Les maisons cossues défilent sur l’avenue du général Gallieni qui mène au Raincy. Sur le chemin de la gare, Patrick* marche d’un pas assuré. Polo Ralph Lauren rouge pétant et bermuda printanier, il ne mâche pas ses mots. Après avoir laissé planer le doute sur la couleur du bulletin qu’il a glissé dans l’urne pour les Européennes, il assume. Patrick a voté pour Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national. « J’ai fait un vote contestataire », explique ce retraité qui vit dans le 93. Une première assure celui qui a voté à gauche toute sa vie jusqu’à la présidence de François Hollande.

Fils d’un militaire rapatrié d’Algérie après l’indépendance, il déplore « une perte de valeur », « les incivilités », « l’ensauvagement », « l’insécurité ». Pour l’illustrer, il raconte que « [s]a femme a été agressée par un chien sans laisse dans un parc ! » Contrairement à son père, il a exercé dans le civil, dans le domaine de l’aviation, indique-t-il sans s’étendre. Mais Patrick est nostalgique de l’époque où ça filait droit. « Moi, j’ai fait le service militaire », souligne Patrick.

La France est devenue une république bananière. J’ai connu l’Afrique, je sais de quoi je parle

Le racisme du Rassemblement national, il s’en dégage, son vote est immaculé, jure-t-il. « Ça n’a rien à voir avec les gens, ou avec l’immigration hein ! » L’amateurisme économique de ce parti ? « Vous pensez vraiment que ça peut être pire que maintenant ?! », rétorque le retraité en fustigeant la gestion financière du pays. « La France est devenue une république bananière. J’ai connu l’Afrique, je sais de quoi je parle. » Cet habitant, du Raincy n’hésitera pas à remettre un bulletin RN dans l’urne les 30 juin et 7 juillet.

L’extrême droite gagne des voix dans le 93

Au Raincy, l’extrême droite est arrivée en tête aux élections européennes. Cette ville fait partie des rares communes de Seine-Saint-Denis à avoir mis le Rassemblement national aussi haut. En 2019, seules deux villes avaient mis le parti d’extrême droite en tête des Européennes : Vaujours et Coubron. En 2024, ce sont sept villes de Seine-Saint-Denis qui ont majoritairement voté pour Jordan Bardella. (Le Raincy, Villemomble, Gournay-sur-Marne, Coubron, Vaujours, Neuilly-Plaisance, Gagny).

Dans le département où l’abstention reste reine (57 %), le parti lepéniste a fait des scores importants sans pour autant se placer en tête de nombreuses communes. C’est le cas à Montfermeil où la liste du RN obtient 29,63 %, derrière la liste LFI (34,51 %) ou de Livry-Gargan où le RN, avec 27,8 % des suffrages exprimés, talonne la liste LFI (28,7 %). Lorsqu’on dézoome encore davantage, on contaste que l’extrême droite est partout en deuxième position, sauf dans les communes proches de Paris (Pantin, Montreuil, Bagnolet, Les Lilas, Le Pré-Saint-Gervais, Saint-Denis, Saint-Ouen, Romainville).

Ainsi, au niveau du département, les voix du vote pour le Rassemblement national, passent de 47 347 en 2019 à 59 269 en 2024, dans le département. Soit près de 12 000 voix supplémentaires pour le parti de Marine Le Pen.

S’il connaît une montée en puissance, le vote pour l’extrême droite n’est pas une nouveauté. Le parti de Marine Le Pen entame sa percée dans les bureaux de vote de banlieues dans les années 80. Ce vote connaît des évolutions depuis et traduit dans certaines villes une fracture entre les zones pavillonnaires et les ensembles HLM.

« La droite traditionnelle l’a toujours emporté ici »

« La droite traditionnelle l’a toujours emporté ici. On est très privilégiés par rapport au reste du département », renseigne Isabelle, habitante du Raincy depuis 40 ans, qui a été surprise de voir l’extrême-droite si haut. En effet, si on se réfère au revenu fiscal moyen par habitant, Le Raincy est la deuxième ville la plus favorisée de Seine-Saint-Denis. D’ailleurs, les sept villes qui ont mis l’extrême droite en tête du scrutin européen figurent parmi les dix villes dans lesquelles le revenu fiscal moyen est le plus élevé.

Les villes qui ont le plus voté RN sont parmi les plus favorisées

« Ils ont du pognon ici ! Ils ont surtout peur de la gauche arrive au pouvoir, ils ont peur pour leur patrimoine, parce que ce n’est pas ici qu’il y a des agressions », commente Cynthia, amère. Ancienne commerciale, elle vit dans une commune voisine, à Pavillon-sous-Bois. Le résultat du scrutin et l’annonce de la dissolution lui ont fait l’effet « d’un coup sur la tête ».

Pourtant, elle ne découvre pas la popularité des idées de l’extrême droite qu’elle observe dans son quotidien. « Les gens sont décomplexés, comme on dit. J’entends toujours les mêmes arguments : il y a trop de migrants, on leur donne trop », s’agace-t-elle, en pointant « les politiques [qui] ne donnent pas l’exemple ». 

Les gens votent pour l’extrême droite parce que le collectif, ils s’en foutent

Une casquette vissée sur la tête et un panier en osier à la main, Denis partage ce point de vue. La crise politique et la victoire de l’extrême droite aux Européennes lui font « honte ». Pour lui, la progression du Rassemblement national dans sa ville et en France relève d’une perte de valeurs. « Les gens votent pour l’extrême droite parce que le collectif, ils s’en foutent, ils ne pensent qu’à leur intérêt », tranche ce retraité de 86 ans qui a toujours voté à gauche. Pour les législatives, il votera pour le Front populaire, malgré la crainte que lui inspire Jean-Luc Mélenchon. « C’est peut-être un peu excessif, mais il me fait penser à Staline sur son côté autoritaire », explique Denis.

« Le Raincy, c’est le Neuilly du 93 ! »

Assise sur un banc, en train de manger son jambon-beurre. Victoria, avocate en droit du travail et en droit de la propriété intellectuelle, habite au Raincy depuis deux ans. Elle est issue d’une famille de droite. Les études et l’ouverture au féminisme la font basculer de l’autre côté du spectre politique. Les résultats du RN au Raincy ne l’ont pas surprise : « Le Raincy, c’est le Neuilly du 93 ! »

« Quand je vois ma clientèle, souvent des patrons de TPE/PME, je vois des gens désabusés. Ils ne bénéficient pas du progrès ou ne le comprennent pas. Ils sont blancs, riches, n’ont pas subi de discriminations. Mais ils se trompent de gens dont ils ont peur (sic) », analyse l’avocate. Elle aussi s’inquiète de la période et de la possibilité de voir l’extrême droite arriver au pouvoir.  « D’ailleurs, j’ai rendez-vous à 13 heures avec le psy pour en parler ! », plaisante-t-elle à moitié.

Le RN ? « Je ne pense pas qu’ils soient pires que d’autres »

Dans un petit parc jouxtant la médiathèque de la ville, Christine s’est installée sur un transat pour profiter du soleil. Christine n’avait pas voté depuis dix ans. Pourtant, aux Européennes, elle a glissé un bulletin dans l’urne. Si elle garde le secret sur son vote, Christine explique que c’est la guerre « en Ukraine », qui l’a poussée à se mobiliser. Elle s’inquiète qu’Emmanuel Macron veuille s’investir davantage dans cette guerre aux portes de l’Europe. Le RN ne lui fait pas plus peur que ça. « Je ne pense pas qu’ils soient pires que d’autres », relativise-t-elle. D’ailleurs, « Marine Le Pen est amie avec Vladimir Poutine », souligne Christine.

Pour les législatives anticipée, elle hésite encore. « Le RN, pourquoi pas ? Ce n’est peut-être pas comme avant. Avec le père, c’était plus fermé, maintenant, je ne sais pas ». Parmi les rares personnalités politiques qu’elle apprécie, elle cite Jean Lasalle. « C’est un mec du terrain. Il connaît plus les problèmes qu’un Macron. J’aimerais voir au gouvernement avec des gens qui nous ressemblent, qui vivent ce qu’on vit. »

Héléna Berkaoui et Hadrien Akanati-Urbanet

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