La Cour de cassation vient de rendre deux décisions dans lesquelles elle juge que le placement en rétention administrative de bébés n’est pas « un traitement inhumain ou dégradant » au sens de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Précisons que la Cour a souhaité donner un rayonnement important à sa prise de position, puisqu’elle l’expose en première page de son site internet.

En l’espèce, deux familles, l’une arménienne et l’autre sri-lankaise, étaient en situation irrégulière sur le territoire national. Faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire national, ces familles accompagnées respectivement d’un bébé de deux mois et demi et d’un autre de douze mois, avaient été placées dans un centre de rétention administrative.

Les préfets de l’Ariège et de l’Ille-et-Vilaine ont alors saisi les juges des libertés et de la détention pour prolonger la rétention administrative de ces familles. C’est alors que les magistrats des cours d’appel de Toulouse et de Rennes ont opposé un refus aux préfets, considérant qu’alors même que les centres de rétention disposent d’espaces réservés aux familles, « le fait de maintenir dans un tel lieu une jeune mère de famille, son mari et leur bébé (…) constitue un traitement inhumain au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

Pour les juges, le caractère inhumain de la rétention administrative de familles accompagnées de très jeunes enfants est caractérisé à un double point de vue. D’une part, une telle mesure s’apparente à « des conditions de vies anormales » pour un très jeune enfant. D’autre part, l’inhumanité s’infère de « la très grande souffrance morale et psychique infligée à la mère et au père par cet enfermement, souffrance manifestement disproportionnée avec le but poursuivi ».

C’est en réponse aux pourvois en cassation des préfets concernés, que la plus haute juridiction judiciaire française vient de se prononcer dans deux arrêts du 10 décembre 2009. La Cour de cassation a censuré les ordonnances des présidents des cours d’appel de Toulouse et de Rennes, considérant que les magistrats n’avaient pas suffisamment caractérisé le caractère inhumain et dégradant des mesures de rétention.

Est-ce à dire que la Cour de cassation juge que la rétention administrative d’enfants en bas âge est une mesure humaine ? Certes non. La Cour exige plutôt que les situations des familles soient appréciées au cas par cas et demande aux juges des libertés qu’ils vérifient les conditions dans lesquelles les familles sont effectivement retenues.

Pour autant, une telle prise de position de la part du juge judiciaire ne manque pas de surprendre, quand on sait qu’il est présenté, habituellement, comme le garant naturel des libertés fondamentales. On ne voit pas en quoi les cours d’appel n’avaient pas suffisamment qualifié le caractère inhumain et dégradant de la rétention, eu égard en particulier au jeune âge des enfants (2 mois et demi et 12 mois).

Surtout, la décision des juges a été prise contre l’avis de l’avocat général près la Cour de cassation. Or, rappelons que l’avocat général est le porte-voix de l’Etat, et qu’en l’occurrence il avait affirmé que « le fait de placer en rétention administrative un étranger en situation irrégulière accompagné de son enfant mineur doit rester une mesure exceptionnelle », et d’en déduire au vu des données des espèces concernées que « les circonstances de faits comme le très jeune âge des enfants, suffisait à caractériser une violation » de la Convention européenne des droits de l’homme.

Laurent Bonnefoy
Juriste, enseignant dans une faculté de droit de la banlieue parisienne

Laurent Bonnefoy

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