Il est peu d’endroits en région parisienne où le scrutin s’annonce aussi serré qu’à Aubervilliers. Le maire (PS) Jacques Salvator aura fort à faire pour conserver son siège face à la concurrence de six listes, dont celles de l’ancien maire (PCF), Pascal Beaudet. Portrait.

« Je prendrai un pavé de saumon. C’est très bien ça, hein, bébé ? » Le couple de sexagénaires attablés à l’étage de ce bar-restaurant passerait presque inaperçu au milieu des clients. Et pourtant, Jacques Salvator est maire d’Aubervilliers (PS), candidat à sa réélection. « Bébé », c’est Evelyne Yonnet, première adjointe de son mari depuis 6 ans. Une fois la commande passée, la discussion se recentre et l’époux tendre redevient l’homme politique en campagne. Loin de l’indécision autour de son repas de ce vendredi, Jacques Salvator tranche souvent dans le vif depuis qu’il est aux commandes de la ville de Seine-Saint-Denis.

Comme lorsqu’il a choisi, en 2008, de mettre fin à des décennies d’union de la gauche en présentant une liste autonome face au maire communiste, Pascal Beaudet. Idem lorsqu’il a fallu appliquer, dès 2013, la décriée réforme des rythmes scolaires. Salvator n’a pas hésité, par ailleurs, à augmenter à deux reprises des impôts stables depuis dix ans. Un mode de gouvernance qui lui a valu une certaine impopularité dans la ville. Mais, là encore, le parler est franc. « Je n’en ai rien à foutre de tout cela. Ce n’est pas ma conception de la vie politique. Je ne suis pas démago, je suis un mec simple. Mettre ma photo partout, comme les autres maires le font, ça ne m’intéresse pas. Je n’en ai rien à branler. »

« Tiens, va les rencontrer. Moi, c’est peut-être mieux que je reste là… »

Ce qui l’intéresse, Jacques, c’est la victoire. Il est très fier de celle de 2008, acquise au prix d’un scandale au nom de l’union de la gauche. « Beaucoup de gens au PS me donnent des leçons. ‘’Moi je vais faire ça à La Courneuve, moi je vais faire ça à Saint-Denis…’’. Moi, je n’ai pas parlé mais j’ai gagné. » Depuis, six ans sont passés et Aubervilliers a changé. « Je ne demande pas qu’on m’écoute. Simplement, qu’on regarde ! Qu’on regarde ! Le centre commercial du Millénaire n’existe pas ? Le conservatoire n’existe pas ? Le stade rénové n’existe pas ? Les équipements n’existent pas ? »

On a vérifié, ils existent. Et ses partisans sont là pour nous le rappeler, toujours prompts à saluer son « courage » et sa « connaissance de la ville ». Après un rendez-vous trop court pour un édile convaincu et disert, le maire nous invite à le suivre hors de la mairie. Il doit retrouver Cécile Duflot, la ministre du Logement, pour un déplacement sur la question du logement des séniors. La députée Elisabeth Guigou et la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann sont là. Une association de mal-logés aussi, opposés à la politique du maire. Qui glisse à un de ses colistiers : « Tiens, va les rencontrer. Moi, c’est peut-être mieux que je reste là… »

Jacques Salvator sait que tout le monde n’approuve pas son action. Mais il est persuadé de mener la meilleure politique pour Aubervilliers. On le devine fier de la transformation de la ville, de son « attractivité retrouvée » et d’une gestion « plus transparente et plus claire » des affaires publiques, qui l’ont amené à faire voter l’anonymat des dossiers en commissions HLM. Il se vante également d’avoir fait venir Véolia, le centre commercial, le « Fashion center » chinois et d’autres entrepreneurs… Ses opposants lui rappellent que le taux de chômage, lui, n’a pas suivi le mouvement et gravite toujours à 23%.

Une demi-heure et quelques photos plus tard, Salvator quitte Duflot, file retrouver ses militants en tractage devant La Poste, repasse par la mairie et s’en va déjeuner dans un restaurant du centre-ville. Il nous invite, là encore, à le suivre. « Ils sont très doués au Bondy Blog », souffle-t-il à son directeur de campagne, assez fort pour qu’on l’entende. L’homme est une bête politique, ancien secrétaire national du PSU, puis patron des permanents PS rue de Solférino, où il a collaboré étroitement avec un certain… François Hollande, avec qui « il est souvent en contact ».

Faire campagne, négocier des alliances, monter une liste… Tout ça, il sait faire. Derrière ses lunettes et son visage rond, le maire a le contact facile avec ses administrés. Pas chaleureux mais souriant. Dans la rue, les gens qui l’arrêtent sont nombreux et les qualificatifs élogieux. Quand on l’interroge à ce sujet, Salvator ne perd pas le nord. « Je suis très attentif à ce que me disent les gens. Mais je sais aussi que les gens sont très gentils depuis que j’ai annoncé être atteint d’une grave maladie [un lymphome, Ndlr]. »

Sur la route qui nous amène au restaurant, entre deux voitures qui s’arrêtent pour l’encourager, le maire égratigne les communistes, qui ont géré la ville pendant 40 ans avant lui. « J’étais contre la nomination de Pascal Beaudet en 2003 [il a succédé à son beau-père démissionnaire, Jack Ralite, Ndlr]. Depuis, je me suis opposé à bon nombre de ses décisions. Le nec plus ultra des politiques locales sous Beaudet, c’était d’embaucher plein de personnel sans jamais augmenter les impôts. »

« J’ai gagné. J’ai battu Beaudet et le PCF. Avant tout le monde »

Entre deux camps qui ont longtemps gouverné ensemble, les temps ont bien changé. Hier bastion, Aubervilliers est devenu un véritable bourbier politique dans lequel il est difficile de voir clair. Et, si les deux camps ont l’œil rivé sur les sondages privés et autres analyses de l’électorat local qu’elles commandent, le résultat du 23 mars semble bien indécis. Un seul élément de comparaison : l’élection de 2008. Au premier tour, Pascal Beaudet (PCF) avait été placé en tête avec 34,9% des voix. La liste de Salvator le talonnait avec 31,9%. Assez pour se maintenir, jugeait-on alors chez les « soc », un choix qui allait leur permettre de gagner la mairie à… 370 voix près.

C’est ce même Pascal Beaudet qui se présentera face à lui cette année. Et quand on lui glisse que celui-ci est peut-être plus populaire que lui, la réponse fuse. « Peut-être, mais je l’ai battu. » Silence. « J’ai gagné. J’ai battu Beaudet et le PCF. Avant tout le monde. » L’enjeu est donc désormais de rééditer la performance, en s’appuyant sur son bilan et certaines propositions-phares. Comme le projet d’écoquartier de 36 hectares au Fort d’Aubervilliers, l’engagement dont il est « le plus fier ». Ou sa volonté de développer le nouveau quartier à la porte d’Aubervilliers, hier délaissé et demain investi par le métro, le campus universitaire Condorcet, des logements, des services…

Pour cela, le maire mise sur sa proximité avec le gouvernement, dont il connait personnellement les poids lourds, François Hollande en tête. « Fier d’être socialiste » et « confiant pour la suite du quinquennat », Jacques Salvator sait toutefois prendre ses distances avec son camp. Comme lorsqu’il s’en prend aux ambitions de Claude Bartolone, le président de l’Assemblée nationale, sur la future métropole du Grand Paris. « Je soutiens la métropole de 2016, mais cela ne doit pas passer par la suppression des intercommunalités, comme Plaine Commune [dont il est vice-président, Ndlr]. Quoiqu’en dise Bartolone. »

Quitte à se faire des ennemis, Salvator porte ses convictions. En espérant qu’elles soient partagées, au soir du 23 mars, par une majorité d’Albertivillariens. Du haut de son statut « d’élu d’expérience, adjoint depuis 25 ans, maire depuis 6 ans », l’édile de 65 ans dit attendre l’élection « avec confiance. » Mais Salvator sait mieux que quiconque à quel point cette ville de banlieue, où il vit depuis plus d’un demi-siècle, est imprévisible sur le plan politique. Un de ses adjoints confirme, quelques mètres plus tard : « Tout le monde est en panique. » Le pavé de saumon est fini, et on demande à Salvator une dernière bonne raison de l’élire. « Je suis le meilleur. » Tout simplement.

Ilyes Ramdani

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