Après mon collègue Idir, le George Clooney du Bondy Blog qui rend folles les blogueuses, c’est à moi de m’immerger dans Barbès. Moi qui ai plus l’habitude de fréquenter le 8e arrondissement de Sarkozy que le 18e de Mohamed. Je me suis vêtu selon les codes vestimentaires locaux afin de me fondre dans la masse : jean 501, basket Adidas, cuir à la Starsky et tee-shirt aux couleurs du drapeau algérien. Rassurez-vous, même sans cet accoutrement, avec ma tête de métèque, je passerais sans doute inaperçu. Mais bon, mieux vaut prendre ses précautions.

Cela fait prés de deux heures que je tourne dans Little Algérie et jusque-là tout va bien. Je ne me suis pas encore fait agresser, mon portefeuille est toujours calé dans ma poche. Au détour d’une rue, je tombe nez à nez avec une grosse affiche de Bouteflika placardée sur la vitrine d’un local, qui me semble être le QG de campagne du président-candidat. J’entre, à l’intérieur quatre hommes attablés, et tout autour des dizaines de posters du raïs, ainsi que des centaines de prospectus éparpillés dans la salle. Je suis reçu avec gentillesse, je me présente en qualité de journaliste. A ces mots, l’un des occupants, cheveux gominés, fringué à la Berlusconi, me rétorque qu’il faut aller au consulat d’Algérie, que c’est là-bas, selon lui, qu’ils pourront me renseigner, car ici, « [ils n’ont] rien à dire ».

J’insiste lourdement, en expliquant que mon reportage ne porte que sur l’ambiance autour des élections. L’atmosphère se détend, et après dix minutes de monologue de l’« Italien » qui me vante les biensfaits d’Abdelaziz Bouteflika, je décide de poser une question un peu provocatrice : « Les élections en Algérie, on connaît les résultats d’avances, non ? Et que pensez-vous des Algériens qui affirment que le président a pactisé avec les terroristes et… » Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase que l’un des hommes se lève brusquement et me demande ma carte de journaliste. Je lui réponds qu’en fait, je n’en ai pas, et là le ton change du tout au tout.

On m’intime de relire à haute voix mes notes afin de vérifier que je ne critique pas le guide suprême. Ensuite, pour que mon article soit bien orienté pro-Bouteflika, on me demande de lire les différents prospectus à la gloire du chef, et de les résumer à haute voix comme un élève de primaire qui récite sa leçon devant son institutrice.

Pour finir, un des hommes du staff de Boutef, physique de rugbyman, exige que je lui présente ma pièce d’identité et lui communique mon numéro de téléphone. « Je ne suis pas algérien, dis-je. – Mais c’est pas grave, on va vérifier… » Sentant que la tension monte, je décide de sortir précipitamment et de courir sans me retourner. A l’abri derrière un porche, je m’arrête pour réprendre mon souffle quand j’entends un homme me crier dessus en arabe : « Ya hamed i’ya h’na (Ho ! Ahmed, viens ici) ». A ces mots je tremble de tous mes membres. « Ouhech bik (qu’est-ce qui te prend), t’as peur cousin ? », me dit l’homme tout en s’approchant de moi.

Je recule afin de prendre ma garde, ma main sur ma bombe lacrymogène. Je l’avoue, je ne sais pas me battre, et quand on m’a dit que je devais aller à Barbès, j’ai pris mes précautions, pas seulement vestimentaires. Il met sa main sur mon épaule, j’étais prêt à le doser. « Tu veux des Marlboro », demande-t-il ? Bien que je ne fume pas cette marque, j’en ai acheté un paquet et même plusieurs paquets, tellement mon cousin insistait. Voilà le Barbés que j’aime, une Foire du Trône dans le 18e, sensations et palpitations cardiaques…

Chaker Nouri

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Chaker Nouri

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