Mercredi 2 mai à 20 heures 30, le quartier de Belleville est étrangement calme. Certes, un soir de semaine sur le macadam parisien grisé par la pluie, ça n’invite guère à sortir. Mais dans un petit resto vietnamien de la rue Bonnet, un habitué s’interroge et taquine le patron : « Vous avez tué tous vos clients !?! Que se passe-t-il ? ». « Non, mais ce soir, il y a le débat… ». « Ah oui le putain débat ! J’avais oublié… », comprend l’homme amateur de nems mais peu féru de politique.

Une rue plus loin, un des incontournables du quartier : le bar le Zorba, au 137 rue du Faubourg du Temple. Quelques habitués se préparent à vivre LE duel politique que tout le monde attend. L’écran plasma est réglé sur France 2. A 21 heures pétantes, les lumières se tamisent et le bar se plonge dans une atmosphère recueillie. Le petit groupe, captivé, est rivé sur l’arène politique dans laquelle viennent de se jeter les deux gladiateurs candidats à la magistrature suprême.

Au comptoir, une américaine commande un petit ballon de rouge pour elle et son ami. Quand le son de sa voix s’anime et recouvre celles des deux tribuns, une bronca générale de « Chuuut ! » l’a fait baisser d’un ton. Le public est à fond dans la concentration et ne mégote pas avec son débat ! Les premières réactions surviennent sur une phrase choc du candidat-président qui assène : « Pendant mon quinquennat, il n’y a jamais eu de violence ». Des rires nerveux s’échappent du premier rang et quand François Hollande réplique et conclut sa riposte par un « s’il n’y a pas eu de violence, le mérite en revient à la société française », les premiers applaudissements fendent l’ambiance studieuse du Zorba.

Car dès les premières passes d’armes, c’est majoritairement contre les arguments de Nicolas Sarkozy que les réactions se nourrissent. Quand le Président accuse son adversaire d’une « folie dépensière », on entend un « Ce n’est pas juste ! » féminin et sibyllin voler au secours de l’élu corrézien. Des gars, eux, s’amusent avec délectation de la joute verbale autour du thème Zapatero, objet d’un mano à mano coriace entre les deux rivaux. « Ça fight ! » rigolent-ils en imitant des bruits de kung-fu à la Bruce Lee. Et sur le sujet « Berlusconi », ça réagit encore plus.

Mais le moment le plus prompt aux sifflets et aux invectives est le passage sur le thème de l’immigration. « C’est là que tout se joue ! Les 20% de Le Pen, ça va se décider là ! » explique un des barmans qui a abandonné le zinc pour ne louper aucune réplique. Quand le sujet islam est abordé, un « ça y est ! » annonce l’ouverture des hostilités, mais l’argumentaire du socialiste séduit. Non seulement, il se fait applaudir mais récolte des « yeah » ou encore des « il est bon ! » d’étonnement. Le point d’orgue étant l’énumération des « Moi, Président de la République » savamment martelée. Le Zorba retient son souffle pendant toute la tirade. François Hollande fait tellement mouche qu’on entendrait en voler une dans ce silence de plomb.

Puis les jeux du cirque reprennent de plus belle et les commentaires avec, parsemés de rires fréquents avec un pic sur l’expression sarkozienne désormais culte, « Ponce Pilate ! » lancée en référence aux démêlés judiciaires de DSK. « Mort de rire ! » s’esclaffe-t-on au premier rang. « Il est mort tu veux dire », répond un autre. Des applaudissements sur la conclusion de François Hollande clôturent officiellement le débat. Contraste avec celle du chef de l’UMP qui ne recueille aucune marque d’adhésion. C’est le moment pour tous de refaire le match avant de poursuivre la soirée.

Metig, assistante d’architecte et Chloé, paysagiste, vivent sans télé mais pour rien au monde, ces deux trentenaires n’auraient raté cet événement médiatique. Metig est mitigée face à la prestation de Hollande car pour elle, il n’a pas du tout parlé d’écologie ni d’autres sujets-clés comme la santé. « Je suis déçue mais en même temps pleine d’espoir que Sarkozy s’en aille. » Chloé adhère : « Plein de sujets n’ont pas été abordés. Le combat a primé sur ce qui s’est dit. Il y avait une telle tension que ce n’était pas un véritable débat. Finalement la « guerre » a pris le dessus sur le discours et tout le monde attendait le bon mot. ». Metig analyse : « Sur le fond, Hollande a gagné le débat et Sarkozy, lui… » «…l’a gagné sur les bas-fonds ?! » interrompt Chloé. « Exactement ! » répond Metig, amusée par le jeu de mots de son amie.

Thierry Théolier, 43 ans, artiste, écrivain, et membre du collectif Syndicat du hype, mixe tous les mercredis au Zorba. Il s’est passionné pour le débat avant de retrouver ses platines. Selon lui,  « c‘est Hollande qui a gagné des points mais les deux ont bien tenu leur barque respective. Un était un peu plus démago mais on a vu deux présidents valables. Et si Sarkozy était réélu, ce débat lui aura appris une bonne leçon d’humilité. Car c’est un grand show man malgré tout ce qu’on peut lui reprocher. Mais ce soir, il avait un sacré concurrent en face de lui ».

Thierry avait déjà choisi François Hollande au premier tour et revotera pour lui. Le débat n’a donc en rien modifié ses intentions. Et il utilise la métaphore sportive pour décrire son sentiment général sur ce scrutin : « Le monde entier est dans cette espèce de coupe du monde de merde dans laquelle on vit, et cette élection est juste une coupe régionale. Car on est tous dépendants les uns les autres. De toutes façons, quoi qu’il arrive dimanche, il n’y aura pas de miracles ! »

Sergio, 29 ans, un des deux barmans s’activent pour servir bières et mojitos. Ce duel au sommet n’a changé en rien ses convictions. Il a voté blanc au premier tour et envisage de glisser un autre bulletin blanc au second, « car je n’ai foi en aucun homme politique ou dans le système dans lequel on vit aujourd’hui ». S’il pense que le gagnant des primaires a pris le dessus sur le candidat sortant, il n’a pas pour autant été convaincu par ses arguments. Et quand on lui demande si l’élection est déjà pliée avec des sondages qui annoncent des intentions de vote à 54% pour Hollande, il reste sceptique : « Non, c’est jamais plié avant les résultats. Je ne crois pas aux sondages. Pour moi, c’est de la propagande ou de la manipulation ». Pour Sergio, ce débat aura surtout été « un beau combat de coq dans leur course au pouvoir ».

Simon, 26 ans, l’autre barman du Zorba, ne s’est pas ennuyé pendant la soirée, mais reste tout de même un peu déçu par la prestation des deux finalistes. « Hollande n’a pas assez parlé de ses propositions et était trop dans la critique du bilan et, Sarko, lui, était trop technique pour les Français ». Mais au contraire de son collègue, il croit que l’élection s’est jouée sur le plateau. « Sarko a clairement perdu, surtout sur la fin avec un mot comme « difficile ». Or les gens ont envie de paroles d’espoir et c’est ce que Hollande leur a donné. Pour moi c’est plié ! »

Et pour Simon, à l’image de tous les autres participants, cette « election party » n’aura eu aucune influence sur son intention de vote du second tour : « Je vais voter blanc. Car dans les deux cas, ça va être dur. Dans les 5 ans à venir, on va se bouffer des plans d’austérité et on va en chier… grave. »

Sandrine Dionys

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