Elle pousse des cris stridents en découvrant le titre que le groupe a décidé de joué sur scène : « On sait jamais » de Magic System. Des basses puissantes font vibrer les cages thoraciques. Entre les pyramides de verre, les rayons colorés des spots lumineux balayent l’esplanade du Louvre. La scène semble irréelle. Nous sommes bien à Paris, sur l’une des places les plus célèbres du monde. Alexandra a 19 ans. Pour sa première élection présidentielle, elle a voté Emmanuel Macron ce dimanche 7 mai. Elle est arrivée tôt sur l’esplanade pour suivre les résultats avec quelques sympathisants et écouter le premier discours en public de celui qui vient d’être élu président de la République. Mais en attendant que le vainqueur arrive, elle danse. « Tu ne trouves pas qu’on dirait une grande boîte de nuit ? » lui lance un voisin. « Si, trop !« , sourit-elle.

« Ce lieu dans lequel nous nous retrouvons est parcouru par l’histoire ! ». Emmanuel Macron a remplacé les musiciens sur l’estrade, dont il a monté les marches au son de l’Hymne à la joie, hymne officiel de l’Union européenne. « De l’ancien régime à la Libération de Paris, de la Révolution française à l’audace de cette pyramide, c’est le lieu de tous les Français, de toutes les France, de toutes les Françaises ! » Est-ce donc cela la France qu’Emmanuel Macron nous propose ? Car dans cette grande boîte de nuit, il y la piste de danse bondée du commun des mortels et le carré des VIP, derrière des grilles, protégés par une armada de vigiles massifs. Ceux-là portent des bracelets oranges, qui leur donne accès à leur espace. Ils se connaissent, se claquent la bise en s’appelant par leur prénoms, tous excités de cette victoire à laquelle ils ont participé de près ou de loin. La presse est cantonnée derrière la grille où elle se bouscule pour essayer d’avoir le meilleur angle de vue possible.

« Je ferai tout, dans les années qui viennent, pour qu’il n’y ait plus aucune raison de voter pour les extrêmes »

« Je sais qu’il ne s’agit pas d’un blanc seing », affirme le président fraîchement élu sur son estrade à propos de ceux qui ont voter contre Marine Le Pen. « Je les respecte »,  dit-il encore des électeurs de cette dernière. « Je ferai tout, dans les années qui viennent, pour qu’il n’aient plus aucune raison de voter pour les extrêmes ». Le huitième président de la Ve République hérite d’un pays plus divisé que jamais. Certes, Emmanuel Macron a été élu avec environ 66,1% des suffrages. Mais il se trouvait face à une candidate d’extrême droite qui nourrissait un projet nationaliste excluant pour le pays, à la tête d’un parti xénophobe et antidémocratique. Les plus de 33 % de voix en faveur de Marine Le Pen en disent long.

Les supporters d’Emmanuel Macron en liesse sur l’esplanade du Louvre, à Paris.

L’abstention au second tour a battu tous les records depuis 1969 : plus de 25%. Enfin, le nombre de bulletins blancs et nuls glissés dans l’urne est lui aussi historique. Seuls 20 millions d’inscrits sur les listes électorales ont voté pour le nouveau président. Largement moins que 50%. Parmi eux, de nombreux votants l’ont choisi pour faire barrage au FN.

Au premier tour, entre les 21,3% de Marine Le Pen et les 19,58% de Jean-Luc Mélenchon, ce sont plus de 41% des votants qui exprimaient une volonté de rupture avec un système perçu comme injuste. Chez nombre d’entre eux, le leader du mouvement politique En Marche ! provoque un rejet viscéral. Il est à leurs yeux l’incarnation du libéralisme économique qui fait justement croître ces injustices. Cette France, c’est celle des classes populaires, tant courtisées par le FN. C’est aussi la France des banlieues, celle des quartiers populaires des grandes villes, qui ont massivement voter pour Jean-Luc Mélenchon au premier tour. C’est la France du Jockey club à Sevran, ville de Seine-Saint-Denis où le candidat de La France insoumise avait recueilli 34,02 % des suffrages. Car inutile de dire que s’il y a des exclus du carré VIP dans le club d’Emmanuel Macron, il y a aussi tous ceux qui sont refoulés à l’entrée, ou qui, de guerre lasse, ne tentent même plus d’y accéder.

Le carré VIP, the place to be

Sur la piste de danse, Alexandra et Alisson se réjouissent de la victoire de leur champion. « Le fait qu’il ne soit pas enfermé dans un parti politique, je pense que ça va permettre une plus grande liberté d’expression », souligne Alexandra, étudiante en philosophie et en droit à l’université de Paris 1. « Il va sécuriser les travailleurs en donnant de la formation aux jeunes, et mettre au même niveau tous les régimes de retraites », s’enthousiasme de son côté, Françoise Rossolonjatovo, 62 ans, ancienne inspectrice des impôts. Elle est venue avec son mari, Désiré, 70 ans, ancien neurochirurgien. « Moi, c’est sa politique vis-à-vis de l’Europe qui me plaît le plus« , explique Raphaël Harfaux, un jeune Français de 34 ans qui vit à Londres depuis qu’il en a 24. Il travaille dans le marketing pour des ONG. « Moi, je trouve ça bien pour le travail que ça va pouvoir nous donner », rapporte Oussi, 21 ans, Français qui a grandi au Mali avant de revenir s’installer à Paris. Plombier dans une entreprise, il aimerait devenir auto-entrepreneur.

Raphaël Harfaux fête la victoire d’Emmanuel Macron, Paris

Pendant que les supporters de Macron discutent de leurs espoirs, sur la scène, quatre jeunes femmes plantureuses se déhanchent en tenue légère sur de la musique de night-club à côté de jeunes hommes aux corps musclés. À l’endroit même où se tenait le futur président de la République quelques minutes plus tôt. De gros plans s’attardent sur ces corps qui bougent en rythme sur les écrans géants installés de chaque côté de la piste de danse. « Ça ne me choque pas du tout, répondent en cœur Solène et Lisa, c’est une façon de fêter sa victoire comme une autre ». Est-ce l’aurore d’une France où le peuple aspire à porter un bracelet orange pour accéder au carré VIP ?

Alban ELKAÏM

Crédit photo : Mohammed Bensaber

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