« Lycéen de 15 ans, shooté à l’info » gazouille son profil Twitter. A l’info et à la politique : « Reporter au cœur du duel entre Mélenchon et Le Pen à Hénin-Beaumont » annonce-t-il encore. A chacun sa came. Lui est tombé dedans à 10 ans, par hasard. Un jour, son père laisse trainer un Canard Enchaîné. Il le dévore et devient accro. Pourtant dés sa petite enfance, les signes avant-coureurs d’une future addiction étaient là. Élection présidentielle de 2002 : Octave a 5 ans. Devant son école, apparaissent de grands panneaux gris recouverts d’affiches multicolores avec des visages et des regards qui le fixent. Intrigué et attiré, il cuisine ses parents sur ses drôles de posters. Peu concernés même s’ils ne sont pas abstentionnistes, ils lui expliquent, racontent et se laissent, au fil des années et de l’intérêt grandissant d’Octave, inoculer le virus : « Avant ils n’abordaient pas le sujet à la maison… J’ai d’abord converti mon petit frère puis mes parents à parler politique. En 2007, c’est moi qui les ait incité à participer au dépouillement de notre bureau de vote… »

Aujourd’hui, plus besoin de tirer ses parents par la manche, il est autonome. En 1ère ES avec une année d’avance, ils lui laissent une paix royale. Avec des moyennes oscillant entre 16,5 et 17, il n’a même pas besoin de réviser ses premières épreuves du BAC. Un compte Twitter de près 2 100 abonnés suivis par de très nombreux médias, un blog bien alimenté avec l’aide technique de son frère Célestin, 14 ans, des reportages-photos sur le terrain… Tout son temps libre y passe !

Il a même déjà goûté aux affres de ce milieu à forte teneur en THC (Très Haute Concurrence) : « Le 12 mai, jour où Jean-Luc Mélenchon a déclaré sa candidature, j’étais arrivé une heure à l’avance à la conférence de presse… Je me suis fait bousculer par le caméraman de TF1 qui me poussait pour avoir sa plus belle image… ». Et c’était sans compter sur une nouvelle déconvenue avec d’autres « dealers d’actus ». Signe de son activisme sans relâche, il fut le premier à scanner et à publier sur le net le faux tract sur Mélenchon. Un scoop : « J’étais le premier à sortir l’info du fameux faux tract contre Mélenchon mais le lendemain, des journalistes de Marianne 2 ont parlé d’exclusivité… Quant au Lab d’Europe1, il m’a plagié… Ça c’est le problème d’internet. Ils ont dû se dire, « un petit blogueur, il va pas nous faire du mal, on peut le plagier sans problème »… N’empêche, grâce à cet article, on a eu 3 000 vues d’un coup : ça a vraiment boosté l’audience, et l’équipe de com’ de Mélenchon est venue reprendre l’info sur mon blog en le citant » dit-il, pas peu fier de cette belle prise de guerre.

Et outre l’assouvissement de cette passion dévorante, Octave tient déjà son avenir en ligne de mire. Sciences Po Lille ou Sciences Po Paris se profilent à l’horizon grâce à la prépa de son lycée qui a signé une convention avec la prestigieuse école. Car le grand ado aussi blond que ses habits sont sombres déclare être intéressé par une carrière dans la diplomatie. Pourtant dans la chambre spacieuse de la coquette maison familiale, tout « sniffe » le repaire de futur journaliste professionnel. Des piles de Marianne, Libé, Times magazine, Courrier international, Le Canard enchaîné jonchent le sol à côté d’un bureau qui ne déparaîtrait pas dans la rédaction d’un grand quotidien. Il fait face à un portrait de Jean-Luc Mélenchon. « C’est pour le blog » précise-t-il d’emblée pour sauvegarder une apparence de neutralité. « Pour bien faire, il faudrait que je mette aussi le portrait de Marine Le Pen… » dit-il, soucieux de ne pas brader son impartialité de Tintin reporter en culottes longues de la 11e circonscription du Pas-de-Calais. Sur les étagères, se serrent de nombreux bouquins qui l’ont aidé à mûrir si vite non loin d’une vitrine de petites figurines égyptiennes, vestiges archéologiques de ses collections enfantines. Et puis les Beatles le veillent jour et nuit : Octave en a fait son groupe préféré.

Quand on le taquine avec de la psychanalyse à deux balles « peut-être qu’inconsciemment tu espères un jour faire de la politique comme Mélenchon ?« , il sourit et répond poliment, comme toujours, avec une légère pointe d’accent Lensois : « Peut-être… ». Pour son âge, ses références et sa culture politiques sont impressionnantes. Il admire tout autant les talents de tribun d’un Mélenchon que le charisme d’un De Villepin. Selon Octave, le clivage gauche/droite est aujourd’hui obsolète voire réducteur. Et même si le tumulte provoqué par le duel Mélenchon-Le Pen a fait de lui et son blog des médias citoyens à part entière, il déplore que le fond du débat ait été occulté par la surmédiatisation des deux ex-candidats à la présidentielle.

Pourtant il le reconnaît. A part le PS Philippe Kemel qui jouait gros face au leader du Front du Gauche, tous les autres candidats ont bénéficié de ces coups de speed et de lumière blanche médiatiques. « Pour la candidate EELV Marine Tondelier par exemple, qui vient, à tout juste 25 ans, de sortir de Sciences po, ça a lancé sa toute jeune carrière politique et carrément boosté sa notoriété… Même Éva Joly n’avait pas débattu avec Le Pen et Mélenchon à la télévision, elle si ! ». Et à Octave aussi de tirer un avantage substantiel de cette campagne sous les feux de la rampe. Remarqué par des journalistes de Libération, sa publication préférée, il fut invité à passer une journée dans leur rédaction à Paris. Parti avec sa mère, il se remémore avec émotion cette expérience « de rêve »…

Retour à la réalité. Et au vote Front National massif dans sa circonscription de Hénin-Beaumont. Octave l’attribue à la personne de Marine Le Pen qui a su, selon lui, capitaliser sur le vote populaire en se faisant passer pour une « figure de gauche » sur le thème économique. « Ici les gens sont en désespoir social, c’est un vote de protestation » tranche l’adolescent de 15 ans qui en paraît au moins 5 de plus. Un vote de protestation qui semble pourtant s’ancrer dans la durée…

Bref. A part les drogues dures que sont l’info et la politique, Octave ne déclare pas d’autres attractions fatales. Le sport ne l’intéresse pas et il a encore l’âge de partir en voyages avec la famille. Cet été, ce sera un plan escapades avec Célestin, et, sa mère ou son père : »Mes parents ne sont pas divorcés mais ma mère exerçant une profession libérale et mon père étant commercial à son compte, ils se relaient pour nous emmener, mon frère et moi, en vacances et nous occuper pendant l’été. » Cette saison, la Roumanie au programme avec papa et la Bavière et le Tyrol avec maman. Parfois, ils partent dans les pays de leurs origines lointaines : polonaises et belges par les grands-parents paternels, algérienne de Nedroma par le grand-père maternel, contrée méditerranéenne qui leur reste à découvrir…

Mais avoir 15 ans dans le bassin minier de Hénin-Béaumont n’a pas que des avantages. Non motorisé dans un secteur mal desservi par les transports en commun, le dimanche, le fan de Libé est dépendant d’une escorte parentale. La voiture paternelle l’aide à sillonner la « circo 11 » quand il s’agit de suivre un meeting ou d’assister à un débat. Son père se prête avec philosophie et humour à cette fonction de chauffeur/accompagnateur. «Vous savez, Octave nous coûte une fortune en abonnement presse.. » plaisante-t-il. « Mais rassurez-vous. Lui et son frère sont tout à fait comme les autres… Ils râlent, il faut les appeler je ne sais combien de fois avant qu’ils ne descendent manger et il faut les tanner pour qu’ils donnent un coup de main à la maison… De vrais ados ! » commente le patriarche.

Alors… Un jeune comme tous les autres, Octave ? Pas tout à fait. Lors de ces législatives où l’abstention fut « la reine de la fête » avec ses 43% triomphant, Octave n’avoue qu’un seul regret: « Être trop jeune pour avoir le droit de voter ! »

Sandrine Dionys

Publié le 13 juin 2012

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