Ils s’étaient baptisés le Collectif Jeunes motivés héninois pour faire campagne contre le Front National (FN). Eux sont des lycéens, étudiants, jeunes travailleurs de sensibilité de gauche originaires des cantons de Hénin-Beaumont. Mais leur énergie et leur mobilisation n’avaient pas suffit à empêcher Steeve Briois, l’actuel vice-président aux exécutifs locaux et à l’encadrement au FN d’être élu, en mars 2014, dès le premier tour, maire dans cet ex bastion socialiste au cœur du bassin minier du Nord-Pas de Calais.
Quatorze mois plus tard, le Collectif est en sommeil. Il vise le long terme. A l’heure actuelle, chacun reprend son souffle et continue en parallèle sa route, en militant au sein du parti politique auquel il adhère par exemple : le Parti Communiste Français (PCF), Europe Écologie Les Verts (EELV) ou le Parti Socialiste (PS). Mais il subsiste déjà quelque chose de cet engagement commun : Judicaëlle, Adrien, Christophe, Sarah, Fleurine, Alexis, Maxime et Romain sont devenus amis, au delà de leurs différences politiques qui ne manquent pas de s’inviter dans des discussions animées quand ils se rencontrent.
Ce samedi d’un pont de mai, Judicaëlle, étudiante en licence et adhérente au Mouvement des Jeunes Socialistes a convié ses camarades de l’ex Collectif dans le pavillon familial pour honorer une promesse de repas africain et faire découvrir à ses amis poulet yassa et mafé concoctés avec l’aide de ses petites sœurs, Marguerite et Maéva.
Dans le salon des parents de Judicaëlle, c’est l’occasion de faire le point, un an après. Certains montrent du fatalisme comme Alexis, manipulateur radio en clinique, sonné par les bons scores du FN aux dernières élections départementales ou comme Christophe, adjoint administratif, encore déçu par l’alliance PCF (dont il est adhérent) avec le PS qui, selon lui, n’a servi à rien pour contrer la progression du Front National. Et pour les prochaines élections régionales ? « On va voter pour le FN, comme ça, cette fois, on sera sûr de gagner… » plaisante Alexis, ironique, mais bel et bien dépité.
« On ne perd que les campagnes qu’on mène ! »
Judicaëlle tente de regonfler le moral des troupes : « On ne perd que les campagnes qu’on mène ! C’est peut-être parce que je suis la plus combative du groupe mais il ne faut jamais partir vaincus d’avance, jamais…». Sarah, lycéenne en terminale acquiesce « et si tu fais de la politique juste pour que ton parti soit toujours le premier, tu n’arriveras à rien… ». Christophe enchaîne néanmoins les tacles contre le gouvernement. « Mais personne ne t’a demandé de défendre la politique de Manuel Valls, c’est que je te répète à chaque fois ! » répond énergiquement, l’amphitryonne de la soirée. Amis dans la vie certes mais joute verbale garantie quand le militant PCF discute de politique nationale avec la militante MJS !
Un an de mandat Briois plus tard, le bilan n’en est pas moins amer. « On n’assiste pas au conseil municipal tellement c’est devenu un cirque permanent » déplore Adrien, licencié en histoire, en recherche de formation et membre actif du PCF. « Pour le reste, le maire est très bien conseillé et fait de beaux coups de communication. Comme quand ils ont organisé la manifestation post attentats de Charlie Hebdo après celle de l’opposition, mais en avançant l’heure, pour apparaître les premiers, puis, en s’affichant avec l’imam de la ville. Et puis si on écoute leur com’, tout ce qui sort de bien, même si cela avait été décidé sous l’ancienne mandature, c’est grâce à eux et tout ce qui dysfonctionne, c’est de la faute de l’État alors qu’avant ils accusaient l’ancienne équipe des mêmes dysfonctionnements. Bref, on est dans l’ère de la politique spectacle… ».
Passés à table, le débat politique s’arrête. Place à la convivialité pour goûter les plats des trois sœurs et laisser libre cours à la rigolade et aux blagues de potaches. Le Front National a beau régner en maître sur les communes de Hénin et de Beaumont, il n’altéra pas ce soir-là la bonne humeur de la bande de copains.
Marine Tondelier connaît bien les jeunes du Collectif. Plus expérimentée qu’eux, elle leur avait prodigué des conseils pour mener à bien leur campagne de terrain et les portes à portes lors des Municipales de 2014. Membre de la direction nationale d’Europe Écologie Les Verts, elle est en charge des Campagnes Actions et élue d’opposition au Conseil municipal de Hénin-Beaumont. Sa victoire lors de la bataille pour la présidence du conseil de surveillance de l’hôpital de la ville remportée face à Steeve Briois ne semble pas adoucir les griefs qu’elle nourrit vis à vis de la nouvelle majorité. « L’équipe précédente avait lancé tous les projets d’investissements en cours et assaini les finances de la ville ce qui a permis à Steeve Briois de baisser les impôts un mois après son arrivée donc je ne vais pas critiquer cela évidemment… Mais ce qui m’inquiète, ce sont les atteintes aux libertés individuelles. Un jour où nous tractions contre le projet TAFTA [Transatlantic Free Trade Area, «Zone de libre-échange transatlantique»], la police municipale est venue me voir pour me dire que je devais demander l’autorisation du Maire avant de tracter. Je n’avais jamais vu ça avant ! » commente la jeune attachée parlementaire jointe par téléphone.
Pour des cacahuètes…
L’ambiance électrique au Conseil municipal à Hénin-Beaumont se retrouve dans la non publication d’une tribune de l’opposition menant au saisissement du juge ou dans les empoignades autour d’un dépôt de gerbe lors de la commémoration du 8 mai 1945.
Même manger une cacahuète peut virer au clash entre Marine Tondelier et le maire de Hénin-Beaumont. « Comme je critique les dépenses trop nombreuses pour les fêtes et réceptions, je ne touchais jamais au buffet de la mairie car je savais que cela me serait reproché. Mes camarades me disaient que j’exagérais, que j’étais « parano »… Pour tester, une fois, j’ai pris 2 cacahuètes. Ca n’a pas loupé, on m’a prise en photo qui s’est retrouvée sur le mur Facebook de Steeve Briois en lien sponsorisé pour être vu par tous les abonnés de sa page avec le commentaire suivant « Après avoir demandé la suppression des réceptions pour les associations héninoises, Marine Tondelier se jette sur le buffet de la mairie. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Belle hypocrisie d’une opposition stérile… »», au delà de cette anecdote, Marine Tondelier ne décolère pas.
Si certains du Collectif des jeunes motivés héninois affirment que seule l’usure naturelle du pouvoir arrivera à bout du ou des mandats de Steeve Briois à la tête de la ville, d’autres comme Marine Tondelier ne lâchent pas l’affaire. Et si le Front National semble être bien installé pour remporter d’autres victoires électorales dans cette ville-laboratoire frontiste avec les projecteurs médiatiques du monde entier braqués sur elle, il devra compter avec une opposition un peu « groggy » mais bel et bien présente et motivée malgré les « coups de pression » dont elle témoigne.
Sandrine Dionys

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