« En 2007, il y avait encore de l’espoir… Aujourd’hui ce qui préoccupe les Clichois, ce n’est pas la campagne, mais  la campagne de dépistage contre la tuberculose… » résume de manière brutale, Mariam Cissé, conseillère municipale de Clichy-sous-Bois. La jolie fille à la peau d’ébène n’a que 25 ans, mais s’exprime déjà comme un vieux briscard de la politique un peu désabusé. Animateur du réseau Cité en mouvement et membre du bureau des jeunes socialistes,  Bolewa Sabourin, 25 ans lui aussi, partage le même fatalisme. « Il y a 5 ans  la mayonnaise avait pris. Toutefois le contexte était différent…  » explique-t-il.  Le jeune homme qui, arbore fièrement le maillot à rayure de l’Equipe de France, regrette que son parti reste inaudible dans les banlieues. Et comme Mariam, il constate amèrement que depuis les  émeutes de 2005, rien n’a vraiment changé… « Clichy sous-bois est restée une enclave, une prison  à ciel ouvert. Pour prendre les transports c’est un bordel sans nom… » s’insurge Bolewa tandis que Mariam souligne la décrépitude du décor. « L’argent promis par l’Etat tarde à arriver et les barres du Chêne-Pointu tombent en ruine » explique-t-elle, en montrant du doigt  une façade d’immeuble lépreuse couverte de paraboles.

Le  Chêne  Pointu, quartier parmi les plus délabrés de Clichy-sous-Bois, regroupe 6 000 habitants répartis dans 1 500 logements. 70% d’entre eux vivent au-dessous du seuil de pauvreté. C’est là qu’en 2005, deux adolescents, Zyed, 17 ans, et Bouna, 15 ans, sont morts dans un transformateur électrique, en tentant d’échapper à un contrôle de police. À la suite du drame, les émeutes éclataient dans toute la ville avant de se propager  dans de nombreuses banlieues partout dans le pays. Beaucoup ont espéré que de ce chaos naîtrait quelque chose de nouveau. Dans ce quartier, comme dans d’autres quartiers populaires, la participation à l’élection présidentielle de 2007 a ainsi été exceptionnelle avec une forte mobilisation des nouveaux inscrits. Les jeunes ont voté massivement en faveur de la candidate PS, notamment pour faire barrage à Nicolas Sarkozy, le candidat du Kärcher. Mais après l’élection de ce dernier, la résignation semble l’avoir emporté. Au Moyen-âge,  le Chêne Pointu était un lieu saint. Aujourd’hui, alors que le quartier a été infecté par la tuberculose en septembre dernier, on espère plus un miracle qu’on ne croit en la politique, y compris en celle du Parti Socialiste qui gère la ville depuis des décennies.

Les primaire, « c’est quoi ce truc ? »

Dans ce contexte, Mariam et Bolewa Sabourin ne se font pas d’illusions : dans les quartiers populaires, le grand vainqueur de l’élection présidentielle sera l’abstention. Et s’ils ont fait campagne pour inciter les jeunes à se rendre aux urnes dès le 9 octobre afin de désigner le candidat socialiste, c’est sans trop y croire. Mariam avoue néanmoins aimer ce genre de campagne où il faut faire preuve de détermination. Déterminé, il faut, en effet l’être pour convaincre Abdou, 19 ans. Mains dans les poches de son survêt blanc, casquette rouge enfoncée sur ses oreilles décollées, le jeune homme semble errer dans les rues sans but.  Au moment d’évoquer la primaire socialiste, il reste totalement perplexe, le regard hébété : « J’sais pas c’est quoi ce truc …» Pour Abdou, le discours des politiques n’atteint pas les jeunes des quartiers. « Nous, on vit et c’est tout… » conclut-il, avant de poursuivre son chemin en haussant les épaules.         

Attablés à la terrasse du McDo, Adama et ses copains, Malams et Dieth, ont un discours beaucoup plus articulé et une vraie conscience politique. Pour autant, mis à part Dieth,  ils ne sont pas allés voter le 9 octobre. Adama, 24 ans aujourd’hui,  faisait partie des émeutiers en 2005  tandis que Malams, 28 ans, était médiateur. Tout deux partagent pourtant la même vision des événements. « Zyed et Bouna, étaient les petits du quartier…  Ça aurait pu être nos frères » expliquent-ils. Pour eux, les émeutes étaient « un geste de révolte, un acte politique en quelque sorte. » La colère d’Amada se mue d’ailleurs rapidement en engagement. À travers le rap, mais aussi à travers l’association ACLeFeu né des révoltes urbaines. En 2007, il fonde son  propre label de musique ainsi que sa marque de vêtement, et fait imprimer des tee-shirts avec l’inscription, «  le vote est le meilleur cocktail Molotov !», pour inciter les jeunes à se déplacer dans les urnes.  De son côté, Malams loue un bus pour conduire les jeunes dans les bureaux de vote.

Mais pour les deux amis, comme pour beaucoup de jeunes des quartiers, l’élection de Nicolas Sarkozy sonne comme  une immense désillusion. « Les gens n’ont pas compris le message, ils ont compris à l’envers. Les émeutes ont été un tremplin pour Sarkozy… », déplore Malams, tandis qu’Adama poursuit « Ça a déçu tout le monde. » Aujourd’hui, ils n’ont plus envie de s’investir, ils n’y croient plus. « On s’est bien fait carotter » peste Malams qui préfère désormais se contenter de  « lever son cul pour aller travailler » Dieth est un peu l’exception du groupe. « J’ai vécu ça de loin car j’ai été père très tôt. » Il s’est  moins engagé et c’est peut-être pour ça paradoxalement qu’il sera le seul à aller voter. «  Mais ce sera un vote par défaut. « Le Parti socialiste s’est embourgeoisé. Même Jacques Chirac, avec son côté terroir savait mieux parler au peuple que les candidats du PS » analyse Dieth. « Il avait réussit à nous faire croire qu’il mangeait des pommes » s’amuse Malams. Pour eux, le PS est trop éloigné des réalités, complètement déconnecté. « On ne les voit jamais à part lorsqu’il y a des journalistes. Pour connaître les problèmes des quartiers, il faudrait peut-être qu’ils y mettent les pieds » tacle Adama. « Harlem Désir sert de caution diversité, mais c’est un bobo Parisien. La dernière fois qu’il est venu dans une cité, ça devait être dans les années 1980 ! » ironise Dieth.

« Sarko c’est notre ennemi, mais la politique c’est pas pour nous ça »

Mais au-delà de la personnalité des candidats, c’est surtout un sentiment d’abandon qui  prédomine. Le sentiment que leur quotidien restera toujours le même, quoi qu’il arrive. « Après les émeutes, la seule réponse qu’on a eu, c’est le commissariat »constate Adama, dépité. Pour le jeune rappeur, l’hôtel de police ne sert à rien. « C’est juste de la provocation. Les flics me contrôlent trois fois par jour alors qu’ils connaissent mon prénom. Et pendant ce temps là, des armes circulent dans les cités. » Malams acquiesce, « on  entend régulièrement des coups de feu. » Pourtant, le commissariat était attendu depuis 30 ans. Malgré la réalité de l’insécurité, il a fallu la mort de deux adolescents suivi de trois semaines d’émeutes, pour obtenir une réaction de l’Etat. On peut même se demander si un tel drame se serait produit en 2005 avec un commissariat présent dans la vile et des policiers connus des habitants. Mais la construction d’un commissariat ne saurait tout régler. Comme le fait remarquer Adama, le problème de l’emploi reste entier. À Clichy-sous-Bois où le taux de chômage des jeunes frise les 40%, il n’y a toujours pas d’agence de Pôle Emploi. Il n’y a pas non plus de métro, ni de RER, et il faut au minimum 1h15 de transports pour rejoindre le centre de Paris, situé à une vingtaine de kilomètres de là. « Le plus triste, c’est de voir des gamins plantés au même endroit toute la journée ou toute la nuit, à tenir le mur de leur barre » s’étrangle Adama.

Des jeunes désœuvrés, on en croise au pied de chaque immeuble dans le quartier du Chêne Pointu. Mais les marches du vieux centre commercial restent leur lieu de rencontre favori. Lunettes de soleil clinquantes sur le nez, Marcus et sa bande s’apprêtent à passer la nuit là, sous le néon blafard qui leur servira de spotlight. « On est partis pour rester ici jusqu’à 6 heures du mat .On n’a rien d’autre à faire. De toute façon, on ne va pas se réveiller avant 17 heures »explique le jeune homme au look de rappeur américain en allumant un joint le plus naturellement du monde. « Sarko c’est notre ennemi, mais la politique c’est pas pour nous ça…c’est pas notre monde. » Marcus semble dans son propre monde, même s’il a vaguement conscience que celui-ci ne tourne pas très rond. « Il faudrait tout changer. Je ne saurais pas vous dire quoi, mais il faudrait tout changer… » Puis Marcus finit par trouver des bouc émissaires. « La prochaine émeute, ce sera une guerre. Une guerre entre ceux qui ont de l’argent, et les autres. » Alors que le soleil commence à se coucher, l’atmosphère dans le quartier du Chêne Pointu semble paisible. Pourtant, il suffit peut-être d’une étincelle pour que le feu s’embrase de nouveau.

Alexandre Devecchio

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