EUROPÉENNES 2014. Mardi 15 avril, lors de la dernière session plénière du Parlement européen, nous avons assisté au débat prioritaire sur l’Union bancaire, présenté par Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services. Nous avons ensuite interrogé l’eurodéputé centriste Jean-Luc Bennahmias (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe). Union bancaire : portrait d’un objet non-identifié.

“L’Union ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord une solidarité de fait” (Robert Schuman*).

2008 : cataclysme financier. Les Etats viennent au secours des banques à coût et à coups de milliards. Les dettes publiques explosent, tout comme la bulle immobilière espagnole.

2010 : Pour sauver l’euro : l’Union européenne projette l’Union bancaire.

2014, mardi 15 avril : derniers échanges entre orateurs. Le Parlement européen vote l’Union bancaire, après 5 ans de travail. Un pas vers la justice sociale ?

C’est quoi l’Union bancaire ?

Le principe est simple : les instruments des politiques publiques relatifs au secteur bancaire sont transférés au niveau européen. Concrètement, trois grandes mesures ont été prises. La Banque centrale européenne supervisera les principales banques européennes (environ 130 établissements de crédit directement, soit presque 85 % de l’ensemble des actifs bancaires de la zone euro) et gagne en indépendance (MSU : mécanisme de supervision unique). Une autorité devra mettre à disposition un fonds unique, pour sauver les banques si elles avaient encore la mauvaise idée de faire faillite (MRU : mécanisme de résolution unique). Enfin, l’épargne de chaque citoyen sera préservée en-dessous de 100 000 euros (garantie des dépôts).

Pourquoi l’Union bancaire ?

Protéger le contribuable, qui casque pour les banques. “L’objectif de l’Union bancaire est un pas en avant, elle vise à protéger les contribuables. Il faut s’attaquer aux excès bancaires” (Pervenche Berès, eurodéputée PS).

Passer “d’un cercle vicieux à un cercle de redressement” (Evangelos Venizelos, vice-premier ministre de la Grèce et ancien ministre des finances), en empêchant la fuite en avant du système financier international, qui capte les ressources des États et des citoyens. « On ne peut toujours pas savoir le nombre de milliards qu’on a donnés pour sauver les banques… », selon Jean-Luc Bennahmias, euro-dépité, déçu par l’Union bancaire, qu’il a pourtant votée. En fait, 1 608 milliards d’euros ont été garantis à, ou déboursés pour le secteur financier, entre 2008 et le 31 décembre 2010. Soit 13 % du PIB européen. L’Irlande, le Royaume-Uni et l’Allemagne cumulent les deux tiers de ces aides attribuées aux banques.

Le monde de la finance doit se remettre au service de l’économie réelle plutôt qu’à son propre service” (Michel Barnier, commissaire européen au marché intérieur et aux services). Le libéralisme n’est pas une fin en soi. “Il faut surtout un système bancaire qui investisse dans l’économie réelle, dans la création d’emplois, dans les entreprises, et non plus dans la spéculation pour gagner de l’argent le plus rapidement possible” (Saïd El Khadraoui, eurodéputé socialiste belge). Les finances publiques, elles, ne devront plus renflouer le système bancaire international.

« Le système boursier est totalement inacceptable s’il n’est pas maîtrisé politiquement. Si ça ne nous touchait pas, vous, moi, nos familles, ça ne serait pas si important. Mais ça nous touche tous » (Bennahmias)Désormais, ce seront en premier lieu les créanciers et les actionnaires qui devront payer les erreurs des banques et les sauver de la faillite. “Garantir qu’en cas de défaillance de la banque dans laquelle les épargnants ont ouvert un compte, leurs économies ne seront plus affectées” (un député).

Enfin, renforcer l’Union monétaire. Débarrasser le libéralisme des excès de la finance, pour redynamiser l’économie. “Tous nos efforts sont mis en œuvre pour la relance, la croissance, la compétitivité” (Barnier). Éviter la faillite générale. “C’est un acte historique, on rompt le cercle vicieux de voir une crise économique se transformer en une crise financière” (Barnier). Redonner confiance. Entre citoyens et institutions. Entre banques et épargnants. Et surtout entre États membres pour éviter la désagrégation. “Dans l’intérêt public, garantir la solidité du système financier.” (un député)

Limites : l’Union bancaire reste une « condition nécessaire et non suffisante »(Bennahmias)

Un premier pas pour le technocrate. Un petit pas pour l’Europe. Trop frileux pour certains. “Ce texte est une véritable aberration. Je l’ai voté parce que c’est un travail de longue haleine, mais c’est farfelu. On vote l’Union bancaire et, en même temps, on garde une politique d’austérité dans tous les pays. C’est invendable si, à côté, ne sont pas mises en place des politiques sociales, une fiscalité progressive des entreprises, un salaire minimum dans différents pays, etc. Cet accord, c’est l’Europe déconnectée des réalités structurelles de 99,9% des concitoyens. » (Bennahmias)

La justice sociale est encore un cap lointain en Europe. « Les chefs d’Etat ne veulent pas de cette justice. L’expression “économie sociale de marché” a été inventée dans la constitution, puis reprise dans le traité de Lisbonne. Sauf que, dans les politiques qui sont menées, je ne vois pas où est le social » (Bennahmias). Pour le député centriste, l’équilibre politique est loin d’être rétabli. « Le système est très costaud. Et les grandes fortunes s’en tirent toujours. Du moins par le passé. »

“Nous avons mis de la morale et de l’éthique : les lois doivent être conformes à l’intérêt général” (Barnier)

L’intérêt général… Les éminences ont la morale sélective. Comme souvent, certains sont un peu plus égaux que les autres. L’Union bancaire, présentée par les rapporteurs comme une avancée pour la morale et la justice sociale, est loin de desservir le système bancaire. Les banques européennes auront de meilleures conditions de financement sur le marché, et donc une meilleure rentabilité de leurs capitaux propres, profitable à leurs actionnaires via une revalorisation de cours boursiers. « Ça ne veut pas dire plus de justice, ça n’est pas de la morale. Les membres du système bancaire sont simplement conscients de la solidarité qu’ils doivent avoir entre eux » (Bennahmias).

La Commission doit encore mettre en œuvre ces règles” (un député). Mais cette fois-ci, la bonne volonté devrait être au rendez-vous. “Le texte sera mis en application rapidement. Ça touche à leur argent. » (Bennahmias) Appliqué, oui ; appliqué quand ? Selon d’autres députés, la mise en œuvre sera progressive. Il faudra s’assurer que chaque pays exécute ses obligations de solidarité. Avec l’Union bancaire on prend le risque d’une fragmentation, surtout avec les pays hors zone euro. Enfin, les montants seraient insuffisants en cas de faillite bancaire de grande ampleur (55 à 60 milliards).

Toutes ces réformes sont une étape importante vers un système financier plus sain et plus équitable” (l’eurodéputé belge Saïd El Khadraoui). Reste à réduire le volume des banques (tendance à gonfler et à s’endetter), à séparer les banques d’épargne et les banques d’investissement, à taxer les transactions financières. “Il y a bien sûr un lobby bancaire énorme pour éviter ça (qui dépense à Bruxelles 120 millions d’euros par an). C’est possible si on a une Europe plus progressiste et plus sociale,” dit-il.

Le Parlement est la seule institution démocratique de l’Union européenne. Les décisions que prennent les eurodéputés sont les seules à même de défendre la voix du peuple face aux groupes de pression, aux groupes d’intérêt et aux grands partis politiques. Or, sans ruptures, pas d’aboutissement. 20140415_172834« Tant que les députés eux-mêmes ne seront pas capables de faire un coup d’éclat en refusant le budget, ça continuera. Il n’y a pas d’autre possibilité que de continuer à construire l’Union. Il en faut pour arriver à ce que les choses bougent. Même dans une économie sociale de marché, il faut avoir une entité structurelle qui tienne la route. C’est bien à la politique de reprendre le pas sur l’économie. Ça fait longtemps que ça n’est plus le cas, mais c’est la seule solution. Au moins, nous avons désormais une efficacité vis-à-vis des banques sur le côté solidaire, contrôlé, régulé. Ce mode de régulation permet sans doute d’éviter la faillite générale. C’est déjà beaucoup. » (Bennahmias)

 

“Nous aurons la croissance et l’emploi, et nous frapperons au cœur ce fléau du chômage des jeunes, là où l’Europe a mal” (Evangelo Venizelos, vice premier ministre grec)

L’Europe a mal à la tête. “Jour historique, dernière pierre à l’édifice” (un député) : dernier vote, grands discours, belles paroles. Heureusement, d’autres élus rappellent que tout “l’immeuble” reste à construire, et qu’on n’a jeté que les « fondations ». Les peuples d’Europe suivront certainement avec la plus grande attention l’avancée des travaux. Et, heureusement encore, pas besoin de faire le voyage à Strasbourg pour s’en assurer. « La transparence est totale au Parlement, affirme Bennahmias. Tout ce qui se vote est publié sur internet. »

C’est vrai, les lois votées et les rapports débattus sont accessibles à tous, car publiées sur le site du Parlement européen. Tous, le plombier polonais, le glacier irlandais et le militaire italien, le cuisinier anglais et le journaliste français, aussi bien que le juriste romain, pourront donc accéder le plus facilement du monde à des centaines de pages de textes de droit. Publiées, donc accessibles. Transparence totale, oui. Limpide.

N’exagérons rien, le service de presse du Parlement produit des articles remarquablement éclairants sur l’actualité politique de Strasbourg (merci la presse !). Mais les sujets européens ne touchent encore qu’un public trop restreint. Évidemment, si l’on invitait moins de pseudo-économistes ultra-libéraux à la télé, l’Europe évoquerait peut-être aux gens quelque chose de plus concret.

Il paraît que l’UE, c’est la vertu du libéralisme. “Libre échange, ouverture des marchés, concurrence, compétitivité, concurrence, croissance, relance, croissance, productivité, performance, spéculation, capitalisme, austérité, puissance, ultralibéralisme idéologique, dumping social.” Doux vocable, belle pédagogie. Voici l’UE canonisée, en grande pompe de mots analytiques et jargonatiques. Et la politique devient un objet sacré.

Économistes idéologues, savants de l’ordre du monde. Technocrates, à jeter les députés avec l’eau du bain. Retranchés loin des peuples, comme de la peste. Artisans de la méfiance. Provocateurs d’indifférence. Prédicateurs de crises, concernés à vie par la sacro-sainte finance, pour le bien de l’humanité. Petits hommes gris, technos pharmaciens, remèdes miracles, pansements-panacées pour les plaies de nos sociétés. « MSU », « MRU » : murs abscons auxquels se heurte le citoyen. La finance anti-responsable a longue vie.

Il paraît que l’Union Européenne, on y comprend rien. Les pontes du bien des peuples ont les meilleurs discours. Obscur jargon des institutions. Bien tiré par les cheveux. Pendant qu’on se les arrache, nous citoyens de l’Union morcelée.

Si au moins les eurodéputés pouvaient assez nettement se distinguer. Si seulement l’ensemble des députés européens connaissaient les gens qui votent pour eux. « Si les politiques arrêtaient de présenter des programmes stupides pendant les élections, et qui ne se vérifient en rien par la suite… » déplore Bennahmias. Dans la tour d’ivoire creuse du Parlement, l’homme de terrain est une exception. Justiciers dans un fauteuil : oui, non, adopté, rejeté. Pendule au secours de “ceux qui souffrent” (Barnier),
ceux qui ne joignent pas les deux bouts
les petits qui payent les déboires des grands
héros malgré eux
petites gens, grandes âmes de la rue au service des petits esprits supérieurs

Faire confiance, c’est prendre un risque. Avec les banques, les peuples ont voulu le prendre depuis longtemps. La banque est une invention indispensable pour l’intérêt général. Mais qui dégénère au profit de l’intérêt privé, depuis que les banques d’investissement débordent sur l’emprunt. Ce qui répondait à une nécessité tend à devenir un acteur social nuisible. Course au profit : le néo-libéralisme fait l’autruche.

La spéculation financière : créer de l’argent en ne produisant rien. Argent virtuel : fantasme. Frivolité. Nocivité. Les institutions, dans l’intérêt des sociétés européennes, doivent raisonner les banques. Comme des enfants tyranniques. “41 textes. certains disent que c’est trop mais ce qui est trop, c’est la dérégulation” (Barnier) Boulimie d’argent, excès, incontinence, intempérence, outrance, incapacité à s’arrêter, à se réguler : il faut des garde-fous. Il est sain et indispensable de se prémunir contre les dérives du système financier. Et, pour commencer, le secteur bancaire doit assumer ses risques.

“Nous avons mis de la lumière, de la transparence” (Barnier)

De la lumière…

et ceux qui souffrent au fond de l’ombre
ceux qui voient noir
ceux qui se fatiguent à comprendre
lois, règlements, directives
Et ceux qui subissent
sans réagir
sans agir
fatalisme, facilité
on ira se plaindre encore, oubliant les urnes qu’on avait délaissées

L’isoloir est ouvert, citoyens,
La revanche est à Strasbourg.

Louis Gohin et Myriam Boukhobza

* Le 9 mai 1950, dans son “Discours de l’horloge”, Robert Schuman expose la “méthode des petits pas”. Il faut que l’Union se construise progressivement, par le bas. Une gestion commune entre plusieurs pays européens pour créer une solidarité de fait entre eux.

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