MUNICIPALES 2014. A Villejuif (94), les adversaires politiques se plaignent de 89 ans de communisme « inefficace » et « clientéliste ». Mais chez les Villejuifois, entre fervents abstentionnistes, mécontents, satisfaits, les avis sont mitigés. 

Dimanche, 9h du matin. Avenue Karl Marx, au cœur de la cité Jacques Duclos, alors que le soleil a déjà baigné le marché Auguste Delaune, l’heure est au tractage et aux discussions. A l’extérieur, autour des vendeurs de vêtements bradés en bazar sur des planches en carton ou cintrés, des hommes et des femmes vêtus de kway rouges imprimés « Le 21 PCF Villejuif », tracts à la main, interpellent et discutent avec les Villejuifois. Matinal, le parti communiste est déjà en nombre et en action.

Cheveux grisonnants, lunettes rondes aux bords rouges vermeils, Marie, militante communiste depuis 1968, travaille à l’hôpital Brousse. Aristide, retraité, ancien directeur d’une maison de vin, s’est engagé auprès du PCF il y a plus de 40 ans séduit « par les valeurs de solidarité, d’humanité et d’engagement ». Confiants pour les municipales, ils soutiennent contre vents et marées Claudine Cordillot, maire communiste depuis 1999, font des bises aux passants, serrent des mains à tout va. Aristide et Marie tractent sur les marchés le dimanche, font du porte à porte, organisent des réunions de quartiers pendant lesquelles ils « écoutent les Villejuifois et surtout tiennent compte de leurs demandes ». 

Un militant m’interpelle pour aller à la rencontre de Pierre Garzon, secrétaire de section du Parti communiste, vêtu d’un kway rouge comme tous ses compères. Economiste spécialisé sur les questions sociales, à 39 ans, Pierre est engagé au PCF depuis la fin des années 1980. Pour lui, le point de départ de la lutte « c’était celle contre l’Apartheid », désormais, son combat est celui du PC et il consiste à « maintenir une politique sociale et solidaire contre les politiques d’austérité » mais aussi « se battre contre les injustices et les discriminations».

Pierre insiste, le PCF est un parti qui bouge et pas seulement en période électorale : « on est en permanence en action, pas que les jours de marché parce qu’on est en campagne ! Tiens, en septembre, on a fait signer une grande pétition contre la réforme fiscale, on laisse personne sur le bord de la route ». Pour lui, les accusations de « clientélisme notoire » de ses adversaires politiques ne sont que calomnies, puisque il s’agit d’une simple politique d’engagement social : « pour eux, faire du clientélisme, c’est ne pas punir les enfants d’immigrés et d’ouvriers, leur donner la possibilité d’accéder au logement, à la culture et aux services de restauration et aux vacances« . 

Banlieue rouge depuis 1925, Villejuif est une ville populaire. Selon Pierre, l’action communiste a fait beaucoup de bien à la ville notamment grâce au développement important du service public : « on a des métros, on a développé un logement social à très bas prix, un grand stade nautique et un théâtre ». Ses « détracteurs » comme ils les appellent voient Villejuif comme « la ville de tous les maux » mais pour lui l’objectif a été atteint même s’il reste encore beaucoup à faire : « maintenir une ville populaire, attractive et très diverse aux portes de Paris». 

Un peu plus tard dans la matinée, progressivement, divers militants des partis d’opposition font leur apparition. A l’entrée du marché couvert, Martine,65 ans, ancienne comptable, lunettes rondes transparentes et coupe à la garçonne, est venue tracter pour le candidat UDI Jean-François Harel. Accablée, elle s’énerve, la voix tremblotante : « Il y en a ras le bol de ces communistes, il faut que ça change ! ». Impôts excessifs, absence de commerces en centre-ville, les critiques fusent. Julie, 45 ans, habitante de L’Hay les Roses, met l’accent sur l’insécurité et la délinquance devenus, selon elle, un véritable fléau à Villejuif.

« Ici il y’a des noirs et des arabes, venez, venez »

Elle pointe du doigt l’immobilisme de la municipalité : « Ils font rien pour ces jeunes, les jeunes ils zonent, les petits de 5-6 ans ils ‘shouffent’ pour pas que les grands se fassent attraper par la police, il n’y a rien pour eux, pas d’entreprises, pas de sociétés pour les insérer professionnellement, nous on va changer les choses ». A chaque conseil municipal, Julie a le sentiment de prêcher dans le désert : « on est pas écoutés, on nous parle comme des gamins, pour la construction de la mosquée, elle a dit c’est voté, taisez-vous ! ». Avant Jean-François Harel, Julie n’avait jamais été encartée mais avec lui, elle a « retrouvé l’espoir ». 

« Ici il y’a des noirs et des arabes, venez, venez » crie un grand gaillard vêtu d’une doudoune noire. Cinq militants pour la Nouvelle Dynamique, association qui regroupe Modem, UMP et Centristes tractent et discutent au milieu du marché. L’équipe est diverse et ils ne manquent pas de le rappeler. Très critique, un enseignant chercheur en innovation industrielle assure avec ironie : « la décentralisation est bonne quand ils maîtrisent les finances, pas pour gérer la population». 

José Carvalho, petites lunettes noires et cheveux grisonnants n’est pas un profane en politique. Conseiller municipal et candidat aux législatives et aux municipales, il tient à expliquer les raisons pour lesquelles la Nouvelle Dynamique s’est engagée derrière Franck Le Bohellec. Villejuifois depuis 20 ans, il constate que la situation n’a cessé de se dégrader ces dernières années : entre insécurité et mauvaise gestion des finances publiques, pour José, c’en est trop : « ici, on est une ville de 56 000 habitants, on a une dette de 108 millions d’euros et a 12h, en pleine journée, on risque de se faire agresser en plein centre ville. En décembre dernier, une femme s’est fait trainée sur 5 mètres en plein centre-ville à 21h ».

« Il y’a quatre gardes-champêtres, pas de police municipale ! »

Si l’atmosphère est devenue aussi insupportable à ses yeux c’est notamment en raison de l’absence de commissariat : « il y’a quatre gardes-champêtres, pas de police municipale ! ». Il dénonce une municipalité qui ferme les yeux sur l’insécurité et se sent impuissant face aux problèmes auxquels fait face la ville depuis une dizaine d’années : « c’est pas une ville de gauche, elle n’écoute pas la population, on ne nous écoute pas, la ZAC elle est passé comme une lettre à la Poste ! Et comme dirait le premier adjoint, ce qu’une concertation fait, une autre peut la défaire » dit-il en murmurant. Mais José veut démanteler ce système où « tout est menotté », et le changement incombe aux citoyens : « c’est à eux de reprendre les choses en mains ».

Au milieu de la conversation, un quarantenaire, veste en sky marron bordée de fourrure et jean délavé, s’interpose pour dénoncer « un clientélisme notoire » : « j’ai des amis qui ont des appartements gratuits ». Quelques uns des militants assurent qu’il y’a du clientélisme mais l’enseignant chercheur, plus sage, opte pour la prudence : « tant qu’on a pas de preuves, il ne faut pas parler ». 

Sous le marché couvert, Tarik 30 ans, chauffeur routier, accompagné de sa femme Amel 25 ans, en course, choisi minutieusement ses fruits. Il a habité Villejuif pendant 20 ans mais a déménagé à L’Hay les Roses il y’a deux mois : « la taxe d’habitation était trop chère ». Niveau politique, Tarik ne s’en cache pas, il a envie de « donner sa voix parce que les municipales c’est du direct, c’est pour nous » mais il n’est pas encore naturalisé. Sa femme qui vit de petits boulots, elle, a la nationalité, mais résignée, n’a jamais voté. 

« Ils ont scolarisés les enfants Roms, c’est vraiment étonnant ce qu’ils font pour les habitants »

Couple de musiciens, Claire 41 ans et Manfred 67 ans, vivent depuis 3 ans à Villejuif et en sont enchantés. Pour Claire, carré châtain, look sportif et piercing au nez, c’est une ville qui rayonne : « c’est calme, proche de Paris, il y’a même des chevaux au bout de ma rue ». Propriétaire d’un appartement à Paul Vaillant Couturier, elle se sent en sécurité « je peux rentrer à 1h du mat’ en vélo ou à pied, je me fais agresser dans le 15ème mais pas à Villejuif, je vis dans un quartier où il y’a beaucoup de fleurs et de poésie » dit-elle ravie. Ce qu’elle préfère, c’est le « côté humain » notamment sur la gestion des Roms : « ils ont scolarisés les enfants, c’est vraiment étonnant ce qu’ils font pour les habitants ». 

Nicole, blonde, petite lunettes, la cinquantaine, s’estime « très moyennement satisfaite ». Elle est sincèrement préoccupée par le problème du logement, de l’absence de perspectives d’avenir pour les jeunes et surtout de l’insécurité : « moi je suis pour la vidéosurveillance, à Lamartine, les gens sont terrorisés, c’est pas éclairé, il y’a des agressions, les jeunes ils font beaucoup de choses ». 

Direction Lamartine. Au milieu des grandes tours grises de la Cité Robert Lebon, une crèche municipale, un square et une petit terrain de foot où des jeunes tapent dans la balle. Deux hommes assis sur un banc surveillent au petit square des enfants qui s’agitent dans tous les sens. Farid, la quarantaine, plombier kway gris à capuche, habite depuis quelques années le quartier et confie qu’il y’a une dizaine d’années, Lamartine étaitr sous haute tension : « ici avant il y’avait des meurtres et même si ça s’est calmé, j’ai peur pour les enfants ».

Dans l’attente de sa naturalisation, il n’ira pas voter pour les municipales. Un vieil homme de 70 ans, ancien inspecteur des impôts en Algérie, est venu habiter a Villejuif après sa retraite au début des années 2000. Il vote PCF tout le temps, depuis sa naturalisation : « je vote parce que j’exerce mon droit de citoyen mais je ne m’attends à aucun miracle, ils font avec leurs moyens». Sur un petit signe de la main, il quitte le square. 

« La politique, c’est du n’importe quoi, c’est une mafia non-déclarée avec un drapeau »

Assis sur un petit muret en briques, Abdelkader 26 ans, « dans la grande distribution », habite depuis 15 ans à Lamartine. La mine fatiguée, il se grille clope sur clope et avec un air désabusé s’interroge : « voter mais pour quoi faire ? Vous savez c’est boycotté, c’est eux qui choisissent. Ils prennent l’argent et moi je vais gagner quoi ? Il n’y a rien pour les jeunes, il y’avait un centre social, derrière toi là, ils l’ont fermé. Alors, le petit il sort de chez lui, il a rien à faire donc il vend du shit. Ici, ça galère et ça touche pas de salaire ». Pour lui, afin d’endiguer le problème du deal, le support par l’aide des éducateurs de rue est vital . Il conclut sèchement : « la politique, c’est du n’importe quoi, c’est une mafia non-déclarée avec un drapeau ». 

Rejoint par quatre amis de la cité, la conversation sur les municipales et le quartier Lamartine se poursuit. Salim 23 ans, animateur et Stéphane 24 ans, technicien de maintenance iront voter le 23 mars. Salim vote à gauche « parce qu’on me dit que la droite c’est des racistes mais d’ailleurs je sais même pas ce que c’est les municipales, on vote pour qui, le maire non ? » demande-t-il dubitatif en regardant ses amis. Spontanément, il lance : « moi, on m’a dit pour avoir des appart, faut voter pour la mairie ». Ses amis acquiescent en ricanant.

Yacoub 18 ans, a raté son baccalauréat et maintenant recherche un petit boulot, il n’ira pas voter car il n’a pas la nationalité. Le regard fuyant, il reste assez confiant pour les jeunes : « comme ça bouge pas pour les jeunes, on est quelques uns a avoir pris l’initiative de monter une asso Lamartine Solidarité ». Lamartine Solidarité c’est une association créée il y’a 2 ans avec l’appui du chef du service Jeunesse de la mairie : « on organise des sorties pour les petits du quartier, des brocantes, des fêtes, des ateliers rap le jeudi aussi ». D’ailleurs, il est temps de partir, cet après-midi, ils vont au ski avec la mairie.

Myriam Boukhobza

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