C’est le nouvel acte d’une relation tumultueuse, faite de mépris et de promesses, d’espoirs et de déceptions, entre l’Etat français et l’un de ses enfants. Le gouvernement annonce ce jeudi en grande pompe son plan « L’Etat plus fort en Seine-Saint-Denis », porté par une délégation de ministres dont le premier d’entre eux, Edouard Philippe.

C’est le nouvel épisode, aussi, d’une série qui demande à ses suiveurs de la patience. Une série qui aurait pu s’appeler « Abandon » et qui raconterait comment, depuis plusieurs décennies, la France s’est évertuée à déshériter l’un de ses départements les plus jeunes et les plus dynamiques jusqu’à en faire son département le plus pauvre, le moins bien doté aussi dans bien des domaines.

Le dernier épisode remonte à mai 2018. Un rapport parlementaire coordonné par les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LREM) documentait de façon cruellement précise « l’échec » des politiques publiques en Seine-Saint-Denis, les « défaillances » en matière d’éducation, de sécurité et de justice. C’était, pour la première fois, la représentation nationale sous sa forme la plus incontestable qui validait ce que disaient les élus et acteurs de terrain depuis de longues années : les habitants du 93 avaient moins que les habitants d’ailleurs, moins de services publics, moins de police, moins de justice. Moins de République.

Des ministres présents en même temps à plusieurs endroits du département

Face à cela, plusieurs maires du département ont déposé un recours contre l’Etat pour « rupture d’égalité républicaine », les élus locaux ont multiplié les actions pour réclamer au gouvernement de réparer cette injustice que tous dénonçaient à grands cris, tous bords politiques confondus. L’épisode du plan Borloo, balayé d’un revers de main par Emmanuel Macron à l’été 2018 et remplacé par une série de mesures qui se voulaient plus concrètes, n’a pas franchement aidé à les rassurer.

C’est dans ce contexte loin d’être à la joie que le gouvernement arrive ce jeudi dans le département. Pour l’occasion, l’exécutif a sorti les grands moyens. Pas moins de huit ministres et secrétaires d’Etat devraient être en Seine-Saint-Denis en même temps, pour une série de déplacements thématiques. Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, sera au TGI de Bobigny, où elle pourra constater les fuites d’eau, les dossiers empilés dans les couloirs ou les conditions indignes dans lesquelles ses fonctionnaires doivent parfois rendre la justice. Jean-Michel Blanquer devrait se rendre à Bobigny pour une table ronde sur l’éducation, dans une ville où 45% des habitants de plus de 15 ans n’ont aucun diplôme, contre 13% à Puteaux. Christophe Castaner et Laurent Nunez (Intérieur), Julien Denormandie (Ville et Logement) ou encore Agnès Buzyn (Santé) seront eux aussi en visite dans le département.

Et puis, en fin de matinée, arrivera le grand moment des annonces. Edouard Philippe, le Premier ministre, a convié à la préfecture ses ministres, les parlementaires du département et le président du Conseil départemental pour leur faire des annonces qu’il devrait également présenter, dans la foulée, à un parterre de maires, d’élus locaux et de forces vives du département. Toutes et tous ouvriront grand leurs yeux et leurs oreilles après avoir tant réclamé de telles annonces.

On ne veut surtout pas de politique spécifique

« Je serai évidemment au rendez-vous. On sera très attentifs et très vigilants sur les annonces qui seront faites, prévient Stéphane Troussel, le président (PS) du conseil départemental. Je n’imagine pas tout ce dispositif pour annoncer quelques mesurettes. La confiance, ça ne se décrète pas, ça se construit. » Même tonalité chez Azzédine Taibi, maire (PCF) de Stains, à l’initiative de la plainte des édiles contre l’Etat : « Je vais être attentif et vigilant à ce qui va être proposé. Franchement, je ne me contenterai pas de petites mesurettes. »

« Il y a urgence à apporter l’égalité aux habitants de Seine-Saint-Denis, poursuit l’élu local. Il faudra des mesures qui s’inscrivent dans le temps et apportent de vraies réponses. » De l’attente, donc, mais pas d’excitation chez ces élus trop souvent échaudés par les discours ministériels. « Ce n’est qu’une énième visite du gouvernement dans ce département. On bat le record de visites ministérielles, ici, on a l’habitude (2700 visites officielles entre 2007 et 2018, ndlr). »

Alors, pour dépasser la routine, Azzédine Taibi demande « un véritable plan de rattrapage » et avertit : « On ne veut surtout pas de politique spécifique. On en a connu une flopée depuis trente ans. On les subit plus qu’autre chose, elles n’ont pas d’efficacité. Si le gouvernement actuel compte annoncer des dispositifs spéciaux type politique de la Ville ou des mesurettes, ce serait une réponse à côté de la plaque et une nouvelle forme de mépris à l’égard des habitants. »

27 mesures devraient être annoncées

Devant le Premier ministre, il n’y aura pas que des élus. Aly Diouara fait partie des responsables associatifs conviés. Responsable de l’association Asad à La Courneuve, qui œuvre pour la réussite éducative des enfants des 4000, le militant de terrain avoue « une attente », chez les acteurs de terrain mais aussi « chez les habitants de la Seine-Saint-Denis en général. Les annonces du Premier ministre vont être très écoutées, ici. » En cause, la situation qui place « deux France parallèles, loin d’être égales » selon lui.

Alors, Aly Diouara et les autres attendent « davantage de moyens, concrets et durables dans le temps. » Dans son domaine, l’éducation, le responsable associatif évoque le « besoin de raccrochage scolaire » : « Comment on lutte pour que tous les gamins réussissent ? Le dédoublement de classes, c’est une bonne idée qui doit être dupliquée au collège, en 6e et en 5e. Comment on fait pour que les professeurs soient remplacés quand ils sont absents ? »

Selon l’AFP, le gouvernement va annoncer une série de 27 mesures, parmi lesquelles une prime de fidélité pour les fonctionnaires du département, le recrutement de policiers supplémentaires ou encore la rénovation des commissariats d’Aulnay-sous-Bois et d’Epinay. L’importance du dispositif politique mis en place réhausse en tout cas encore un peu l’attente des acteurs du département. « Je trouve que c’est une excellente chose et un bon signal, salue Aly Diouara. Mais il faut des actes concrets, maintenant. Les mots ne suffiront pas. »  

Ilyes RAMDANI

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