MUNICIPALES 2014. A Saint-Ouen, la maire rouge d’origine, Jacqueline Rouillon, veut conquérir, pour la troisième fois, sa mairie. De l’autre, Karim Bouamrane, côté PS, son adversaire favori, enfant d’ici, qui a été son conseiller quelques années. Un peu plus loin, le candidat droitier, couleur UMP, William Delannoy. Saint-Ouen tremble dans le trouble.

C’est la guerre ?

Ce n’est pas du tout mon sentiment, même s’il y a deux candidats à gauche, et que c’est la première fois qu’il y a une telle chose à Saint-Ouen. C’est difficile pour pas mal d’habitants de la ville parce qu’il y en a qui veulent me soutenir et d’autres qui veulent soutenir Karim Bouamrane. Ça crée évidemment des tensions ou des disputes…

Vous le sentez ce déchirement ?

Personnellement, ce n’est pas du tout mon état d’esprit. On se connait bien avec Karim parce qu’il a été élu avec moi pendant longtemps. Ce sont des personnes qui m’ont témoigné des faits de disputes. Moi, j’essaie d’apaiser les choses. Sur le fond, je connais les uns et les autres, y compris les personnes qui le soutiennent, on n’a pas beaucoup de différences.

Alors, qu’est-ce qui se passe ?

Je pense que Karim avait envie de tenter sa chance pour être maire. Voilà.

Vous comprenez l’ambition, peut-être démesurée, d’un jeune de votre ville, qui veut devenir maire ?

Oui, je la comprends, mais je ne la partage pas. Je pense que la politique, ce n’est pas une ambition personnelle. Quand on veut être élu, on doit avoir la pêche et l’envie de s’engager. Mais pas au sens d’une carrière personnelle parce que vous vous éloignez de plus en plus de ce qui est l’intérêt général.

Vous, pourtant, dans votre carrière personnelle, vous êtes maire depuis quinze ans.

On a beaucoup discuté avec les gens qui m’entourent. C’est long de connaître une ville. C’est long de connaître la complexité des dossiers. Les enjeux sont super importants. Après, je défends aussi le fait qu’à un moment donné, il faut savoir construire la suite. C’est certainement ce que je ferai. Je n’ai pas envie de m’accrocher ad vitam aeternam comme certains maires.

On est dans un cas particulier à Saint-Ouen. Un candidat PS, Karim Bouamrane, et un candidat UMP, William Delannoy, face à vous. Qui est le danger ?

C’est William Delannoy. C’est l’UMP. Sans aucun problème. Si l’électorat me choisit ou choisit Karim, on a tout pour, après le premier tour, se rassembler pour battre William Delannoy. Lui, sa seule carte, c’est la division à gauche. Bien sûr, il représente des gens à Saint-Ouen et il fera un score. Mais la ville de Saint-Ouen, c’est une ville où on est sur des solutions progressistes. Cette campagne, qui a commencé il y a longtemps pour moi, confirme que les gens de Saint-Ouen sont du côté de la gauche qui cherche des solutions.

Si Karim Bouamrane (PS) et William Delannoy (UMP) sont au second tour, vous vous ralliez au PS ?

Je pense que c’est un scénario peu probable. Mais comme quand Bruno Le Roux était en tête pour les législatives, nous nous sommes ralliés.

Quel scénario, d’après vous ?

Les habitants de la ville ont une attitude qui les rassemblent sur l’expérience et la confiance. Je pense qu’ils savent que je n’ai jamais trahi mes promesses. C’est l’avantage des quinze ans.

Les deux candidats face à vous sont nés à Saint-Ouen. Est ce que, en tant que maire, c’est une fierté de voir éclore des enfants de la ville à ce poste ?

C’est une constante dans les villes que d’être fier que les enfants de la ville l’aiment suffisamment pour avoir des responsabilités politiques. C’est le cas d’énormément de gens de ma liste aussi. Après, je me méfie aussi beaucoup de cette expression : « Audonien de souche ». Je pense qu’on devient Audonien. C’est une ville qui a toujours connu beaucoup de brassages. L’essentiel, c’est de s’approprier ses valeurs.

En tant que maire, vous seriez fière de voir Karim Bouamrane, votre plus proche concurrent, à la tête de cette mairie ?

Non. On ne peut pas parler de fierté. Sinon, j’aurais proposé moi-même à Karim, au sein de mon équipe, de prendre la succession.

Pourquoi ne pas l’avoir fait ?

Parce que je pense que Karim est aussi porté par un parcours qui est très personnel.

C’est le cas chez de nombreux politiques.

Non. Ça peut s’analyser, mais si il y a une grosse crise de la politique en ce moment, c’est à cause de ça. Les gens n’ont pas envie de quelqu’un qui est dans l’instabilité et qui change de parcours.

Le parti communiste vit des heures compliquées dans le 93. Vous êtes d’accord ?

Ce qui m’inquiète, c’est de voir des dirigeants du parti socialiste qui décident d’éliminer les communistes de ce département. Je trouve ça très grave de vouloir éliminer cette force-là de l’échiquier politique.

On a l’impression que le message est simple : le Parti communiste a fait son temps.

Vous savez, à Saint -Ouen, aux régionales, le Parti communiste a fait 20%.

Le Parti communiste a aussi perdu de nombreuses villes aux dernières élections municipales en 2008.

Oui.

C’est inconcevable ?

Je partage pas du tout cette vision et je la combats. Je pense que le Parti socialiste aura beaucoup de mauvaises surprises, dans les années à venir, parce que les habitants auront envie de trouver des gens qui les défendent. Et aujourd’hui, la politique gouvernementale fait un mal fou. Notamment aux gens de la Seine-Saint-Denis.

Vous l’entendez ?

Oui. Beaucoup. D’abord chez les électeurs socialistes. Hier, il y avait une réunion de quartiers, un homme a dit qu’il avait voté, toute sa vie, pour le PS au second tour. Et puis, il a dit : « plus jamais ». Dans la salle, il a été applaudi.

Ces gens vont se tourner vers ailleurs.

Il y en a beaucoup qui vont se tourner vers l’abstention. Mais vous faites allusion au Front national…

On parle maintenant de votre projet concret. Premier point : l’emploi pour les jeunes. Quelle première proposition ?

Première chose : les clauses d’insertion dans les entreprises. Dans les grandes entreprises, mais pas seulement. On se rend compte, d’ailleurs, que les PME sont beaucoup plus disponibles, prêtes et réactives pour s’engager. Les grandes entreprises sont prêtes à aider et à accompagner, mais je les sens plus frileuses. Il faut qu’on soit beaucoup plus volontaristes à leur égard. Il faut que tous les jeunes de la ville puissent trouver des stages. C’est un problème majeur et je suis convaincue qu’on peut le résoudre.

Vous avez été maire pendant quinze ans. Pourquoi ce problème n’a-t-il pas été résolu plus tôt ?

Ça demande un investissement très important et régulier.

Ce qui n’était pas le cas pendant quinze ans ?

Moi, je me suis mobilisée sur le développement urbain de la ville et sur la sécurité. Donc, c’est comme d’autres sujets, on les traite mais les journées ne font que vingt quatre heures.

Oui, mais quinze ans à la tête d’une mairie, ça dure quinze ans.

Il y a quinze ans, vous n’aviez pas ce tissu d’entreprises à Saint-Ouen. Elles n’étaient pas arrivées dans la ville.

Deuxième point : la sécurité ou l’insécurité. Quelles solutions ?

Éducation, prévention et la création d’un service pour adolescents. Le constat : les adolescents ne veulent plus aller dans les structures qu’on a et où on peut les accueillir jusqu’à 12 ans. Pour ce qui est des autres structures jeunesse, ils ne viennent qu’à partir de 15 ans. On est entre deux âges. Aussi, avec les collèges, on va ouvrir des lieux pour l’accompagnement scolaire des collégiens et faire des activités qu’ils réclament. Il faut une plus grande proximité dans les quartiers.

On parle des problèmes d’insécurité.

Oui. Il faut continuer le partenariat avec la police qui doit être une police de proximité. Éventuellement, si la vidéo surveillance est efficace sur les acheteurs, ce que j’espère vraiment, il faudra continuer.

Vous êtes pour ?

Je suis pragmatique. J’essaie tout ce qui peut permettre aux gens de vivre normalement. Il ne faut pas non plus qu’à 10-12 ans, les jeunes aient envie de rester sur le trottoir pour 50 euros pour guetter la police et vendre de la drogue. Si, de ce côté-là, on a de l’efficacité, on continuera. Si ça ne marche pas, pas la peine de dépenser de l’argent inutilement.

Jusqu’ici, ça a marché ?

Le dispositif est mis en place depuis un mois et demi. Ça marche sur les acheteurs qui sont pris, mais il faut faire ça à grande échelle. Il faut qu’ils sachent que quand ils viennent à Saint-Ouen, ils prennent des risques : ils vont se faire gauler, ils vont devoir payer 120 euros et ils seront fichés.

Ça peut paraître frileux comme disposition.

Vous avez des gens qui sont contre la vidéo parce qu’ils ne veulent pas être surveillés. Je le comprends complètement. Vous en avez qui veulent que j’étende la vidéo à toute la ville. J’espère que ce ne sera jamais le cas. Donc, on a décidé de faire une expérience sur la place du 8 Mai. C’est un espace public, c’est très difficile. Ce n’est pas dans un immeuble. Il y a une plus grande liberté pour l’installation du trafic. Ils se dispersent très vite dans toutes les rues. Ils voient arriver la police presque des heures avant qu’elle n’arrive.

Qu’est-ce que vous pensez de la dépénalisation du cannabis ?

Je me pose la question sur la légalisation. Ce qui m’intéresse dans ce débat, c’est que la prohibition n’est pas efficace. Il y a une consommation du cannabis très importante. On a besoin de prévention parce que c’est très mauvais. Comme maire, c’est difficile d’appeler à la légalisation d’un produit qui est nocif pour l’être humain. Je pense aussi que si on ne s’attaque pas au coût social du problème, ce n’est pas du cannabis qu’on vendra à Saint-Ouen, mais d’autres drogues. On en est arrivé à un stade où on doit aller vers une légalisation encadrée.

Vous fumez des pétards ?

Non. J’ai même arrêté la cigarette, il y a dix ans.

Vous avez été maire pendant quinze ans. Vous n’avez pas envie de laisser votre place ?

J’aimerais avoir plus de temps personnel pour l’art, pour lire, pour aller au cinéma… Ce temps-là, je l’ai peu car le boulot de maire est énorme.

Pourquoi vous vous accrochez ?

Les décisions, on les prend ensemble. Il y a vraiment l’idée qu’aujourd’hui, dans ce contexte, c’était bien que je conduise la liste pour continuer et animer cette dynamique collective.

On répète la question : pourquoi vous vous accrochez ?

Parce que j’ai du boulot à faire. Personne ne part sans avoir une volonté que la ville populaire, que je suis aujourd’hui la seule à porter, continuera. Ce n’est pas s’accrocher, c’est créer des conditions pour la suite.

Et si ce n’est pas vous ?

Si ce n’est pas moi, j’aurais beaucoup de temps pour lire et aller au cinema.

Ce sera dur ?

Oui. Mais je pense que si ce n’est pas moi, dans 10 ou 15 ans, que ce soit Karim ou William, on verra que les gens plus pauvres seront obligés de s’exiler en dehors de Saint-Ouen. Si j’ai une raison de tenir à ce mandat, et ensuite de passer la main, c’est parce que c’est cette ville populaire que je veux garder.

Vous avez pas envie de faire la paix ?

Si. Ça me tient énormément à coeur. Et je pense qu’on la fera. Après les élections, on sera dans une autre histoire.

Vous pourriez travailler avec Karim Bouamrane (PS) s’il est élu ?

Bien sûr. Mais pas avec William Delannoy (UMP) parce que les idées ne sont absolument pas les mêmes.

Propos recueillis par Mehdi Meklat et Badroudine Saïd Abdallah

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