Lundi 7 mai 20h25 – Dans la peau du kidnappeur

Mille ans ne suffiraient pas à Hortefeux et Guéant, ces imbéciles, pour résoudre l’énigme. Ont-ils seulement cherché ? La police française ne s’intéresse plus qu’aux enquêtes faciles pour améliorer ses statistiques. A mon époque, c’était autre chose… S’ils avaient deux sous de jugeote, ils auraient deviné que Sarkozy était détenu à l’intérieur même de l’Elysée.

Personne ne s’est jamais méfié de moi. C’est pourquoi j’ai toujours été aussi résistant. Avec l’âge, c’est à peine si on me remarque. Ca me rappelle la seconde guerre. Il n’y avait pas beaucoup de monde capable de défendre ses convictions. J’étais de ceux-là, jusqu’à subir les affres de l’emprisonnement et de la déportation.

J’ai connu cette période avant-guerre où la stigmatisation conjuguée à la crise a conduit au pire. N’oublions pas que ce sont nos gouvernants qui étaient responsables des deux : la stigmatisation et la crise. Puis le repli sur soi, le protectionnisme, le nationalisme. Et la guerre.

J’ai contribué à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Je suis bien placé pour dire combien ils sont menacés aujourd’hui, dans la France de 2011 qui, la première, a défendu cette idée en 1789…

Je viens de voir le visage de Sarkozy. Je crois qu’il a compris la leçon. Je le laisse libre. Libre de partir et aussi, libre de changer.

Je suis un homme debout, né lors du fameux octobre rouge 1917, date de la révolution russe. J’ai écrit un livre que les gens se sont arrachés, prouvant que la force d’une idée ne tient pas à sa longueur. A mon âge avancé, je n’ai pas renoncé à l’action. Tout le message de mes énigmes était là, compilé de façon évidente à des yeux qui ne voulaient pas voir, qui ne pouvaient donc pas savoir. Mon message, je l’ai déjà présenté à des millions de Français sous la forme d’un petit livre :

Indignez-vous !

Lundi 7 mai, 21h.

Claude Hortefeux et Brice Guéant sont des héros. Ils ont retrouvé le président.

Mais eux connaissent la peu glorieuse vérité. C’est le ravisseur qui l’a livré à eux. Caché derrière l’uniforme de garde républicain, il prenait le risque de transmettre lui-même ses messages.

Le pas alerte de Stéphane Hessel ne trahissait pas son âge. Pendant la résistance, il a multiplié ce genre de missions.  Il a récidivé. Il ne voulait pas tuer le président. Sinon, ce serait déjà fait. Il voulait donner une leçon.

Hortefeux et Guéant ont compris. La liberté comme message, l’indignation comme mot d’ordre, l’engagement comme devoir.  Ils ont laissé le vieil homme partir. Libre, comme toujours.

Quant à eux, ils ne peuvent plus défendre cette France qu’ils ont vu à travers leur interrogatoire. Ils ne peuvent plus se mentir, dire qu’ils ne savent pas. Demain, dès la première, ils poseront leur démission.

Lundi 7 mai, 23h – Dans la peau de Nicolas Sarkozy

La présidence, j’y pensais chaque matin en me rasant. Aujourd’hui, je me sens las de tout ce cirque. Les médias ont joué la complainte du héros. Mes conseillers en communication me parlent de sondages au zénith pour les législatives. Pour eux, c’est sûr, je vais être redevenir président en 2017.

J’ai lu les dépositions de Claude Hortefeux et Brice Guéant. Je me savais impopulaire mais à ce point… Le pire, c’est que tous ces gens ont raison.  J’ai été un mauvais président. J’ai été le candidat qui a voulu construire sur les braises d’une maison qu’il a saccagée. Tout cela n’avait aucun sens.

J’ai annoncé une conférence de presse demain à 10h, sur le perron de l’Elysée. Personne ne sait ce que je vais annoncer. Ma plume, Henri Guaino m’a préparé son « plus beau discours depuis celui de Dakar », m’a-t-il fièrement déclaré. Il veut me faire dire quelle ânerie, cette fois ?

Tous, proches, amis, journalistes, téléspectateurs vont tomber des nues quand je vais annoncer que je regrette mes cinq ans où j’ai divisé, stigmatisé, humilié, raté… Que je me retire définitivement de toute forme de vie publique pour me consacrer à ma famille.

Mardi 8 mai, 10h.

Je n’ai jamais vu un tel monde sur le perron de l’Elysée. De partout, j’ai reçu des messages d’encouragement. Les gens m’aiment, tout simplement. La lumière des caméras plisse mes traits. Cela redouble l’impression de gravité de mon allocution.

L’agitation couvre ma voix. Ce message est mon premier retransmis en mondiovision. Même les chaînes américaines se sont battues pour avoir l’exclusivité. Je suis définitivement devenu Sarko l’Américain.

Je fourre la main dans la poche pour vérifier que mon téléphone portable est pour une fois éteint. Henri Guaino n’a pas pu s’empêcher d’y glisser son discours, au cas où. Sous-entendu, au cas où je me renierais.

Derrière la caméra, j’imagine les millions de Français. On annonce une audience record.  Le silence s’est fait, pas dans ma tête. Les idées tournoient comme les spots autour de moi. Des murmures se font entendre ici et là : Monsieur le président, monsieur le président ! Que c’est bon d’être au centre de toutes ces attentions. Que sont-ils devenus, mes prédécesseurs chefs d’Etat ? Relégués dans les livres d’histoire, vite oubliés. Au mieux, ils restent un bon souvenir.

Dois-je renoncer à mes privilèges ? Cinq ans au centre de la vie politique française. Dans tous les bars, autour des machines à café, dans les dîners de famille, tout le monde parle de moi. Non seulement j’existe mais je suis exposé, comme une oeuvre d’art. Le spectacle doit-il continuer ?

Je tâte à nouveau ma poche intérieure. J’entends mon coeur qui bat la chamade et me commande de renoncer. Je sens aussi le papier d’Henri Guaino que mes doigts effleurent. Ma main oscille entre vérité et vanité.

Mabrouck Rachedi

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