Une politique « économique et pas sociale ». Voilà l’ambition affichée par Emmanuel Macron pour les quartiers populaires. Le chef de l’État, souvent présenté comme le candidat des banlieues durant la campagne présidentielle, est (enfin) sorti de son silence pour annoncer « sa » vision de la politique de la ville, depuis Tourcoing. Une intervention très attendue par habitants, associations et élus, très en colère depuis l’annonce des coupes dans le budget de la politique de la ville pour 2017, la réduction des emplois aidés ou encore la baisse de l’APL.

À l’issue d’une séquence politique de 24 heures à Clichy-sous-Bois puis dans les Hauts-de-France, le président de la République a annoncé mardi 14 novembre « une mobilisation de toute la nation qui seule peut répondre au défi immense », un « plan de marche » d’ici fin février avec deux missions principales : « restaurer la République et parvenir à l’émancipation des personnes ». Rien que ça. En réalité, rien de nouveau : le chef de l’État s’est surtout contenté de rappeler des réformes déjà lancées. Passage en revue de ces mesures.

Relance des emplois francs

Ils sont de retour. Les emplois francs seront relancés à partir du 1er janvier 2018, pour lutter contre le chômage dans les quartiers et inciter les employeurs à recruter des personnes vivant dans des zones souvent discriminées à l’adresse. Il s’agit d’une prime de 15 000 euros sur 3 ans pour l’embauche en CDI d’un habitant des quartiers populaires. « Quand une entreprise prend, en CDD de plus de deux ans, ou en CDI, une personne qui vient d’un quartier politique de la ville à la recherche d’un emploi, on aide l’entreprise », a justifié le chef de l’État, qui mise sur « l’émancipation des habitants pour éviter l’assignation à résidence ». Une vieille rengaine que les banlieues connaissent bien et ont eu droit pendant la dernière campagne présidentielle. Objectif de la mesure : favoriser les entreprises qui embauchent des personnes vivant dans les quartiers et non pas celles qui créent de l’emploi dans ces territoires. L’expérimentation concerne une dizaine de territoires : la Seine-Saint-Denis, Evry-Grigny, Marseille, la Métropole de Lille…

Ce dispositif est loin d’être révolutionnaire puisqu’il a été lancé puis abandonné par François Hollande entre 2013 et 2015. Depuis son bureau de Bercy, l’ancien ministre de l’Économie a dû voir passer cet échec cuisant : fin 2014, seuls 250 jeunes de moins de 30 ans vivant en zones urbaines sensibles (ZUS) avaient été embauchés. Quarante ans après le premier « plan banlieue » , les quelque 1 500 quartiers politique de la ville continuent d’afficher un taux de chômage près de trois fois supérieur au taux national et un taux de pauvreté de 40%.

Ce volet emploi est complété par un volet de lutte contre les discriminations à l’embauche. Emmanuel Macron s’est dit favorable au dispositif « name and shame » : deux CV identiques sont envoyés à une entreprise en incluant dans l’un des CV des critères potentiellement discriminants (nom de famille, sexe, âge, adresse). Les noms des sociétés qui ne respectent pas la loi pourraient être publiés. C’est là encore du déjà-vu et rien de moins qu’une reprise de ce qui a déjà été fait par Myriam El Khomri. En mars 2017, l’ancienne ministre du Travail et collègue d’Emmanuel Macron avait initié une opération de testing auprès de quarante groupes français (et dont le coût pour le ministère du Travail s’était élevé à plus de 200 000 euros, comme vous le révélait le Bondy Blog). L’opération s’est soldée par la publication des noms des entreprises mauvaises élèves. Une mesure à elle seule qui est loin d’être suffisante pour lutter contre les discriminations, dont le coût économique atteint les 150 milliards d’euros, soit 6,9% du PIB, sur la base de 2015.

Le retour de la police de proximité

« Remettre la République au cœur des quartiers ». Pour ce faire, le « plan de bataille » d’Emmanuel Macron n’est pas nouveau, là encore, puisque le chef de l’État a rappelé la création de 10 000 emplois de policiers et de gendarmes au cours des cinq prochaines années, qui bénéficieront en grande partie aux quartiers prioritaires de la politique de la ville. « Ce sont aussi dans ces quartiers que sera expérimenté la police de sécurité du quotidien », mesure sécuritaire phare de Macron. C’est le retour de la police de proximité, lancée par le gouvernement socialiste en 1998 puis abandonnée en 2003. Rien ne nous dit si cette police nouvelle version permettra de changer les modes d’intervention des forces de l’ordre en banlieue, véritable problème comme l’ont encore montré la mort d’Adama Traoré en juillet 2016 et le viol présumé de Théo en février dernier.

Le Président a rappelé que cette police aura des droits renforcés, comme celui d’attribuer des contraventions pour détention de cannabis. Objectif : punir cette infraction sur le champ plutôt qu’après un long processus judiciaire qui « engorge » les tribunaux et interdire le délinquant de “fréquenter le quartier” pendant un certain temps. Une mesure d’éloignement décidée “sous le contrôle” d’un juge, précise Macron, mais qui interroge en matière de libertés individuelles.

Toujours sur le volet sécuritaire, il a été question de lutte contre la radicalisation « qui mine les quartiers », a affirmé Macron, « car la République a démissionné et parce que nous avons laissé dans de trop nombreuses communes et quartiers des représentants d’une religion transfigurée, déformée, qui portent la haine et le repli, apporter des solutions que la République n’apportait plus ». Macron refuse néanmoins de confondre « les quelques milliers de radicalisés et les millions d’habitants des quartiers populaires ». Il est prévu « une quinzaine de plans de lutte » contre ce phénomène d’ici au début de l’année 2018, mais aucune précision supplémentaire n’a été apportée, étonnant quand on sait que le Président en a fait sa priorité.

Une idée fixe transparaît comme fil conducteur tout au long du discours d’Emmanuel Macron : la volonté de ne pas proposer « une politique spécifique » pour les quartiers. Au moment où la politique de la ville souffle sa quarantième bougie, le chef de l’État mise sur une action englobante et veut démontrer qu’il n’existe pas deux clans : d’un côté, les Français les plus riches qui profiteraient de la politique économique du gouvernement, et de l’autre des mesures sociales adressées aux classes populaires des quartiers difficiles. Pas d’énième « plan Marshall » pour les banlieues… mais en même temps une série de mesures spécifiques à destination des quartiers.

Leïla KHOUIEL

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