Thierry Marchal-Becq : A travers votre livre « Contrôle au faciès : comment en finir? » vous défendez l’idée du procès verbal de contrôle pour lutter contre les contrôles au faciès.  De quoi s’agit-il exactement ? Cette nouvelle mesure ne risque-t-elle pas d’entraver le travail de la police ?

D’abord, il faut partir d’un constat: une personne supposée d’origine maghrébine a huit fois plus de chance de subir un contrôle d’identité qu’une personne à la peau blanche. Ce contrôle au faciès, encouragé par la politique en matière d’immigration et le discours sécuritaire, est générateur de tensions entre les citoyens et leur police et inefficace en termes de lutte contre la délinquance. Par ailleurs, il est contraire à des principes constitutionnels, comme en témoigne la multiplication des recours en justice pour discrimination.

Notre livre brosse un tableau de la situation actuelle, compare la situation française avec d’autres pays et propose des solutions dont l’attestation de contrôle d’identité sans opposer « forces de l’ordre » et « jeunes ». Le procès verbal de contrôle permettra d’évaluer le nombre et l’utilité des contrôles. Cela permettra de laisser une trace écrite qui pourra protéger à la fois le policier et la personne contrôlée. Dans tous les pays où la mesure a été mise en place, notamment l’Espagne, le nombre des contrôles a été diminué par trois, mais l’efficacité des contrôles a été renforcée. C’est un acte fort qui va permettre de renouer le lien entre citoyens et police. On ne pourra pas mettre en œuvre la police de proximité, sans apaiser les relations entre les jeunes et la police.

Le dispositif est pourtant loin de faire l’unanimité dans la police. Est-ce vraiment une priorité ? Pourquoi lancer cette proposition sans concertation avant même les élections législatives ?

La police comme toutes les autres administrations doit rendre des comptes aux citoyens en toute transparence. Il faudra mener chaque année une enquête bilan sur l’efficacité des contrôles.

Les citoyens doivent savoir ce qui fonctionne bien et ce qui fonctionne moins bien dans le service public de la sécurité. Lorsqu’ils étaient candidats aux primaires, François Hollande et Manuel Valls se sont exprimés publiquement en faveur de l’attestation de contrôle. Lorsque je me suis moi-même présenté à la présidence des jeunes socialistes, j’ai dit : « il faudra gagner ». La victoire aux présidentielles conditionne toutes les autres victoires. Mais nous aurons réellement gagné lorsque l’allocation d’étude et de formation sera mise en place, quand la loi Hadopi sera abrogée, quand le contrôle au faciès n’existera plus et que l’attestation de contrôle d’identité sera mise en œuvre. C’est pourquoi, avec Laurianne Deniaud, on sort ce livre sans attendre la fin des élections législatives. Nous ne sommes pas effrayés par les polémiques que la droite pourrait relayer. Nous pensons que c’est central et nécessaire. Ça à une dimension symbolique, mais ça traduit aussi un besoin de changement au quotidien pour des milliers de jeunes qui vivent les contrôles tous les jours.

Les contrôles devront désormais être motivés par des raisons objectives. Comment la police pourra-t-elle lutter contre les trafics ou encore contre l’immigration illégale?

Il faut savoir que, dans l’absolu, le contrôle d’identité ne sert pas à grand chose. Théoriquement, il est interdit de procéder à une fouille durant un contrôle d’identité. Juridiquement,  regarder dans les chaussettes d’un individu, c’est de la perquisition. La procédure est nulle. Par ailleurs, le contrôle d’identité n’a jamais été un moyen de lutter contre l’immigration illégale. En réalité, la plupart des personnes en situation irrégulière sont connues car elles sont en procédure. Ces personnes ont souvent fait une demande d’asile qui a été rejetées ou elles ont demandé un titre de séjour qui n’a pas été reconduit. La droite et l’extrême droite laissent croire que nous serions envahis sans le savoir par des dizaines de milliers de personnes en situation irrégulière. Il n’y a qu’à voir les conditions à l’entrée des préfectures  pour savoir qu’on sait exactement où sont les personnes qui demandent des titres de séjour. Même s’il fallait vraiment lutter avec acharnement contre l’immigration illégale, ce dont je doute, le contrôle d’identité ne permet pas de le faire. Sous prétexte de chasser des immigrés, on discrimine des citoyens français en permanence. Derrière le contrôle au faciès, il y a l’idée sous-jacente que les personnes de couleur ou d’origine maghrébine ne seraient pas françaises. C’est une violence symbolique inouïe.

Après la proposition de Christiane Taubira de supprimer le tribunal correctionnel pour mineurs, ne craignez-vous pas que la gauche soit une nouvelle fois taxée de « laxisme » et d’ « angélisme » ?

S’il y a un domaine où la droite a échoué lamentablement, c’est bien celui de la sécurité. Aujourd’hui, la France est le pays où il fait bon être un voleur. Lorsque Pierre Joxe (ministre de l’Intérieur sous François Mitterrand) a créé l’ancêtre de la BAC (Brigade Anti Criminalité), le but n’était pas de parader dans les villes avec un flash ball en roulant un peu vite. L’objectif était de faire un vrai travail de planque qui a été totalement abandonné au nom de la politique du chiffre  qui privilégie le court terme. Résultat, les cambriolages et les  violences aux personnes explosent. Je suis fier de ce que fait Christiane Taubira qui veut renforcer le juge pour enfant. Le juge correctionnel n’est pas un juge pour enfant. C’est un principe qui a été édicté par le général de Gaulle avec l’ordonnance de 1945. Envoyer des mineurs en prison avec des adultes, c’est les envoyer se former à l’école de la criminalité. C’est contre-productif. La gauche n’est pas laxiste. Nous voulons recruter plus de policiers, plus de juges. Il faut sanctionner les mineurs, mais il faut aussi les aider à se réinsérer pour éviter qu’ils ne tombent dans la spirale de la délinquance.

Dans votre livre, vous citez une étude américaine qui montre que les populations de confession musulmane sont surreprésentées dans les prisons françaises. Vous attribuez cela aux contrôles au faciès. N’est-ce pas plutôt la conséquence de la réalité sociale de certains quartiers où on a parqué les derniers arrivants et les plus pauvres ?

Nous avons voulu montrer que les personnes d’origine arabe ou de couleur de peau noire ayant beaucoup plus « chances » d’être contrôlées que le reste de la population, il n’est pas étonnant qu’au final elles soient plus souvent l’objet de procédures judiciaires.

Certes, mais ça paraît un peu court comme explication. Vous oubliez un les problèmes sociaux: le chômage, la ghettoïsation de certains quartiers, la question de l’intégration. Les questions de société c’est bien, mais la question sociale c’est mieux…

L’attestation de contrôle d’identité toute seule sera un échec. Elle doit s’inscrire dans une politique globale. Je ne me trompe ni de priorité, ni de combat. La priorité absolue reste l’emploi. Il y a également le pouvoir d’achat, le logement, l’accès à la santé et à l’éducation. Mais la question du contrôle au faciès n’est pas seulement une question de société, c’est aussi une vraie question sociale. C’est une violence symbolique, mais qui peut aussi entraîner une violence physique. Les contrôles au faciès alimentent les tensions et le climat d’insécurité dans lequel nous vivons. En 2005, mêmes les écoles ont brûlé, même les pompiers ont été caillassés. Rien ne justifie cela. Mais la République ne peut pas accepter de discrimination en son sein. Le contrôle au faciès c’est dire à des gens qu’ils ne sont pas français, qu’ils sont des sous citoyens.

Le meilleur moyen de lutter contre la stigmatisation n’est-il pas  d’abord de casser les ghettos ? D’agir en amont plutôt qu’en aval… Que proposez-vous pour cela ?

Il n’y a pas de solution miracle. Pour casser les ghettos, il faut plus de services publics, plus de police de proximité, plus de moyens à l’école,  un meilleur accès à la santé aussi. Le plus grand désert médical de France est le 93. Il faut également passer de 20 à 25% de logements sociaux par ville. Il faudra faire appliquer la loi en  multipliant les amendes par cinq et en donnant aux préfets le pouvoir de se substituer aux maires. Ça peut changer la donne comme à Lille où je vis et où on est à 25% de logements sociaux par quartiers. Dans le vieux Lille, qui est pourtant l’un des quartiers riches de la ville, il y a 25% de logements sociaux. Il doit y avoir de la mixité sociale dans chaque quartier et chaque école, mais aussi dans chaque immeuble.

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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