Salamishah Tillet a été violée à deux reprises. Une première fois par son petit ami quand elle avait 17 ans. L’autre, par un inconnu alors qu’elle effectuait un séjour d’études au Kenya. De retour aux Etats-Unis, elle a fondé avec sa sœur A Long Walk Home , une association unique en son genre qui vient en aide aux victimes d’agressions sexuelles à travers les arts vivants et visuels. Pour elle, un non-lieu dans l’affaire DSK pourrait entamer la confiance des femmes violées dans le système judiciaire.

Bondy Blog : Dominique Strauss-Kahn pourrait éviter le procès. Cela pourrait-il, selon vous, décourager des victimes de viol de se manifester ?

Salamishah Tillet : Oui. Les cas médiatiques ont tous le même impact. Tous les ans, des cas de viol ou de tentatives de viol impliquant une célébrité, que ce soit une personnalité des mondes médiatique, sportif, politique ou économique comme Dominique Strauss-Kahn, sont rapportés par les médias. Logiquement, les victimes de violences sexuelles s’identifient aux accusatrices. Elles regardent de près comment la victime et l’accusé sont traités. Elles imaginent qu’elles vivront la même expérience si elles se manifestent. Pour ma part, j’ai été influencée par le procès du boxeur Mike Tyson dans les années 90. Il a été reconnu coupable au terme du procès. Mais la couverture médiatique ainsi que les soutiens à Mike Tyson au sein de la communauté afro-américaine m’ont fait réfléchir à deux fois. Statistiquement, je crois que seuls 16% des cas de viols font l’objet d’un procès en raison des nombreuses barrières qui empêchent les victimes de se manifester. Une de ces barrières est la crainte de ne pas être cru.

Les barrières sont plus hautes pour les victimes issues de minorités (la victime présumée Nafissatou Diallo est guinéenne).

Il y a plusieurs raisons à cela. En général, les femmes de couleurs agressées sexuellement, comme les autres victimes, se sentent coupables. Elles ont peur. A cela s’ajoute une réalité historique de stéréotypes autour de la sexualité des femmes noires. Au 19e siècle aux Etats-Unis, l’agression sexuelle d’une femme noire esclave n’était pas considérée comme un crime. Autrement dit, le corps des femmes noires était vu comme inviolable. Même si ce n’est plus dans la loi, le stéréotype demeure. Et quand le New York Post fait une « Une » appelant la victime présumée de DSK une « prostituée », cela fait resurgir ce stéréotype. Enfin, les minorités ont une relation différente avec la justice criminelle. Il y a au mieux de la méfiance envers la police et les procureurs. Les immigrés, en particulier les sans-papiers, constituent une population particulièrement vulnérable. Car en témoignant, ils mettent en danger leur présence sur le sol américain. De plus, il existe aux Etats-Unis peu de ressources multilingues pour les victimes étrangères.

La victime présumée de DSK est-elle toujours un témoin valide dans cette affaire ?

Cette femme est sous pression pour se peindre comme la victime parfaite d’un crime sexuel, de la même façon qu’elle a aussi dû se peindre comme la victime parfaite de crimes pour pouvoir entrer aux Etats-Unis. Le cas DSK intervient dans un contexte anti-immigration assez fort aux Etats-Unis. Le fait qu’elle ait menti dans son dossier de demande d’asile va alimenter le climat d’hostilité envers les étrangers. Mais cela ne change rien à ce qui a pu se passer dans la suite de l’hôtel.

Propos recueillis par Alexis Buisson (New York)

Photo : Joe Mabel

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