MUNICIPALES 2014. Maire d’Aulnay-sous-Bois depuis 2008 et vice-président du conseil général de Seine-Saint-Denis, Gérard Ségura est candidat à sa propre succession. Fermeture et réindustrialisation de l’usine PSA d’Aulnay et éducation, deux gros chantiers du mandat qu’il a évoqués lors d’un entretien. Interview.

Si vous deviez établir un bilan, un résumé des principales actions que vous avez menées durant ces cinq années et demie à la mairie d’Aulnay, ce dont vous êtes le plus fier, quel serait-il ?

La fierté c’est un élément subjectif et là je vais essayer d’être objectif ! D’abord, d’avoir réalisé un engagement important celui de la déconstruction sous protection et ambiance confinée de l’ancienne usine d’amiante, qui a produit de l’amiante, de la cryolithe, la plus dangereuse et qui a déjà tué des dizaines de salariés, d’habitants du voisinage et d’anciens élèves de l’école du Bourg, qui est l’école maternelle juste à côté de l’usine. Nous avons nettoyé cette usine d’amiante, prix d’investissement : 17 millions d’euros.

C’était votre projet ou un projet qui était déjà en cours ?

Non, ce n’était pas en cours. La question de l’usine d’amiante a été débattue de manière très contradictoire lors des conseils municipaux des cinq ou huit années précédentes. Le début de la véritable mise à jour et mise à nue des problématiques de cette usine s’est fait lors d’une première réunion publique en janvier 2005 qui est la première grande discussion, décision, qui a lieu sur toute cette question. On était en pleine contradiction, en plein débat, en pleine polémique puisque l’ancienne municipalité considérait qu’il n’y avait pas de pollution tout simplement. Et d’ailleurs l’ancien maire (NDLR : Gérard Gaudron, UMP) avait dit que ça ne lui poserait aucun problème d’installer son bureau à l’intérieur de l’usine désinfectée.

Il ne l’a pas fait ?

Non, il ne l’a pas fait et il a eu raison de ne pas le faire parce que lorsqu’on a commencé à démonter l’usine on s’est aperçu qu’il y avait des kilos d’amiantes entreposés sur le toit, sur le plafond, dans les murs, sans service d’isolation. Cette saleté tue en général jusqu’à 40 ans après… Cette usine mesurait 7 000 m² quand même ! D’ailleurs, on a obtenu de l’Etat qu’il lance dans tous le pays, surtout en Seine-Saint-Denis, une enquête épidémiologique pour tous ceux qui ont habité pendant une période à proximité de cette usine à se rendre rapidement, dans l’hôpital désigné, il y en a un par département, pour faire les visites de contrôle.

Donc ça c’est un gros dossier, mais il y a aussi le cas de PSA Peugeot Citroën Aulnay qui a dû peser…

Oui évidement, mais ce n’était pas un de nos objectifs puisque nous n’avons ni l’objectif de fermer ni d’essayer d’empêcher de fermer. C’est l’histoire de PSA qui nous y a amené.

Ce n’était pas un objectif d’empêcher de fermer mais c’est quand même une responsabilité quand on est maire d’une grande ville ?

J’entends bien, mais je vous parle du bilan en rapport avec le programme et on ne l’avait pas dans le programme ça. C’est comme la gare du Grand Paris on l’avait pas non plus.

Ils vous disaient qu’ils comptaient fermer à cette époque-là ?

Attendez, je vais vous raconter ça dans deux minutes. On avait une discussion avec eux sur l’opportunité de mettre en œuvre dans le cadre du plan de développement économique de la ville que l’on avait annoncé en juin 2008, donc au lendemain des élections, lors d’une réunion en présence de Jean-Paul Huchon et Claude Bartolone, qui sont respectivement président de la région et du département. J’avais présenté le plan de développement économique de la ville dans lequel il y avait les 80 hectares de PSA qui étaient inutilisés et qui ont toujours été inutilisés. L’idée était que dans le cadre du développement économique de la ville, PSA mette en jeu les 80 hectares de manière à y installer des industries.

C’était quoi, il fallait qu’ils les louent ? Qu’ils les vendent ?

Tout était ouvert, perspective de vendre, de louer, d’installer…

Mais alors, qu’est-ce qu’on en fait de cette usine ?

La question est de savoir est-ce qu’on fait un deuil infini ou alors on essaye tout en ne lâchant pas la question sociale, l’appuie aux salariés, d’essayer de trouver le moyen de reconstruire une économie dans cette ville. En gros, PSA c’est quatre grosses conséquences : une douleur symbolique extrêmement importante, une douleur sociale réelle, à savoir 200 familles à Aulnay dans de grandes difficultés et qu’on n’est pas sûr de pouvoir accompagner en tous cas complètement jusqu’au bout, mais au moins on le fait, une douleur économique, on y reviendra sur le plan de développement économique dont je parlais tout à l’heure, donc un signal économique très, très négatif. Et enfin, une douleur fiscale et budgétaire puisque les derniers calculs nous disent qu’on est entre 3 millions et 3 200 000 euros, c’était à l’époque à partir de 2017 mais comme l’usine ferme plus tôt certainement à partir de 2016 maintenant. Peut être 3 millions et demi… Cette année nous avons déjà perdu 640 000 euros parce que la nouvelle taxe qui s’applique au foncier est calculée sur la valeur ajoutée en bonne partie et notamment sur la valeur ajoutée des personnels. Le départ de 700 à 800 personnes a pesé déjà sur les conséquences fiscales sur la ville. Actuellement, la discussion la plus dure qui se mène avec PSA c’est sur le devenir du terrain. PSA bien utilisé, bien aménagé et bien structuré en industrie à haute valeur ajoutée et notamment sur les segments de l’aéronautique et de la robotique.

Ça veut dire quoi ? Vous avez des pistes concrètes sur la réindustrialisation du site ?

L’objectif c’est que ce soit de l’industrie à haute valeur ajoutée, de la formation qui accompagne l’industrie…

Mais vous avez forcément une petite idée de ce que deviendra ce site ?

J’ai forcément une petite idée mais je ne vais d’ailleurs pas vous donner toutes mes idées et je ne vais pas vous donner toutes mes informations parce qu’elles sont du domaine de la discrétion nécessaire dans ce genre de discussion. Je vous dirai tout ce que je peux vous dire, je ne vous cacherai rien mais je ne vous dirai pas tout.

Si vous ne nous dites pas tout, c’est que vous nous cachez des choses ?!

Ah non ! Je ne vais pas vous dire des choses que je ne peux pas vous dire.

Dans ce cas-là, dites à partir de quel moment vous avez su que cette usine allait vraiment fermer.

Alors je reviens un tout petit peu en arrière, nous étions en train de discuter sur les 80 hectares. Sur le moment on n’a pas compris mais à un moment donné ces discussions qui ont duré un an et demi et qui semblaient avoir un débouché se sont arrêtées avec PSA. Ce n’était pas un dossier qu’on avait en chantier donc on a laissé courir. En juillet 2011, la CGT a rendu publique la note confidentielle, à partir de là on s’est dit qu’il y avait forcément quelque chose. Lors du bazar médiatique que cela a provoqué je les ai contactés. Le numéro 2 du groupe, Denis Martin, et ses adjoints ont débarqué ici et la main sur le cœur ils ont juré leur grand Dieu qu’en aucun cas ils fermeraient. Ce qui m’a fait douter sérieusement c’est la phrase qu’il a ajoutée ensuite « d’ailleurs la meilleure preuve que nous ne fermerons pas c’est le fait que nous n’avons plus l’intention de vendre les 80 hectares», là je me suis dis qu’il y avait anguille sous roche.

Qu’est-ce que cela signifie-t-il ?

Ça veut dire que s’ils ont réservé leurs 80 hectares ils avaient d’autres visées derrière d’une part, et que s’ils étaient capables de mentir de façon éhontée sur les 80 hectares ça veut dire qu’ils étaient capables de mentir sur tout et notamment sur la fermeture de l’usine.

Et qu’est-ce qu’on va faire alors sur ce site ? On fait la Silicon Valley dans le 93 ?

N’essayez pas de me faire dire des choses, n’essayez pas vous ne m’entraînerez pas !  Ce qui est assez étonnant dans cette affaire-là c’est que le groupe a géré, comme lui a demandé le Président de la République précédent, de ne rien mettre sur le tapis avant l’élection présidentielle. Et lorsque Denis Martin est venu là pour me dire « je vous assure qu’il n’y aura pas de fermeture » et bien il répondait à des ordres très politiques et très précis du gouvernement de l’époque. Ils ont très bien caché les choses.

Mais depuis plus de 20 ans, les rumeurs de la fermeture d’Aulnay courent…

Mais depuis 40 ans j’entends que l’usine d’Aulnay va fermer ! Depuis 40 ans la question de la fermeture de l’usine est posée, depuis au moins 30 ans ! Peut-être pas les 10 ou 15 premières années mais bien sûr on a tous grandi dans cette affaire là ! Moi je suis arrivé à Aulnay j’avais 19 ou 20 ans et déjà on parlait de la fermeture du site. Parce que le site est un site qui est évidemment extrêmement stratégique et que donc la fermeture de PSA Aulnay a toujours été une des questions posées et qui a été en fait avec une politique en dents de scie. On a eu des informations continuelles. C’est vrai que c’est dans l’air du temps depuis plus de 25 ans vous avez raison là-dessus, et alors ? C’est vrai aussi pour la plupart des grands sites industriels. Vous croyez que quand on est dans une région où on a une monoculture industrielle, c’est ça le vrai problème c’est que tout le monde était inquiet dans cette ville par le départ de PSA. Il se trouve qu’entre temps on a eu la réforme de la taxe professionnelle, mais si jamais PSA avait fermé avant cette réforme, dont on a la compensation au moins jusqu’à ce qu’elle représentait il y a deux ans, c’est près de 45 millions d’euros qu’on aurait perdu et là, c’en était fini pour la ville. Vous voyez, pourtant, c’est pas une réforme que j’ai défendu puisqu’elle représentait en gros de piquer du pognon à toutes les collectivités. Mais pour Aulnay ça a sauvé la ville. Autant 3 millions ça se récupère par une politique industrielle de repeuplement, ça se récupère en faisant pendant les temps difficiles quelques économies mais pas 45 millions. 45 millions je mettais la clé sous la porte et j’allais à la pêche.

Le dossier PSA Aulnay est très passionnant mais on voudrait passer à un autre domaine que vous, ancien professeur et directeur d’école, connaissez très bien, à savoir l’éducation. Sur votre tract figure la phrase « cette ténacité nous a aussi permis de remettre à niveau le patrimoine scolaire ». C’est une phrase magnifique, mais qu’est-ce que ça veut dire ?

Alors, en gros cette année, pendant l’été on a consacré 2 800 000 euros à réhabiliter nos écoles.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire à refaire toutes les toilettes par exemple.

Toutes les toilettes ?

Oui les toilettes, vous savez on va aux toilettes dans une école. C’est important pour le bien-être des enfants.

Vous ne pouvez pas nous dire que vous remettez à niveau le patrimoine scolaire et que vous consacrez 2 millions d’euros aux toilettes…

Le patrimoine scolaire en bon Français c’est les murs, c’est les cours, c’est les lampadaires, c’est les chiottes hein !

Les gens demandent des profs, des surveillants, des classes moins chargées et vous  parlez des murs et des toilettes ?

Mais mon boulot de maire à Aulnay c’est pas de régler le problème, comme citoyen je vote et j’influence mes députés ou mon parti pour qu’en effet la politique scolaire soit établie.

Mais vous êtes aussi vice-président du Conseil général de Seine-Saint-Denis.

D’accord, mais là il ne s’agit pas des collèges et des lycées mais des écoles de la ville donc moi, mon boulot de maire, c’est que quand ça pue dans une école parce que les toilettes n’ont pas été rénovés depuis quinze ou vingt ans et bien c’est de dire : on va rénover. Vous prenez ça à la rigolade mais ce n’est pas de la rigolade ! L’opposition en rit au conseil municipal, mais on a eu un plan réfection des toilettes, on y a mis 3,5 millions d’euros sur les quatre années qui viennent de passer.

Mais quand on est en décrochage scolaire…

Attendez si vous me parlez de décrochage scolaire…

Oui, nous vous parlons des vrais problèmes de l’école.

Les toilettes, c’est les vrais problèmes de l’école !

Ce qu’on essaye de vous faire comprendre c’est que nous aussi avons fait notre scolarité dans des quartiers populaires et les problématiques auxquelles nous étions le plus souvent confrontées c’était le décrochage scolaire, les classes surchargées, le manque de profs…

J’entends bien et je ne dis pas que ça n’a pas d’importance mais je dis que les conditions matérielles dans lesquelles les élèves travaillent sont essentielles. Quand vous avez par exemple des cantines dont on n’a pas fait la sonorisation et que vous avez des gamins qui pendant une heure et demie ou deux heures mangent dans un bruit infernal.

Nous nous souvenons davantage de l’absence de professeurs de Français pendant un an que des toilettes sales ou des réfectoires où il y avait du bruit.

En l’occurrence je suis interviewé en tant que maire de la ville d’Aulnay et quand je parle du patrimoine scolaire je parle des meubles, des murs. De manière générale, quand on vit dans des conditions qui sont dégradées on ne vit pas bien. Et quand on enseigne, qu’on apprend dans des conditions dégradées on enseigne mal et on travaille mal. Quand vous avez des préfabriqués qui depuis 45 ans n’avaient pas été changés, j’ai enseigné dans ces préfabriqués à l’école Ambourget au début de ma carrière, et tellement c’est pourri que vous avez des rats gros comme des kangourous qui circulent toute la journée ! Vous voyez c’est pas des conditions idéales pour travailler !

Autre sujet très important, la réforme des rythmes scolaires. Vous avez décidé de ne pas la mettre en place cette année. Avez-vous vraiment l’intention d’appliquer cette réforme ?

Oui, à part si des évènements graves amenaient le gouvernement à décider autrement, mais oui je vais la mettre en place. Je pense sincèrement que cette réforme peut permettre de changer pas mal de choses, même si la grande difficulté est que ce sont aux villes de payer et ça c’est un vrai problème, parce qu’en fonction de leur capacité, elles pourront le faire plus ou moins bien.

Cela ne va pas accentuer des inégalités ?

C’est une possibilité, mais là justement, la ville peut veiller.

Pour conclure sur ce sujet, il y a des inégalités entre le Nord et le sud de la ville d’Aulnay qui existent vraiment aujourd’hui. Cette situation ne va-t-elle pas accentuer cette inégalité de territoire ?

Pour une ville elle-même, ça ne va pas accentuer les inégalités. Vous avez une politique municipale, à partir du moment où elle est faite correctement au contraire vous pouvez même les diminuer petit à petit. Mais là où il y a un problème c’est entre nous et Sevran par exemple. Sevran n’a pas d’argent, nous on a des difficultés mais Sevran n’a pas d’argent c’est une ville pauvre. Je pense à Stains par exemple, ce sont des villes très pauvres évidement ces villes-là auront plus de difficultés qu’Aulnay. Nous on peut, puisqu’on a encore quelques moyens et la possibilité avec la réforme des rythmes scolaires d’aménager toute la partie péri-scolaire, de rendre ce qu’on fait déjà beaucoup mieux, par une meilleure concentration, par une politique de recrutement et d’abandon de la précarisation.

Propos recueillis par Widad Ketfi et Imane Youssfi

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