Le Sénat examine actuellement une proposition de loi sur la prostitution qui comprend quatre volets : l’accompagnement à la réinsertion des prostituées qui souhaitent s’en sortir, le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, la pénalisation du client et enfin la prévention et la formation auprès des acteurs sanitaires et sociaux. Si les agissements des clients et le parcours de certaines prostitués sont médiatisés, les motivations de quelques jeunes femmes, souvent étudiantes, attirées par la prostitution le sont moins.
Seeking Arrangement est un site de rencontres entre de jeunes femmes appelées « Sugar Babies » et des hommes fortunés surnommés « Sugar Daddies ». Venu des Etats-Unis et implanté en France depuis février 2014, le site compte plus de 4 millions de membres à travers le monde et plusieurs dizaines de milliers dans l’hexagone. Angela Bermudo, directrice des relations publiques du site, explique ce succès : « Les hommes et femmes s’inscrivent sur ce site afin de vivre une relation moderne. Seeking Arrangement permet d’être honnête et franc sur ce que vous voulez ». « Les Sugar Babies cherchent des partenaires influents, généreux et puissants. Les partenaires leur font vivre un style de vie agréable (dîners, spectacles, voyages, etc.), mais les aident également en tant que mentors. Ils ont en moyenne 39 ans, les Sugar Babies ont entre 21 et 27 ans ». Mais derrière cette façade et des mots soigneusement choisis, difficile de dissimuler l’encouragement à la prostitution et le relai de cette idée que le luxe estompe les bleus.
« Je vais être honnête, ce qui me motive à devenir escort-girl c’est avant tout l’argent, mais aussi le fait de fréquenter des hommes riches, parfois classes, qui me traitent comme une reine… et évidemment, le sexe ». Pour Fashionista, les choses sont assez claires. Fashionista est un des nombreux pseudo croisé sur Doctissimo, un site web consacré à la santé et au bien-être qui possède également divers forums. Le forum Prostitution trouve sa place entre ceux consacrés au Libertinage et au Sadomasochisme. Sur cet espace, les profils masculins sont très présents. Ainsi on apprend par exemple que certains clients n’hésitent pas à faire des heures supplémentaires afin de « se payer les services d’une prostituée ». Certains sujets sont aussi ouverts par des profils féminins qui se présentent comme des escorts-girls ou comme des personnes attirées par « ce monde ». Fashionista fait partie de cette seconde catégorie. A 19 ans, elle serait une secrétaire attirée par l’escorting et le sadomasochisme. Contactée en messagerie privée, son témoignage est donc à mettre au conditionnel.
« Difficile d’en parler aux gens en les regardant droit dans les yeux » 
Fashionista a bien conscience que ses envies ne sont pas anodines, que pour une lourde majorité de personnes, se prostituer c’est perdre sa dignité, vendre son corps au diable. Mais ce n’est pas son opinion, selon elle c’est un métier comme un autre : « mais ça ne l’est pas pour tout le monde malheureusement ! ». Elle plaint presque un manque d’ouverture d’esprit dans le pays. Son chemin idéal est tout tracé : d’ici un mois elle contactera une agence, elle fera ça quelques mois voire quelques années, puis fondera une famille. Comme si une expérience dans l’escorting permettait de vivre ce rêve bleu que ne lui permet pas son travail de secrétaire : « Ce poste c’est ce que je souhaitais, mais financièrement ce n’est pas le meilleur. Le but du travail, c’est bien le côté monétaire, non ? ».
Laurence Noëlle est conférencière et formatrice, auteure du livre Renaître de ses hontes (Le Passeur Éditeur). Elle a connu la prostitution à 17 ans et s’en est sortie. Aujourd’hui, elle participe à l’élaboration de la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. « J’ai rencontré des jeunes femmes qui ont testé la prostitution et qui sont venues me voir en me disant “Si j’avais su !”. Elles pensent que ce sont des actes sexuels normaux. Elles ne savent pas que la réalité c’est des insultes, des claques, “des coïts vulgaires à sec” ». Elle explique avec une honnêteté déconcertante l’envers du décor en critiquant « ces gros clients qui puent de la gueule, qui puent du cul ». A celles qui se disent que dans la prostitution « de luxe » les rapports sont plus tendres, elle rétorque :« Regardez l’affaire DSK ! Ce n’est pas Brad Pitt. Plus un client paye, plus il peut exiger ! »
Cette vision faussée de la réalité de la prostitution est le résultat, selon elle, des ignorants qui prennent la parole mais aussi de ceux qui ont connu ce monde et refusent d’en témoigner. « Personne le dit car c’est très dérangeant. C’est difficile d’en parler aux gens en les regardant droit dans les yeux » déplore Laurence Noëlle qui, durant 25 ans, n’a pas réussi à regarder un programme télévisé parlant d’abus sexuels. Elle analyse la dualité de la situation qu’est la banalisation de la sexualité qui s’accompagne pourtant d’un silence sur la prostitution. « Les pornos sont de plus en plus violents afin de nourrir les fantasmes des hommes ». Tout le monde regarde, mais personne n’en parle. « La société a honte. Je connais beaucoup de femmes qui ne se prostituent plus depuis de nombreuses années, mais qui refusent de m’aider de peur que leurs voisins les méprisent ». Elle raconte aussi l’histoire d’une ancienne escort-girl qui lui a adressé son témoignage sous le pseudonyme de « Mme Silence ». La prostitution c’est un sujet tabou, un sujet « ta bouche ! », « tais-toi pour guérir ». « Encore parfois je sens ce regard, ce jugement après 30 ans. » Il suffit d’observer les insultes et gros mots dans les cours d’école pour comprendre que ces « putain ! » ou « fils de pute » reflètent un mépris presque inconscient.
« Ces sites sont des pièges, des appâts pour des filles »
Laurence Noëlle revient sur ces sites qui peinent à masquer ce racolage, en résumant la situation par un « c’est horrible ». « Les filles sur ces sites ont le manque d’un père, elles pensent que l’argent leur rendront leurs valeurs. Ce sont des pièges, des appâts pour des filles qui croient aux contes et légendes après avoir perdu une part d’estime d’elles-mêmes. Rien ne change, rien n’a changé et ça me fait mal.»
Frapper à la porte d’une oreille mature et bienveillante est l’une des solutions pour continuer sa route selon Laurence Noëlle. Accepter sa détresse, car la guérison ne consiste pas à oublier, mais à vivre avec. Suivre une thérapie s’il le faut ou demander de l’aide à une association comme l’a fait le Mouvement du nid pour elle.
Mais l’objectif premier de son combat reste de prévenir au lieu de guérir. « Éduquer les parents c’est trop tard, mais un jeune peut changer d’avis ». Alors Laurence Noëlle visite des écoles. Les « on va voir une pute » au début se transforment en « bravo, respect m’dame’ » à la fin de la conférence. Ces bravos, elle les savoure, car ils sont la preuve que l’espoir est encore possible. L’espoir de voir la fin de ces 2600 d’années de prostitution. Elle continue son combat, celui d’une vie, avant de donner le flambeau à la nouvelle génération. Ce flambeau qui renaît de ses cendres, renaît aussi de ses hontes.
Oumar Diawara
 

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