Il y a deux attroupements. À la même heure. À peine à vingt pas d’écart. Deux événements du dimanche. Un qui se joue chaque semaine, l’autre qui ne se joue qu’aujourd’hui. A gauche, les fidèles sortent de la messe dominicale. Le prêtre de l’église Saint-Nicolas du Chardonnet  vient de leur dire son prêche. A droite, les fidèles de Jean Louis Borloo sortent de la Mutualité dans le 5e arrondissement de Paris. Il vient aussi  de leur faire son prêche.  Et ils sourient de toutes leurs dents. Les moins jeunes laissent éclater leurs dentiers.

« La Mutu, c’est plus ce que c’était », s’enflamme un passant qui enjambe un Velib. Il est « du quartier, mais socialiste ». Dans sa poche dorment encore quelques tracts roses. « Regardez les, ils sont tous endimanchés, ils ont tous des gueules de Borloo » clame-t-il, avant de disparaitre. La « mutu » a vu se jouer l’histoire, elle a vu les peines et les victoires, elle a vu les combats et les défaites, elle a vu la gauche surtout, elle a vu la droite parfois. Et depuis 2008, elle est laissée aux mains du groupe GL Events. Ce qui expliquera sans doute l’apparition subite, dans un message de soutien à l’UDI, d’Olivier Roux, vice-président de GL Events. Passons.

Aujourd’hui, la Mutualité a vu Borloo et les siens. Dès l’entrée, le slogan fait trembler : « l’UDI, le réveil de la politique ». Les hostilités ont commencé à l’heure de la messe. Tout le monde n’avait pas encore les yeux décollés. Et pourtant, c’est « un événement historique », claironne un militant. Avant de glisser, sans en rajouter : « Il y a tellement de monde, on aurait du réserver le stade de France ». Une autre, dans la mesure la plus totale : « Il y a tellement de monde, on a dû refuser des gens ». Pourtant, à l’extérieur, pendant le discours du Chef Jean-Louis, les trottoirs sont déserts.

Tout devait bien se passer, rien ne devait dépasser. Ce devait être un événement parfait. Sans accroche, sans discorde. Avec de l’émotion, de la puissance, de la volonté, de la beauté, de l’amour, du rêve. Et des surprises. Celle, annoncée le matin, du soutien de Chantal Jouanno pour ce « parti de droite claire ». Celle aussi de Simone Veil, arrivée sous le bras de Borloo. Et le « Je vous souhaite bonne chance » de Giscard, présent en vidéo. « C’est pas lui qui va nous aider » clame un gars. Tandis qu’un autre contraste : « On aimerait avoir son parcours, c’est un grand homme ». « Et aujourd’hui, c’est aussi le retour de l’UDF », tente d’ajouter un autre.

Michel Barnier se faufile dans la foule. Ses admirateurs lui arrachent quelques photos.  Les femmes tombent à ses bras. Il serre des mains comme s’il lançait des baisers. Un jeune « amoureux de la politique » pose avec lui. « C’est un grand homme », dira-t-il quand l’ancien ministre à la chevelure blanchie s’en ira. Et des grands hommes, il y en a. André Santini (attendu au tribunal demain avec Charles Pasqua) lance son soutien. Hervé Morin n’est pas très loin, Yves Jego fait le show au micro. L’UDI est comme un hospice de vieux routards politiques.  A l’étage, une bénévole vend des badges et des t-shirts. Ca coûte le prix d’une baguette de pain.

Dehors, les militants se grillent des cigarettes. Les mégots s’en vont pourrir dans les cendriers. Une fidèle aux boucles d’or : « Ma famille est UMP, mais à l’UMP, ils ne sont pas très humains, c’est des notables. Au PS, c’est des assistés. Nous, à l’UDI, on accepte tout le monde ». Un homme aux boucles blanches : « J’ai été 30 ans au PS, j’ai voté Sarkozy aux dernières présidentielles, et me voilà ici ». Une dernière, aux boucles brunes : « Moi, j’ai voté pour un petit parti, les écologistes ». L’UDI semble être une grosse mixture, mais « plutôt à droite » admet une dame qui passe.

Dans le ciel, le soleil fait des manières. Il se cache et réapparait. Les religieux ont déjà tracé, le temps d’aller se faire cuire une dinde. Midi est passé, c’est l’après midi. Un touriste anglais s’arrête. Il regarde tous ces gens heureux, tous ces militants qui pensent qu’un jour « Borloo sera président ». Il dit, l’appareil photo dans ses mains : « C’est quoi? ». Nous : « C’est le lancement d’un parti politique ». Lui, en anglais : « Pffff, les politiciens, c’est de la merde ». Il s’en va, dégouté, la tête baissée. Sans savoir que ce moment, devant lui, était « l’évènement du siècle », d’après un militant inspiré. L’histoire veut que plus tard, vous lirez cet article à vos enfants, et ainsi de suite.

Mehdi Meklat et Badroudine Said Abdallah

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