En 2006, le film « Indigènes » de Rachid Bouchareb, primé à Cannes, a ému la classe politique et au-delà. Jacques Chirac, alors président de la République s’est engagé personnellement à revaloriser la pension principale des combattants des colonies. Trois ans après, des inégalités de traitements subsistent. La pension militaire de retraite, qui concerne la majorité des soldats, est bloquée. Les « Oubliés de la République » l’ont fait savoir hier à Paris.

A l’appel de ce collectif qui milite pour un alignement des pensions militaires de retraite des 80 000 combattants des colonies sur celles de leurs frères d’armes français, une centaine de personnes s’est réunie sur le parvis des Droits de l’Homme. Dans la foule clairsemée et dans la nuée de caméras, on distingue le député européen socialiste Harlem Désir, le député Jack Lang, Dominique Sopo, président de SOS Racisme.

Et en vedette, le député socialiste Alain Rousset, auteur d’une proposition de loi demandant la « décristallisation » des pensions pour tous ces anciens combattants issus des colonies. Celui-ci déclare, dos à la Tour Eiffel, devant une quinzaine d’anciens soldats, « qu’il faut mettre un terme à une injustice et à cette absence de dignité face aux anciens combattants venus appuyer les forces démocratiques contre les forces nazies ».

Cette situation est imputable à la loi dite de « cristallisation » du 26 décembre 1959, promulguée par le général de Gaulle en pleine décolonisation. Les pensions des anciens combattants du Maghreb, d’Afrique noire, de Madagascar et d’Asie sont gelées et transformées en indemnités non indexées au coût de la vie. Ainsi, leurs pensions peuvent-elles être jusqu’à huit fois inférieures à celles des soldats français.

Selon Ali Elbaz, de l’Association des travailleurs maghrébins de France, cette loi a été votée pour « punir les États qui ont voulu l’indépendance ». Et déplore la tendance générale des politiques de toutes tendances « à larmoyer, alors que quand il s’agit de passer à la caisse, il n’y a plus personne ». Quant à la pérennité de la proposition de loi, il est sceptique. « Un projet porté par le Parti socialiste ne passera jamais. En période de crise économique, cela ne fait pas partie des urgences. L’État joue la montre, 10% des combattants meurent tous les ans, le problème s’éteindra de lui-même. » Oumar Diémé, tirailleur sénégalais, partage cette amertume. Bien moins souriant que son homologue de la pub Banania, il m’explique dans un français hésitant qu’il a servi l’armée française pendant « 9 ans, 7 mois et 25 jours ». Il s’est engagé en 1953 et a combattu en Indochine, en Algérie, au Tonkin et au Laos. Il touche à titre de pension d’invalidité 36 euros par mois auxquels s’ajoutent 95 euros de minimum vieillesse. « Je voudrais rentrer chez moi, je suis seul ici sans famille, je vis dans un foyer Adoma (ex-Sonacotra), à Bondy. »

En effet, pour pouvoir percevoir ces pensions, les anciens combattants doivent résider neuf mois en France. Son sentiment ? « Je suis déçu, à l’époque on avait le même habillement, la même arme que les soldats français. A mon âge, je n’attends rien, juste la reconnaissance. » Il engage néanmoins un avocat et attaque l’Etat français. En 2004, il gagne son procès. Après l’appel, le verdict tombe en mars dernier, l’Etat refuse de payer. A sa veste, il a épinglé une décoration de combattant volontaire pour ne pas oublier son combat.

A deux pas, Marie-Laure, 52 ans, écoute ce récit, touchée. Elle me dit être venue après avoir entendu l’appel de l’association à la radio. « J’avais été émue par le film « Indigènes », je pensais que le problème était réglé. Pour moi, c’est une question d’honneur pour la France. Ces hommes ont combattu au risque de leur vie. Ils font partie de ma famille humaine. Je vais signer la pétition car c’est une belle cause. »

Mais que pense la jeune génération de ce combat ? Sandrine, 27 ans, est là par hasard, accompagnée de Wafa, 29 ans. Lorsque je lui demande si elle se sent concernée, elle me répond : « Ça nous parle, car je suis noire et elle, arabe », dit-il en désignant son amie. Peu au fait du problème, Sandrine aimerait qu’une part plus grande soit accordée à ces soldats dans les programmes d’histoire. Pour elle, leur histoire ne devrait pas être dissociée de l’histoire de France. Elle est sceptique face à la proposition de loi socialiste. « Le temps que ce soit mis en place, ils seront morts. » Wafa, d’origine marocaine, explique « qu’au Maroc, beaucoup des anciens combattants se sentent oubliés de la République. Pourtant, ils ont de plus en plus d’espoir de recevoir une plus grande pension. »

Ce matin, lors de son discours à Sainte-Maxime dans le Var, le président Sarkozy a rendu un hommage appuyé aux troupes coloniales et à leur « courage admirable » lors de la Seconde Guerre mondiale. Et ajouté que « la France n’oubliera jamais leur sacrifice ». Peut-être est-il temps de tenir parole.

Faïza Zerouala

Faïza Zerouala

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