On attendait un combat de boxe entre Jean-Luc Mélenchon, connu pour sa  virulence à l’égard des journalistes, et Nicolas Demorand, directeur de la rédaction de Libération. L’auditoire a plutôt eu droit à une leçon de journalisme dispensée par l’homme politique. Le président du Front de Gauche  scrute les médias, les critique aussi et a des idées pour que la profession ne se vautre pas dans la médiocrité. Ça avait plutôt commencé fort, Nicolas Demorand commence par un portrait chinois de Jean-Luc Mélenchon, dessiné au bazooka : «Démago violent, tape sur une profession encore plus détestée que politique, adepte d’une forme de populisme spectaculaire qui n’honore pas celui qui l’entretient.»

Jean-Luc Mélenchon ne se laisse pas démonter par ces amabilités, «je ne vous ferai pas le cadeau de cette généralité, cela ne veut rien dire “les politiques”ou “les journalistes”. Il y a différentes rubriques dans un journal. Il se trouve que je connais mieux les journalistes politiques, un terrain où la confusion est terrible. Il faut que vous admettiez que je puisse avoir un jugement sur la profession.»

L’homme politique insiste sur le fait que l’éducation permet de forger un citoyen libre. Il plaide en faveur d’une « information de qualité et contradictoire. » Puis embraye sur une baisse de la qualité de la production journalistique française : « On est passé des mass médias aux médias de masse », citant ainsi Ignacio Ramonet du mensuel Le Monde Diplomatique.  Malgré la diversité des supports, Jean-Luc Mélenchon se plaint face à la salle remplie de journalistes du « formatage. » D’après lui, « le formatage aspire des médias de haut niveau. Il n’y a plus de médias qui ne sont pas moutonniers.»

Pour éviter de se mettre à dos la profession, il tempère et dit être persuadé que « Nicolas Demorand, comme les intérimaires, les CDD, essaient de bien faire. Mais pourquoi disent-ils la même chose, sous le même angle ? » À cette question rhétorique, le prof Mélenchon a la réponse : les conditions de travail. « Il se trouve que j’en ai eu l’expérience. On peut dire que c’est parce que ça ne s’est pas bien fini pour moi que j’en ai de l’amertume. J’ai été parmi les premiers pigistes permanents, tous les autres avaient leur carte de presse et étaient en CDI. Maintenant c’est le contraire. Mais moi je devais manger et produire.»

Pour l’élu, les conditions de travail orientent le travail des journalistes et appauvrissent le contenu. « Dans les redactions, on donne quatre sujets à faire à une personne dans une journée. Comment faire pour maintenir une exigence intellectuelle, travailler son sujet et avoir du temps pour le faire ? Ce n’est pas possible. Et en plus ils touchent de petits salaires. Cela nuit à la qualité rédactionnelle. » Gagné, la salle applaudit. « Quand il faut manger on fait son travail. Mais qu’on ne vienne pas me dire que la vocation est telle qu’on peut passer au-delà de sa condition sociale. Faut savoir s’arrêter, ça ne pousse pas à l’audace et à l’esprit critique.»

Pour étayer sa longue démonstration, ponctuée des rires du public, Jean-Luc Mélenchon raconte comment les journalistes lui posent sans cesse les mêmes questions, dénuées de sens : « À cause de votre conformisme idéologique, vous êtes tous les mêmes. On me demande l’économie de marché vous y croyez ? Je dois dire oui sinon on me rétorque Cuba, la Chine, le communisme. Vous avez envie de répondre non ? Rires dans la salle. La question ne veut rien dire » ajoute-t-il.

Il poursuit  et raconte sous forme de saynètes : «Vous êtes pour ou contre l’Europe ? Je suis pour mais contre le Traité de Lisbonne. » Et de rappeler le comportement de la presse lors du référendum européen de 2005, où le non l’emporta à la surprise des journalistes. «  Ils étaient tous d’accord, sur toutes les ondes, avec certitude et arrogance. Devant la difficulté de me faire céder ils sont passés aux insultes. » Pour ne pas froisser son interlocuteur, il rajoute sur le ton de la blague : « …pas Nicolas Demorand, je ne me souviens pas de ses exploits. » Pour être sûr qu’on a bien compris que certains journalistes sont des abrutis, il répète que la profession bêle en chœur : « De toute façon, les questions sont les mêmes. Le smic à 1 700 euros, vous croyez que c’est possible ? Je réponds vous pensez que vivre avec 1 000 euros c’est possible ? Je n’ai pas de réponse, j’ai été prof je sais déchiffrer le moment où l’autre ne sait pas. » La salle rit de nouveau à la saillie d’un Jean-Luc Mélenchon en forme.

Il appelle enfin à plus d’auto-critique, cite en vrac, « le récit de la guerre en Irak où de manière moutonnière, tous les médias citaient l’Etat-major américain.  Ou le faux charnier de Timisoara. Ils promettent toujours de ne pas recommencer. » Toujours dans un souci d’adoucir son propos virulent, il précise qu’il n’instruit pas là un procès à charge. Procès ou pas, l’assemblée, bien qu’elle soit mise en cause, rit au bon mot d’un Jean-Luc Mélenchon qui boit du petit lait.

À cet appauvrissement du journalisme politique, le candidat du Front de Gauche trouve un coupable : Le Petit Journal et Le Grand journal de Canal Plus. Coupables, selon lui, du mélange des genres entre information et divertissement. Alors que la salle se préparait à un affrontement sanglant entre celui qui adore détester certains journalistes, le débat vire à un monologue mélenchonien. L’homme explique que l’infotainment, mariage improbable entre l’information et le divertissement, donne naissance à une catégorie de journalistes : «celui qui vient sur le ring, faut que ça saigne pour faire le buzz.» Sa préférence va à «l’accoucheur» : « C’est plus difficile que la castagne où tout est une affaire de répartie. Cela n’a aucun intérêt  de jouer sur les mots pour les citoyens.»

Nicolas Demorand, transparent dans le débat intervient et demande quand même à Jean-Luc Mélenchon si un média trouve grâce à ses yeux. Réponse de l’intéressé qui se qualifie de « gourmand des médias » : Libé, Le Monde, La Tribune ou Les Echos. Il précise qu’il a les moyens d’acheter 3, 4 quotidiens chaque jour. Même s’il déroge à son habitude : « Libé, la semaine où je suis fâché contre eux, plutôt crever que de l’acheter. » L’homme n’est pas habité que de détestation, il confesse : « Parfois je craque, un édito me plaît, j’envoie un SMS pour le dire. » Pour coller à son image, il rajoute qu’il lui arrive d’envoyer plutôt un SMS du genre : « Si c’est pour écrire ça c’est pas la peine. » Pas sectaire, il trouve les pages internationales du Figaro « extraordinaires ». L’homme politique ajoute qu’il tient un blog qu’il alimente lui-même. Au départ tout est parti d’un post sur la neige qui tombe. Certains ont essayé de trouver une métaphore derrière ce billet hivernal. Il parle de son plaisir d’écrire et surtout de sa tendance à taper furieusement sur ses claviers qu’il démolit. Tout un symbole…

Après cette démonstration place aux solutions. Jean-Luc Mélenchon, toujours dans son rapport passionnel à la presse, revendique le droit de se mêler de la marche d’un journal. Nicolas Demorand demande : « Nous, journalistes à quelles sauce seront-nous mangés ? Réponse au tac-au-tac de Jean-Luc Mélenchon : « Vous ne serez pas mangé, vous êtes trop indigestes ». « Coriaces », ajoute Demorand. L’homme politique plaide en faveur d’une résolution citoyenne dans les médias contre le cumul. Il souhaite éradiquer « la précarité dans les entreprises de presse. Il faudrait un salaire maximum, interdire le cumul des fonctions, il faut qu’il y ait un maximum de 5% de précaires dans une entreprises. » La salle est conquise.

Elle grince plutôt des dents lorsque la question de la pluralité est abordée. Jean-Luc Mélenchon met les pieds dans le plat : « ce n’est pas la peine d’avoir 10 médias indépendants, si tous disent la même chose. Dans certains pays, il y a un média seulement. Nous, on fait plus d’efforts. » Puis il enchaine sur  les groupes de presse : « Il faut interdire des groupes d’armements qui possèdent les journaux par exemple. » Toute référence à un quotidien existant est fortuite.

Pour cela, il faudrait créer une coopérative de presse démocratique. Nicolas Demorand lui propose une idée, « il faut sur le modèle de l’exception culturelle, inventer une exception de l’information. Comme le CNC pour le cinéma. » Jean-Luc Mélenchon ne répond pas vraiment.  Certains, sur Twitter, moquent gentiment l’invité, lui conseillant une reconversion dans le one-man show. Pas sûr que ce fut l’effet escompté par l’homme politique. L’auditoire, bien que bousculé, a apprécié le spectacle. Il nous avait prévenus pourtant : «J’ai le profil d’une brute, reconnaît-il. Mais je gagne à être connu.»

Faïza Zerouala

Voir Aussi :

http://yahoo.bondyblog.fr/201111091657/bayrou-vs-demorand-les-clashs/

Articles liés