Oui c’est vrai, ce qu’on dit : à Marseille les Comoriens sont en force. À peine descendu du train je tombe sur une équipe d’insulaires dans des tenues traditionnelles. Oui c’est vrai aussi, la « chemise ouverte » et « la chaine en or qui brille » sur le torse poilu n’est pas qu’un stéréotype que le clip d’IAM « Je danse le MIA » a propagé dans la conscience collective. Tout aussi véridique, la façon qu’ont les Marseillais de parler comme dans Taxi 4. Mais la cité phocéenne réserve également quelques surprises en dehors des poncifs énoncés plus haut. Des « oh ! » d’étonnement il y en a eu à foison, des barres de rire aussi…

Mais pour l’heure, avec mon premier contact marseillais, on parle de problèmes sérieux.  Nassurdine Haidari, la trentaine passée, élu PS, a suivi un double cursus, l’un républicain en décrochant un diplôme à l’IEP d’Aix, l’autre en suivant un enseignement religieux lui ayant permis d’être imam, fonction qu’il n’exerce plus aujourd’hui. « Un immense merde », c’est ce que je dis,  à tous ceux qui pensent que l’islam dans notre république réagit comme l’huile dans l’eau . Nassurdine a d’ailleurs usé d’un  mot de la même racine un jour face à un contradicteur qui lui a un peu tapé sur le système  : « Le musulman…il t’emmerde ». C’est vulgaire, mais à certains moments, ça peut faire du bien.

Accompagné de son tout jeune fils, Nassurdine raconte qu’il a grandi dans le plus vieux coin de la ville : le Panier, ancien quartier populaire devenu aujourd’hui un peu bobo : « Il y a un énorme contraste ici. Les populations modestes sont dans le nord et les plus aisées au sud. Le maire Gaudin vend un mythe loin de la réalité. L’édile parle de ville cosmopolite mais quand on parle d emplois et d’économie la ségrégation est là, ce sont les faits ! »

Dans son parcours, il dit avoir connu : « toutes sortes de  difficultés ». « J’ai décroché mon diplôme à l’IEP d’Aix et tout de suite après j’ai dû travailler dans la sécurité pour pouvoir vivre ». Il ouvre un cybercafé mais son entreprise ne marche pas à l’heure où explosaient les forfaits internet « tout compris ». Voulant agir et ne voulant plus se faire avoir par le système il rejoint le PS, et en 2006 le CRAN, en organisant un débat dans la foulée sur la question de la diversité : « La communauté comorienne ici représente 10% de la population. Cette présence ne se voyait pas dans le monde politique de la ville. A la suite de cet évènement on a obtenu la nomination de personnes issues de ces populations ».

Nassurdine parle, en serrant son fils entre ses gros bras, de son désir d’égalité pour tous : « L’idée que mon fils grandisse dans une France qui ne lui donne pas toutes les chances de réussir, parce qu’il s’appelle Isaac-Shahid, me fait froid dans le dos. J’espère que cette discrimination ne se transmet pas comme un héritage ». Il a donc lancé un appel sur son blog, relayé par les médias intitulé « Nous ne marcherons plus », référence en partie à la génération des marcheurs pour l’égalité de 1983  (la marche des Beurs), une  forme de pique aussi envoyé au PS : « Le PS na pas été à la hauteur des aspirations de la génération de 1983 et n’a pas saisi le sens profond de cette marche des revendications. Je peux comprendre le sentiment de déception dont m’ont fait part des anciens marcheurs. J’ai même été pris à parti. Mais après plusieurs discussions franches et tendues ils ont vu que ma démarche n’était pas une forme de récupération et que je me place au delà du parti socialiste ».

Les premiers signataires de son appel sont divers et variés : collaborateurs proches du président actuel, des membres du Modem, des indépendants, sportifs etc… pas de membre du FN, par contre, car « le positionnement du parti ne permet pas la discussion ».

Avec des gens de tous horizons, la question du consensus se pose : « Personne ne peut nier les faits, mon appel décrypte la situation et il y a consensus là-dessus » explique t-il. A la fin d’une tournée de 2 mois sur plusieurs villes, 5 propositions seront faites le 3 décembre aux candidats pour « commencer un changement ».

Avant lui, il y a eu des initiatives comme la sienne. AC LEFEU par exemple et leurs cahiers de doléances que les partis politiques n’ont plus calculé ensuite, malgré le travail de fourmis qu’ont réalisé les bénévoles. Quelle différence maintenant ?  « Nous nous plaçons dans une communication purement politique. On est pas une association et on ne veut pas faire un catalogue de propositions ni un cahier de doléances : c’est un une interpellation politique. On a une génération qui est conscientisée, qui sait que les marches et les appels sans lendemain ne servent plus à rien. On ne quémande plus on exige ! Ce n’est plus « écoutez nous svp » mais « on veut maintenant ! »».

Je ne résiste pas à interroger cet ancien imam sur l’article du Monde concernant le rapport de l’Institut Montaigne sur Clichy sous bois et Montfermeil, limité à la problématique de l’islam alors que entrepreneuriat et l’éducation étaient aussi traités : « Bien que ce rapport ne soit pas transposable complètement à Marseille, l’islam est une réalité dans ces quartiers. Moi ce qui me gène c’est que certains medias et personnalités, dont le ministre de l’Intérieur, ont voulu islamiser la question sociale pour récupérer un électorat qui exprime des peurs liés à l islam. On attise certaines peurs ». Pour ce qui est de l’avortement quasi final du projet de grande mosquée dans la citée phocéenne « beaucoup de responsables n’en veulent pas » dit-il.

Des peurs, il y en a aussi concernant le monde politique marseillais. Un mélange des genres qui interpelle: « Être jeune élu à Marseille c’est rompre avec certaines pratiques. Renouveler le lien entre les politiques et la population. Il y a du clientélisme et une dépolitisation lié à ça. Il y a des particularismes à Marseille qui ne sont plus acceptables, un mélange des genres qu’il faut combattre de droite comme de gauche. Il va falloir faire une grande opération de mise à plat de la relation politique-citoyen. »

C’est sous forme d’hommage que se termine notre discussion : « Certaines personnes qui ont fait cette marche pour l’égalité sont mortes sans voir leur rêve s’accomplir. Cette république a tué l’espoir, brisé des ambitions et n’a laissé qu’un espace infime d’expression qu’on retrouve aujourd’hui dans le rap ou le sport. Mais il n’y a pas que ça que l’on peut offrir… »

Aladine Zaiane

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