Que fait la police ? Elle compte les coups. Ceux qu’elle donne et ceux qu’elle reçoit. Elle s’inquiète de la « banalisation de la violence » dans certains quartiers, de sa propagation à l’intérieur des villes, à Paris principalement. Elle dit avoir souhaité un « Grenelle de la sécurité » au lendemain des émeutes de 2005. Il n’a pas eu lieu. Membre du bureau national de Synergie Officiers, un syndicat policier classé à droite, le commandant Mohamed Douhane, 42 ans, dresse un portrait plutôt alarmant de la situation sécuritaire dans des zones communément qualifiées de non droit. Il réclame une meilleure évaluation du rôle des associations et plus de moyens pour celles qui « ont fait leurs preuves ». Mais, d’abord, il revient sur les émeutes de 2005 et l’analyse qu’en ont fait à l’époque les services de police. Interview.

A l’automne 2005, à quel moment avez-vous compris que se qui se passait sur le terrain évoluerait gravement ?

Dès le 1er novembre. En fait, lorsque les émeutes, jusqu’ici circonscrites à Clichy-sous-Bois, ont commencé à s’étendre à toute la Seine-Saint-Denis. Nous nous sommes alors rendu compte que la situation était en train de dégénérer, que ce serait le début d’un long cycle. Le 28 octobre, nous avions 22 ou 23 véhicules incendiés. Ce nombre n’a cessé d’augmenter, atteignant un total de 10 000 véhicules brûlés à la fin des trois semaines de violences. Le bilan fut le suivant: 300 communes touchées, près 3200 personnes interpellées en flagrant délit, une centaine de policiers et gendarmes blessés, une centaine d’entreprises endommagées sur le territoire national et une facture qui serait de 200 millions d’euros selon les assurances, dont un quart seulement pour la Seine-Saint-Denis.

Est-ce que, en ce mois d’octobre, les informations qui sont les vôtres, notamment par le biais des renseignements généraux (RG), vous font craindre une explosion sociale dans les banlieues ?

A l’époque, cela fait déjà plus de vingt ans que les RG rendent compte d’une situation qui se désagrège dans certains quartiers. Nous ne sommes donc pas totalement étonnés que des véhicules brûlent après le drame qui a causé la mort de Zyad et Bouna. Par contre, pour être sincère, aucun service n’a prévu que les émeutes dureraient si longtemps et gagneraient en intensité.

Quel fut le rôle du syndicat Synergie Officiers durant cette crise ?

Nous avons été énormément sollicités, tant par les médias que par les autorités. Nous nous sommes attachés à lutter contre les caricatures, en précisant que les émeutes ne concernaient pas toute la banlieue. Nous relativisions les discours victimaires de certains médias, qui faisaient passer ces émeutes pour une révolte de la banlieue contre les pouvoirs publics. Nous disions que ce n’était pas un territoire qui se soulevait, mais quelques centaines d’individus complètement déstructurés, qui, eux, ne subissaient pas les discriminations au quotidien, tout simplement parce qu’ils ne cherchaient pas de travail, pour certains se contentant de bénéficier de l’économie souterraine.

N’est-il pas abusif de dire que ce sont seulement des personnes à la dérive qui ont agi ? Il y avait aussi, parmi les émeutiers, beaucoup d’adolescents qui n’étaient pas encore en âge de travailler et qui menaient par ailleurs une vie normale.

Ce dernier point est en partie vrai. Mais on ne peut pas justifier l’injustifiable, et la violence ne donne jamais raison à ceux qui l’utilisent.

Sans doute votre syndicat et vous-mêmes n’avez jamais été autant sollicités par les médias étrangers qu’à l’occasion des émeutes.

Pour eux, c’était unique de voir ça en France. Il y a eu chez certains d’entre eux des analyses assez déroutantes. Je me souviens avoir eu en face de moi des télévisions étrangères qui s’étonnaient que le gouvernement n’ait pas déployé des dispositifs militaires, chars inclus, dans les banlieues et dans les rues de Paris. Des Russes se demandaient comment il se faisait que les autorités françaises n’aient pas réussi à régler « le problème des Arabes » alors que dans leur pays, le « problème des Tchétchènes » n’en était plus un.

Des médias américains se sont étonnés de l’absence de l’armée. C’est bien ça ?

Oui, pour eux, notre façon de faire s’apparentait à du laxisme.

Que leur répondiez-vous ? Que vous aviez vos méthodes et que vous les estimiez adaptées, ou que vous regrettiez de ne pas avoir comme aux Etats-Unis une garde nationale pouvant intervenir pour ramener l’ordre, comme lors des émeutes de Los Angeles en 1992 ?

Rien ne justifie la mort de jeunes. On ne peut pas accepter la dégradation de biens privés et publics, mais je crois que la vie humaine a plus d’importance que des véhicules brûlés, même si cela constitue un drame pour des familles pauvres.

Depuis les émeutes, un dialogue s’est-il instauré entre la police, la justice, les maires et les associations de quartiers ?

Je n’ai pas l’impression que la situation ait énormément changé. Nous avions demandé à cette époque un Grenelle de la sécurité qui rassemblerait tous les acteurs de la ville, mais il n’a pas eu lieu. Nous ne sommes pas l’abri de la répétition d’émeutes telles que celles que nous avons connues en 2005. Les conditions qui les ont déclenchées sont toujours présentes dans certains quartiers.

Lesquels ?

Je ne vais pas stigmatiser tel ou tel département, mais il y a en France 752 Zones urbaines sensibles (ZUS). C’est dans ces ZUS que le phénomène des violences peut se répéter.

N’avez-vous rien de plus précis que le recensement bien connu des ZUS ?

Il est très difficile de citer des communes en particulier. Ce qui est inquiétant c’est la banalisation de la violence dans certains quartiers contre les représentants de l’Etat, pris de plus en plus dans des guets-apens. Le principe est simple: on téléphone à la police en prétextant une infraction imaginaire, et une fois les policiers sur place on leur balance des projectiles quand ce n’est pas de l’électroménager. Cette violence atteint maintenant l’intérieur de Paris aussi, comme on l’a vu dernièrement à la gare du Nord, mais aussi dans quartiers paupérisés des 18eme, 19eme et 20eme arrondissements. Les auteurs de violences sont toujours plus jeunes, toujours plus violents et toujours plus réitérants. Ils ont un comportement de prédateurs. Leur objectif est de précipiter le départ des forces de l’ordre de façon à mettre certains quartiers en coupe réglée. Ils ont une logique de sédition et de terreur, qui leur permet de continuer leurs rackets, leurs trafics en tout genre qui financent l’économie souterraine.

Qu’en est-il du financement des associations ?

Le mouvement associatif n’est pas homogène en France. Pendant des années, l’Etat et les mairies, espérant avoir la paix et la sécurité dans certains quartiers, ont distribué des subventions. Cela n’a pas fonctionné. Je sais que des associations oeuvrant positivement manquent cruellement de moyens, mais je pense que c’est avant tout une question d’évaluation. A chaque subvention devrait correspondre un examen précis de l’impact des actions menées. Les associations qui ont fait leurs preuves, celles qui agissent non seulement avec les jeunes des quartiers mais également en liaison avec les autorités, devraient recevoir plus de moyens. Il faudrait cesser à l’inverse de subventionner les associations qui jouent un double jeu: qui tiennent un discours victimisant face aux jeunes et un discours responsable devant les pouvoirs publics.

Depuis 2002, des associations ont-elles été privées de subventions pour ces raisons-là ?

Là encore, je ne vais pas donner de noms, mais oui, il y en a eu à qui les subsides ont été coupés, soit parce qu’elles n’étaient pas légitimes, soit parce qu’elles refusaient d’appliquer le cahier des charges que toute association recevant des fonds publics se doit de signer.

Propos recueillis par Antoine Menusier

Antoine Menusier

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