste français (PCF) mais la participation du chef du parti à la manifestation des policiers en mai dernier devant l’Assemblée nationale l’a refroidi. « On a vu ce que la police a fait au fil de l’Histoire : Vichy, l’Algérie, Adama Traoré, Cédric Chouviat« , débite-t-il. « La police est dangereuse ». « Beaucoup de personnalités politiques sont timides sur le sujet des violences policières. Je suis fière d’avoir un candidat qui a cette franchise là« , abonde Lisa.

Des électeurs investis localement

« Même au niveau des luttes sociales, il faut rendre visible les petites grèves, les combats du quotidien, pour inspirer les gens au niveau national« , juge le militant de Villejuif. « Je me rends sur des piquets de grève dès que je peux. Ce n’est pas forcément évident avec les cours« , confie Gaspard, militant au sein du NPA Jeune et étudiant pour devenir professeur d’histoire-géographie. Quand ses horaires de cours le permettent, il sillonne la France, en commençant par la Seine-Maritime, pour récupérer les 500 signatures nécessaires au parti pour présenter un candidat. Le NPA n’en dispose pour le moment que de 139. « Pour l’instant, je n’ai pas eu beaucoup de preneurs« , confirme Gaspard. « Mais il faut remercier Darmanin pour cet énorme coup de pub« , lance-t-il, amusé.

Quelques 200 personnes se sont réunies à la Bellevilloise pour le meeting de Poutou.

Suite aux propos de Philippe Poutou sur les violences policières, le Ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin a déclaré porter plainte pour injure publique. Un « coup de pub » qui semble avoir porté ses fruits. « La salle du meeting était finalement trop petite pour accueillir tout le monde. Il y avait même des gens debout« , fait remarquer Gaspard. Le principal intéressé, lui, s’en amuse. « On verra bien si Elisabeth Borne (la Ministre du Travail, NDLR) porte plainte : le travail tue aussi« , tacle Philippe Poutou lors de son discours. Le candidat du parti a profité de ce premier meeting pour distiller quelques mesures de son programme : semaine de travail hebdomadaire de 28h, retraite à 60 ans, notamment.

Il faut sortir du microcosme politique dans lequel nous sommes. Les gens n’aiment pas Zemmour hein.

Dans le public néanmoins, on avait plus à cœur d’applaudir les luttes sociales que les sorties de campagne présidentielle. « Il faut sortir du microcosme politique dans lequel nous sommes. Les gens n’aiment pas Zemmour hein« , lâche un militant de la Jeune Garde, un collectif antifasciste de Lyon, invité à prendre le micro avant le discours de Philippe Poutou.

Philippe Poutou s’est éclipsé au profit de jeunes militants. Ici, Selma, la porte parole du NPA Jeune.

Une enseignante, des chauffeurs de bus de la société de transport Transdev en Seine-et-Marne en grève depuis sept semaines et une militante du Parti Socialiste des Travailleurs d’Algérie se sont également relayés en début de soirée. Une manière pour le NPA de présenter son programme sans effets d’annonces : l’éducation, l’amélioration des conditions de travail et le soutien aux mouvements sociaux internationaux. Et l’écologie, à travers la voix de Selma, la porte-parole du NPA Jeune. « Le capitalisme n’est pas recyclable mais il est grand temps de l’inscrire au fin fond des poubelles de l’Histoire« , lâche la jeune femme face à Philippe Poutou, soufflé par son intervention.

« On m’a donné une phrase de chute parce que je ne sais pas chuter : même si Darmanin ne veut pas qu’on soit là, on est là« , récite le candidat malgré lui. Si Poutou ne rempile pas pour une quatrième campagne, la relève est toute trouvée.

Méline Escrihuela

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