Docteur en économie, enseignant à Sciences Po, directeur associé de l’agence Campana Eleb Sablic… Frédéric Gilli est aussi lauréat du prix du jeune urbaniste. Réforme territoriale, Grand Paris, métropole, cet universitaire revient sur ces notions dans un entretien qu’il nous a accordé. Interview. 

Si vous deviez expliquez ce qu’est le Grand Paris, donner une définition simple, quelle serait-elle ?

Aujourd’hui dans le grand public, le Grand Paris c’est deux choses. C’est d’abord historiquement un métro dont le nombre de ligne et la forme a varié, mais dans l’idée globale c’est qu’il y a enfin un métro en banlieue et c’est un métro qui va rejoindre de banlieue en banlieue, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest en passant finalement assez peu par Paris. Et la banlieue a son métro c’est le Grand Paris, le Grand Paris Express.

Les travaux ont été confirmés, engagés, les financements sont là, alors tout n’arrivera peut être pas à se faire mais il y a deux-trois lignes qui devraient arriver à se construire dans les 10-15 années qui viennent. Ça c’est un premier élément.

Le Grand Paris, après, c’est aussi une chose qui est en cours de construction, qui d’après la loi devrait naitre le 1er janvier 2016 et qui est ce qu’on appelle une grande intercommunalité ; le regroupement de toutes les communes de paris, du Val de Marne, de la Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine dans une seule grande commune, une seule grande intercommunalité qui s’appellera la métropole du Grand Paris. Cela veut dire qu’on va regrouper les services publics et les harmoniser entre la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine et Paris, on va harmoniser la fiscalité entre la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine, Paris et le Val de Marne. On va prendre de l’argent partout et le redistribuer partout, mais comment ? Si on regroupe tout le monde, ça va créer d’énormes débats entre élus, entre services sur non seulement, qui devient le chef ? Mais aussi, qui paye quoi ? À quel rythme on va organiser tout ça, est-ce que le 1er janvier 2016 on dit que c’est les mêmes taxes et les mêmes services à Neuilly et à Clichy-Montfermeil ? Ou est-ce qu’on considère que ça peut pas se faire tout de suite, que ça prend du temps, et si ça prend du temps qu’est-ce qui arrive d’abord, qu’est-ce qui arrive après ? C’est de ça que nos élus sont en train de discuter. Deuxième source de difficulté entre tout ça, c’est qu’entre les communes et la métropole la loi a décidé d’installer des « grands territoires ».

Qu’entendez-vous par « grands territoires » ?

Ce sont des groupements de communes qui reprennent, pour les endroits où ça existait déjà, des grandes intercommunalités de la proche couronne. Plaine Commune c’est 350 voir 400 000 habitants, ça va devenir un territoire de la métropole. Est Ensemble c’est 400 000 et quelques habitants, ça va devenir un territoire de la métropole aussi. Il y a d’autres endroits dans la première couronne où ces groupements n’ont pas eu lieu. On n’a pas encore le contour, on le saura à la fin de l’année. Il va y avoir une proposition du préfet d’Ile-de-France là, en décembre ou en janvier.

Pourquoi le Grand Paris est souvent perçu comme une notion complexe, difficilement compréhensible et que les gens ne se sentent pas vraiment impliqués ?

Les gens sont super impliqués et comprennent très bien. Je fais des débats tous les soirs c’est très tangible pour eux. Ils ne savent pas ce que ça va recouvrir, mais personne ne sait. Même moi, je bosse dessus au quotidien et je ne sais pas. Parce que tout ça est en travail. Je me bats assez là-dessus. C’est complexe aujourd’hui, c’est confus, mais c’est plutôt bien que ce soit confus, ça fait discuter. On aurait préféré quoi ? On aurait préféré que des élus et des députés décident du jour au lendemain comment cela doit se faire ? Moi, je déplore que ce débat se fasse sans les habitants.

Mais, je trouve très bien que ce débat prenne du temps, que ça ne soit pas tombé d’un seul coup comme ça. Il faut que les élus aient leur mot à dire, puisse se bagarrer etc. On voit que la position qu’ils ont dans le débat change un peu dans le temps, ça construit des oppositions politiques, pas forcément droite et gauche. Il y a des points de vues différents qui se font dans la métropole qui sont en train de se construire, on est dans une démocratie c’est très bien qu’il y ait du débat. Je déplore en revanche profondément que les seuls qui aient accès à cette discussion soient les « technos » et quelques élus.

Quand vous dites « quelques élus » à qui pensez-vous ?

Les  élus qui y participent activement à savoir les maires. Les conseillers municipaux sont largués, les chefs d’entreprises ne sont pas là, les associations ne sont nulle part, les habitants on n’en parle même pas. Ça aurait dû, et ça devrait être, un moment très intense de débat démocratique collectif sur ce que l’on veut faire de cette métropole. Est-ce que c’est juste une affaire des élus locaux de discuter entre eux de la répartition de la taxe ? Ça concerne tous les citoyens. Peut-être que les citoyens ont envie d’une métropole plus égale, ou d’une métropole plus ghetto et à ce moment-là ça se discute et ça se débat.

Il y a un risque de décrochage démocratique alors que jusqu’à présent, et j’en ai fait des enquêtes sur la métropole et sur le Grand Paris, c’est un sujet sur lequel les Franciliens sont super chaud, ils sont très intéressés. Ils ont un point de vue sur ce qu’est la métropole, sur ce qu’est le Grand Paris, sur eux dans le Grand Paris, sur leur territoire dans le Grand Paris, eux et leurs élus dans le Grand Paris, qui devrait décider dans le Grand Paris. Il y a des points de vue et chacun a un point de vue, la démocratie c’est de faire exister et coexister ces points de vue pour que les élus puissent décider. Mais, pour le moment, il y a eu une loi décidée par des parlementaires et les élus sont en train de discuter ensemble de comment est-ce qu’ils pourraient discuter cette loi. On est quand même assez loin d’un grand mouvement démocratique.

La semaine dernière, le Premier Ministre Manuel Valls, défendait le projet de réforme territoriale devant le Sénat. Qu’est-ce que cette loi va changer pour l’Ile-de-France ?

L’Ile-de-France a fait l’objet d’un traitement à part. Dans cette loi là, il n’y a pas de transformation particulière, majeure pour la région. C’est surtout la loi MAPTAM (modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles) qui change les choses pour l’Ile-de-France. Par exemple, la disparition des départements. Elle n’est pas actée dans la loi MAPTAM, elle est ouverte comme une possibilité ou comme une éventualité à termes. Il n’y a pas d’horizons. En gros, pour le moment, le travail est en cours.

Le Grand Paris, c’est pour le moment le Grand Paris Express, ensuite c’est une métropole, et cette métropole on sait qu’elle arrivera en 2016. Elle sera décisive et complètement installée aux élections municipales de 2020 et d’ici là, toute la question est de savoir comment ça se construit. Au-delà de ces deux éléments-là, le Grand Paris c’est une transformation radicale et historique de la région parisienne. Cette transformation concerne tous les domaines de l’organisation de la région parisienne.

En d’autres termes, le Grand Paris, c’est l’adaptation d’un territoire et de ses habitants aux nouveaux défis que le monde est en train de leur poser, aux nouvelles conditions d’existence de ce territoire dans le monde, en Europe et en France. C’est pour cela que c’est aussi long d’un certains côté, parce que ce n’est pas simple. Ce n’est pas comme si on changeait le conseil d’administration d’un groupe du CAC 40. On change la façon que les habitants ont de vivre et de décider ensemble de ce qu’ils vont faire plus tard.

Vous dites que la disparition des départements n’est pas actée dans la loi. Mais, demain avec l’installation du Grand Paris s’installe, n’y aura-t-il pas un risque que les départements disparaissent malgré tout ?

Un risque ou une chance ?

Comment le voyez-vous?

Ça va dépendre de la manière dont tout cela se va réorganiser. La question que ça pose c’est quelles sont les prérogatives de la métropole et quels sont les enjeux auxquelles la métropole doit répondre ? La métropole ne doit pas organiser dans le détail tous les petits trucs de la vie quotidienne. La façon de vivre au quotidien c’est les communes ou les territoires qui vont s’en occuper. La métropole est là pour garantir qu’il y ait plus d’égalités et ça passe par la fiscalité, par les services publics et sociaux notamment. Il se trouve qu’aujourd’hui la politique sociale est gérée par les départements.

Si on remonte à la métropole toutes les politiques sociales menées par les départements aujourd’hui, en partant du principe qu’il n’y a pas de raison que la Seine-Saint-Denis ait moins de capacité d’intervention que les Hauts-de-Seine, et bien, moi je dis qu’on prend l’argent des Hauts-de-Seine et on le met en Seine-Saint-Denis donc on fusionne les deux départements. Ces politiques sociales elles sont menées à l’échelle métropolitaine pour créer plus de solidarité effective. La métropole doit aussi permettre que les territoires ne se fassent pas la guerre entre eux. Qu’il n’y ait pas de ghetto, c’est-à-dire des endroits où on va concentrer un certains nombres de problématiques et qu’à d’autres endroits on ne fera rien. La métropole doit être en mesure de garantir qu’on fera y compris dans les endroits où on n’arrive pas à faire aujourd’hui (du logement social, du logement tout court…).

En d’autres termes si les départements étaient amenés à disparaître ce serait la métropole qui gérerait les collèges…

Dans la nouvelle loi, ce serait la région qui s’occupe des collèges. Cela pose un problème, parce que ça en fait quand même beaucoup. La métropole devrait récupérer tout ce qui est de l’ordre de l’égalisation de vie entre les territoires. Elle doit contribuer non pas seulement à partager plus équitablement les perspectives de demain mais elle doit activement contribue à rétablir l’égalité effective entre les habitants des différents territoires de la région parisienne. Après dans le détail, les horaires d’ouverture des piscines, la collecte des ordures ménagères, ça c’est au territoire de s’organiser. On ne va pas faire cela à l’échelle de 6 millions d’habitants.

Que deviendraient les conseillers généraux ? Auront-ils un mandat d’élus politiques ou leurs fonctions sera-t-elle supprimée ?

Si les départements disparaissent, ils disparaissent.

Les conseillers généraux peuvent faire remonter certaines problématiques plus haut, avoir un rôle d’élu de proximité. La suppression de ce mandat électif pourrait-il retirer cette proximité entre élus et habitants ?

C’est le principe des territoires, ça dépend comment ils fonctionnent. En gros, il y aura deux voir quatre territoires par départements donc à l’échelle des territoires il devrait y avoir une vie politique intense qui permette au maire et aux élus territoriaux de faire vivre localement le projet du territoire et en même temps ces territoires suffisamment costaud, pour porter une parole politique à l’échelle de la métropole. La question que ça pose c’est la relation métropole-région. La discussion en ce moment c’est : dans quelles mesures la métropole peut s’étendre progressivement ?

Dans certains quartiers populaires, des villes n’ont pas un accès convenable aux transports en commun. Prenons l’exemple de Clichy (93). Un habitant de cette commune mettra combien de temps pour rejoindre la capitale avec l’arrivée du Grand Paris ?

J’ai travaillé un peu sur Clichy dans le cadre de l’arrivée du tramway. Je trouvais que certains habitants reformulaient cette question-là de manière très pertinente. Effectivement, aujourd’hui il y a un problème d’accès, mais si on est ambitieux pour l’avenir, la question ne doit pas être combien de temps on met depuis Clichy pour aller à Paris, mais est-ce que ces transports-là vont faire de Clichy un quartier de la métropole comme les autres. En fait : si on veut rester on pourra rester, si on veut bouger on pourra bouger et puis voir des habitants d’ailleurs qui pourront venir travailler à Clichy. La question c’est retrouver le droit commun du confort, de la qualité, de la quantité de service. Pas de services publics juste mais services des commerces, des salles de sport…etc. Je pense que c’est ça qui est en train de se jouer.

Quand on parle du Grand Paris, on pense surtout aux transports mais il y aussi la notion de développement économique. Comment s’inscrit-elle dans le Grand Paris ?

C’est le grand impensé du Grand Paris. D’abord on n’en parle pas en générale, ça règle la question. En France, on a tendance à considérer que soit ça se fait tout seul, soit c’est un sujet difficile à aborder parce que périlleux politiquement. À droite ça se fait tout seul et à gauche c’est périlleux de parler des entreprises. Résultat, personne n’en parle, ni la droite, ni la gauche et c’est dommage parce que ça ne se fait pas tout seul.

Il y a eu une période où le projet du Grand Paris avait stagné. Depuis, il a repris. Pensez-vous qu’il soit dans une bonne dynamique aujourd’hui ?

En tous cas les choses sont enclenchées. On reparle de projets, il devrait y avoir de nouvelles lignes de transports, il y a des projets d’aménagements, on voit des projets de centre ville de qualité, il y a des choses qui sont censées facilité la vie des gens et qui sont en cours de réflexion, on parle même de jeux olympique, d’expositions universelles. Il y a un souffle qui est en train de se créer autour de ça.

Finalement, y-a-t-il un risque d’augmentation du prix du foncier, que les loyers explosent avec l’arrivée du Grand Paris et que cette situation oblige des individus à quitter leur logement car ils n’auraient plus les moyens de régler leur loyer ?

Oui, et c’est une inquiétude qui est légitime. Elle est souvent négligée par les élus qui peuvent considérer que parce qu’ils ont un projet urbain les habitants doivent se sentir rassurer, mais cette angoisse s’exprime. Il y a ainsi une tension entre une attente de ce que le Grand Paris pourrait apporter de positif (métro, diminution des inégalités, etc.) et une crainte de ce que l’arrivée du métro ou un « rapprochement » de Paris pourrait amener comme hausse des prix. Les gens vivent avec à la fois l’opportunité de faire pleinement partie d’un grand territoire métropolitain et la menace d’en être immédiatement exclu ou rejeté. On pourrait penser que cette angoisse s’exprime uniquement dans les quartiers populaires mais elle traverse toute l’Ile-de-France.

Frédéric Gilli est aussi l’auteur de Grand Paris, l’émergence d’une métropole, Les presses de Sciences Po (2014)

Propos recueillis par Imane Youssfi

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