Avant, pendant et après l’annonce par Edouard Philippe de la réforme des retraites, on a marché de La Courneuve à Bobigny ce jeudi. Sinon que les prétendues concessions faites par le Premier ministre n’en ont rien calmé les ardeurs et la colère des travailleurs et des syndicats. Malgré la difficulté pour joindre le point de ralliement dans le quartier des Quatre-Routes, il y avait plusieurs centaines de personnes dès 11 heures dans ce petit carrefour saturé et traversé par le tramway.

Hervé Ossant, secrétaire général de la CGT 93, se félicite alors de l’affluence : « C’est un bon début de matinée de voir autant de monde. C’est vraiment une réussite. » Sous les couleurs des fédérations syndicales, l’ambiance est bonne. Les uns et les autres dansent pour se réchauffer dans ce froid un peu glacial, d’autres chantent des slogans, c’est le cas du syndicat Solidaires qui entonne le fameux : « On est là ». L’optimisme est de mise dans l’assemblée : « On est confiants, dit un délégué de Solidaires. Après ces dernières mobilisations, je pense que le gouvernement va abandonner son projet, ce qui serait bien  pour tout le monde. »

Pas loin de là, Gabriel, 27 ans, enseignant en classe de CM2 à l’école élémentaire Paul Langevin de La Courneuve. Cela fait 3 ans qu’il exerce ce métier. Entre ses mains, une pancarte où on peut lire « Insoumission nationale », avec un grand « éducation » barré en haut. Voilà trois jours que Gabriel est en grève.  Pour lui, c’est simple : « En AG, on était 20 personnes ce matin de moins que la semaine dernière, à cause des transports et des imprévus pour certains de nos collègues. Il faut le retrait de la réforme et nous retournerons dans nos salles de classe. Ce que le gouvernement veut nous faire croire est absurde. Cette réforme est mauvaise pour tous les corps professionnels. On le voit très bien. Dans tous les secteurs, les gens manifestent. Maintenant l’annonce du Premier ministre a un seul but, c’est de nous diviser. » Malgré le léger amaigrissement des rangs au fil des jours, il se dit lui aussi confiant pour la suite : «  Pour nous, l’enjeu c’est d’élargir le mouvement pour être le plus nombreux possible et relancer une action lors de notre prochaine AG ».

Gabriel est prof à La Courneuve depuis trois ans

Dans la foule, enseignants, étudiants, cheminots, chauffeurs, personnels hospitaliers… Tous défilent en direction de la préfecture de Bobigny pour dire non au projet du gouvernement. Pour dire non à la politique économique et sociale du gouvernement. Aussi pour montrer leur frustration face à l’action d’Emmanuel Macron. Pour dire non à ce projet qui entraînera, assurent-ils, un recul de l’âge réel de départ à la retraite, des pensions amputées, des conditions plus drastiques pour bénéficier d’une pension de réversion diminuée, l’augmentation des inégalités femmes/hommes…

Un projet injuste et dangereux pour la cohésion sociale, particulièrement ici

Il est midi. Devant l’hôpital Avicenne, d’autres manifestants rejoignent le groupe. Sur les pavés des rames du tramway fortement perturbé, des passagers encouragent les manifestants. « Nous sommes avec vous », clament-ils. Le défilé est impressionnant. Les syndicats locaux comptent leurs rangs et ils sont bien étoffés. « J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de monde pour une première manifestation », souffle Jean-Christophe. Cet infirmier en cardiologie âgé de 50 ans se montre déterminé. Barbe poivre et sel, coupe impeccable, il explique : « Il faut arrêter ce cinéma que le gouvernement veut jouer avec nous. Ils nous ont parlé retraite à partir de 55 ans, 57 ans, 60 ans, 62 ans  et aujourd’hui on nous dit 64 ans. D’année en année, il faut prolonger. Donc cela veut dire que ce n’est pas fini. On est dans une poursuite de l’allongement de la durée du travail. Et on nous dit de plus qu’on va toucher moins. Ce qui explique qu’il est hors de question qu’on adhère à ce projet de Macron qui est une régression sociale. Donc nous, on continue cette lutte et on rejoint les pompiers et tous ce qui sont impactés ».

Jusque-là, tout se passe dans le calme, sans violence ni incident. Mais on note une forte présence des policiers et CRS qui encadrent le mouvement. Dans les cortèges, c’est la même incompréhension, la même colère. Parmi eux, certains suivent le direct du discours du Premier ministre sur leurs smartphones. Édouard Philippe dévoile les contours précis de la réforme. « Ils ne veulent pas nous entendre. Nous ne lâchons rien et le combat continue », s’écrie quelqu’un dans la foule.

Laquelle s’offre ensuite une arrivée spectaculaire devant la préfecture sous les lacrymogènes. Sous couvert d’anonymat, une militante présente explique : « Comme toujours, on est conscient que les télévisions ne retiennent que des images de violences dans nos quartiers et notre département. Nous avons marché tranquillement sans faire de violence. Il faut souligner que nous sommes face à un projet injuste et dangereux pour la cohésion sociale, particulièrement  dans notre département, qui connaît le plus faible niveau de vie en France métropolitaine et où la population subit le chômage et la précarité. Alors on appelle tout le monde à nous rejoindre. On ne fait pas des grèves pour le plaisir. On les fait pour des causes et pour l’intérêt de tout le monde, pas pour une poignée de mains qui va décider du sort des autres. »

Au terme d’une mobilisation qui a vu, selon les syndicats, un millier de personnes marcher jusqu’à la préfecture de Seine-Saint-Denis, l’opposition à la réforme a été réaffirmée, comme la détermination à poursuivre le mouvement. Les manifestants se sont donné rendez-vous dès ce soir à Porte de St Ouen, et le mardi 17 pour une mobilisation nationale. Le préfet de Seine-Saint-Denis, lui, a reçu les délégués syndicaux pour une réunion.

Kab NIANG

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