Chemise ouverte, manches retroussées, Benoît Hamon était à la cool vendredi pour l’Agora citoyenne de Génération.s. L’exercice consistant en un jeu de questions-réponses autour de leur projet européen s’est déroulé dans le réfectoire d’une école primaire d’Aubervilliers, bastion communiste qui a voté Mélenchon à 41,1 % au 1er tour de la dernière présidentielle. En ce week-end de Pâques ensoleillé, pas facile de réunir des gens pour parler d’Europe, d’autant que la campagne peine à électriser les foules.

« Pour l’instant, la campagne est atone mais c’est comme ça pour tout le monde, ça va être le rush dans les trois dernières semaines », se rassure le député européen, Guillaume Balas, en troisième position sur la liste de Génération.s. L’incendie de Notre-Dame de Paris ou le report des conclusions du grand débat font écran aux européennes, selon lui. De plus, pour la sénatrice Sophie Taillé-Polian, « avec l’hyperprésidence d’Emmanuel Macron, les européennes, déjà perçues comme une élection secondaire, passent à la trappe ».

Mais l’heure avance et la salle se remplit jusqu’à atteindre une petite centaine de participants : des militants, des sympathisants et quelques curieux. Exit les meetings avec estrade. L’agora façon Génération.s fonctionne différemment : des candidats assis en demi-cercle et, face à eux, des participants qui les questionnent… à la façon d’une loterie. Pas question de lever la main pour prendre la parole : il faut s’inscrire, récupérer un numéro et attendre que celui-ci soit tiré au sort par le modérateur.

La réunion publique de Génération.s à Aubervilliers a pris la forme d’une « agora citoyenne » / (C) : Héléna Berkaoui, Bondy Blog

Migration, écologie, évasion fiscale, le débat s’engage avec pas de mal de digressions sur des sujets plus nationaux et quelques punchlines. « Le seul risque d’invasion qui existe, c’est celui d’avoir un Parlement européen islamophobe et raciste », lance Benoît Hamon avant de s’insurger contre la théorie conspirationniste du grand remplacement qui a motivé l’attentat de Christchurch. Visant Éric Zemmour et les propagateurs de ce fantasme, Benoît Hamon accuse : « Il y en a qui ont pris ces mots, qui les ont transformés en balles et qui ont tué des dizaines de personnes ». 

Amenée sur la question écologique, la numéro 2 de la liste Génération.s, Sarah Soilihi, dégaine. Pour la Marseillaise, ancienne championne du monde de kick-boxing, hors de question d’entendre que cette problématique serait la seule marotte des bobos ; les premiers exposés aux maladies pulmonaires et autres conséquences de la pollution sont les plus modestes. Génération.s avance l’idée d’obligations vertes émises par la Banque centrale européenne pour financer la transition écologique sans faire reposer le coût sur le contribuable. En euros, ce « Green New Deal » européen se chiffrerait à 500 milliards par an.

Dans l’assemblée, une dame brune se lève timidement. Sa préoccupation, c’est l’immigration : « Comment est-ce qu’on fait pour qu’il n’y ait plus de familles qui dorment devant les Monoprix ? », demande-t-elle. C’est l’ancienne présidente de Médecins du monde, Françoise Sivignon, qui prend le micro. « Cette crise de l’accueil n’a pas lieu d’être, on l’a vu cette semaine, quand on veut sortir des millions, on peut », glisse-t-elle en référence à Notre-Dame de Paris. Et celle qui figure en sixième position sur la liste de rappeler que « Monsieur Pinault (qui propose 100 millions pour la réfection de la cathédrale) fait transiter ses produits en Suisse » pour éviter de payer des impôts en France.

Les débats qui traversent la gauche ne sont pas des petits débats

La nuit commence à tomber et de sages questions s’enchaînent jusqu’à ce que le tirage au sort donne la parole à Fethi Chouder, maire-adjoint d’Aubervilliers à la jeunesse. L’élu local pose la question qui fâche : quid du rassemblement de la gauche ? Sa crainte est que la multiplication des listes de gauches amène à une dispersion des voix. Une question légitime, d’autant que les derniers débats pour les européennes ont bien mis en lumière la proximité des programmes à gauche. Benoît Hamon demande à Sarah Soilihi, à sa droite, de prendre la parole. La question des passerelles à gauche, elle connaît : elle était jusqu’en novembre dernier une des porte-paroles de la France insoumise. « Ça suffit de nous poser cette question, s’agace-t-elle gentiment. Qui a proposé une votation citoyenne pour faire l’union de la gauche ? C’est nous ! »

Fethi Chouder, maire-adjoint d’Aubervilliers, face à Benoît Hamon / (C) : Héléna Berkaoui, Bondy Blog

Benoît Hamon embraye. « Les débats qui traversent la gauche ne sont pas des petits débats », souligne l’ancien candidat à la présidentielle. Et celui-ci de se lancer dans une longue explication, parti par parti. Sur la France Insoumise : « Il y a, au sein même du parti, une question de fond : est-ce que ça fait encore sens d’unifier la gauche ou est-ce qu’il faut unifier le peuple hors du clivage droite-gauche, au risque de rassembler d’abord les souverainistes ? » Et Hamon de tacler « Jean-Luc », tiraillé entre ces deux positions, partisan un jour de l’une, un jour de l’autre.

Sur Europe Ecologie-Les Verts, ensuite : « C’est le choix de Yannick Jadot de positionner les Verts dans un ni-droite ni-gauche » qui pose problème. Et l’ancien ministre de Hollande de prévenir une éventuelle velléité d’alliance avec Macron : « Jadot ne sera pas meilleur que Hulot ». Reste le PS et Place Publique, alliés de circonstance… Pour eux, au fond, la question ne se pose même pas. Hamon prend un exemple : « Les socialistes français ont signé la tribune contre les ventes d’armes au Yémen » avant de voter, quelques jours plus tard, contre « la proposition d’amendement d’un député de Génération.s, Édouard Martin, qui propose que le fonds d’investissement (pour la future défense européenne) ait des règles éthiques minimum afin de ne pas vendre des armes qui pourraient être utilisées contre des populations civiles ». Et Hamon de s’indigner contre cette forme de duplicité. « Moi, je suis un bloc, je ne suis pas sécable, lance-t-il. À Bruxelles, je défends la même chose qu’à Paris. Aujourd’hui, il y a un doute fondamental sur où va le PS. »

J’ai envie de m’engager dans votre parti mais…

Mais des amis de gauche, il n’a été question que quelques minutes au cours de la soirée. Le reste du temps, Hamon et ses candidats ont tenté, question après question, de parler de l’Europe, de leur mouvement du « Printemps européen » qui les lie à une dizaine d’autres partis à travers le continent, de leur futur candidat pour la présidence du Parlement, le Grec Yanis Varoufakis, et… du « plaisir » qu’ils prennent à défendre et porter leurs idées. Reste à convaincre et à fédérer, deux ans après l’échec de la candidature à la présidentielle. A ce sujet, alors que nous interrogeons Benoît Hamon, un jeune homme de 21 ans l’interpelle : « J’ai envie de m’engager dans votre parti mais si on n’a pas le nombre, c’est compliqué. » Hamon lui répond, tente de le rassurer. L’heure est à la redéfinition des bases fondamentales de la gauche, explique la tête de liste. Autrement dit, il veut un « back to basic » (oui, oui, il cite Margaret Thatcher) et refuse « l’injonction à se rassembler ».

Pour voir la gauche s’unir, il faudra sûrement laisser passer 2019. Et attendre les élections municipales, l’année prochaine. A Aubervilliers, la maire communiste, Meriem Derkaoui, a déjà tendu la main aux représentants de Génération.s. Elle passe une tête, justement, en fin de soirée. Fait une bise appuyée à Benoît Hamon, puis prend place à côté de lui pour dire deux mots. Le premier, fraternel, de bienvenue où elle rappelle la « nécessité » pour la gauche de « se rassembler. » Le second, plus politique, sur l’importance des « valeurs » : « Moi, je n’ai jamais changé de valeurs, ni de parti. Depuis vingt ans, je ne porte qu’une bannière, celle du Parti communiste français. » Entre une bise et une main tendue, un tacle bien senti : ça se passe comme ça, entre amis de gauche.

Héléna BERKAOUI

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