Voilà c’est fait ! On a un nouveau président. Les sondages, l’oracle de Delphes et le fond de ma tasse à café ne nous avaient donc pas menti : la gauche est au pouvoir. Depuis le 6 mai, tous les feux sont verts sur la route, mon frigo se remplit tout seul la nuit, et je transpire du Chanel numéro 5 après le footing.

Tout comme moi, beaucoup de gens dans mon entourage trouvent que la France a changé depuis le 6 mai. Mère pense que les gens sont plus polis dans le bus, la viande a un goût de miel m’a confié le boucher et mon ami M’bokoko a reçu deux appels pour le boulot. Son diplôme d’ingénieur et ses 600 CV envoyés par la poste vont être enfin rentabilisés pense-t-il.

Le week-end dans le pays merveilleux des Schtroumpfs est terminé. Que la banlieue redescende sur terre.  La naïveté peut-être charmante sur le front de la jeunesse, mais croire au Papa Noël passé 30 ans ça fait un tantinet benêt. Roulez-moi dans la semoule une fois, honte à vous. Roulez-y-moi deux fois, honte à moi ! 30 ans qu’on nous promet des lendemains qui chantent pour les quartiers populaires. Croire qu’un nouveau président changera nos vies, c’est être pris pour l’idiot du pays.

Peut-être que l’ambiance sera plus fraîche dans les ministères quand on cessera de commenter le taux de natalité des Auvergnats, de se demander quelle civilisation a la plus grosse ou de crier au crime de lèse-majesté chaque fois qu’Aladin effectue un créneau dans la rue avec son tapis de prière. En tapant moins sur le musulman, les gens verront peut-être enfin quels sont les vrais problèmes du pays. La France n’a plus de sous, l’Europe non plus. On va bouffer de la vache maigre, elle est là la vérité. Ça va être ceinture pour tout le monde.

Et si en banlieue on était déjà au régime depuis Mathusalem, il  va falloir quand même resserrer d’un cran. Faire ramadan, carême, ou Gandhi c’est au choix. Ça ne me pose aucun souci. Quand il faut, il faut. Si tout le monde y met du sien, on peut tous être beaux l’été prochain et chacun pourra espérer sa place au soleil. « Faisons des économies ! », un slogan qui m’aurait peut-être plus tenté que la « Gaule costaud », tout droit sorti d’une pub pour le roquefort.

Inutile de pleurer sur le lait renversé. Après tout, le changement c’est maintenant. Nous en banlieue, on veut bien se serrer le ceinturon mais pas question de manger du pain tout sec et tout tordu alors que de l’autre côté du périph’ on mange de la brioche sortie toute chaude du four pour le quatre heures.

Tous les enfants de la République ont droit aux mêmes sandales pour affronter les chemins de la réussite. Or, grâce à la Cour des comptes, tout le monde sait désormais qu’en matière d éducation, l’État donne plus à ceux qui ont déjà beaucoup et moins à ceux qui n’ont rien ou si peu. Grâce à un rapport de 93 pages, on sait que l’Education nationale dépense plus pour un élève des beaux quartiers parisiens et moins pour celui qui a grandi dans  la cité des 3.000 à Aulnay-Sous-Bois, le plus démuni des deux. Et celui qui habite à Bourg-sur-Diamond-en- Blois-les-Roses-sur-Yvette, l’élève de Province, qui doit vite avoir le permis ou mourir d’ennui, reçoit encore moins de subsides qu’un fils du 9-3. Une différence qui peut atteindre les 51%, d’après la Cour des comptes.

En somme, pour l’agriculteur ou l’éboueur, la part de ses impôts versée à l’éducation des autres enfants sera plus importante que celle versée pour les siens. La collectivité dépense plus pour ceux qui ont tous les avantages et moins pour ceux qui cumulent tous les risques et les dangers de l’échec scolaire. Si vous vous demandez, tout comme ma sœur, pourquoi vous avez dû passer votre Bac L avec un prof de philo absent et jamais remplacé, vous savez désormais pourquoi.

Comment une injustice pareille a pu durer toutes ses années, alors que ministres, de droite comme de gauche, se sont succédés à la tête de l’Education nationale? Liberté, Égalité, Fraternité. Les frontons de toutes les écoles de France font d’elles des parjures.

Le futur gouvernement, dont la formation est prévue cette semaine, doit d’urgence réparer cette iniquité. C’est une obligation. Depuis 1789, aucun homme ne vaut plus qu’un autre, quel que soit sa couleur sa religion et l’endroit où il habite.

L’Etat doit peut-être faire des économies budgétaires.  Mais même à bout de souffle un corps sain irrigue toujours son cerveau. C’est vital. Pour les pauvres, plus que pour les autres: « Tous les moins que rien n’ont pour s’en sortir que l’école et le droit à chacun de s’instruire » disait Jean-Jacques Goldman. Donnez-nous moins, envoyez-nous des conseillers d’orientation sponsorisés par le BEP chaudronnerie  et vous récolterez ce que vous avez semez : du potentiel gâché. Une richesse prodigieuse perdue pour tout le pays.

Seuls les héros, les bêtes de boulot, ceux qui ont pu bénéficier de toute la puissance céleste que peut transmettre l’amour acharnée d’une mère malienne, juive, ou Kabyle à sa fille, peuvent défaire le boulet que l’Etat leur a pratiquement mis au pied. Entrée dans une faculté parisienne avec un 2 coefficient 8 au Bac philo, ma sœur en est sortie avec un diplôme d’avocat du barreau de Paris.

L’égalité pour tous dans nos écoles, la même ligne de départ pour tous les enfants du pays : priorité nationale pour ces 5 ans. Afin que plus jamais la VIIe chambre du palais de justice de Paris ne voit un plaidoyer se finir par ce si piteux trait d’esprit : « Comme disait Descartes, joker madame le juge ».

Idir Hocini

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