MUNICIPALES 2014. Arrivé en quatrième position avec 15,3% des voix, Ibrahim Dufriche a dû mener une campagne à la va vite, après le renoncement assez tardif de Dominique Voynet. L’entre-deux-tours montreuillois crée un véritable suspense, en attendant les tractations pour le second tour de dimanche 29 mars.

Ce qui le différencie des autres candidats : « Je suis un candidat nouveau, je ne suis pas un apparatchik, je ne suis pas un carriériste. Je suis arrivé là dans cette municipalité, simplement parce que, devant le retrait de Dominique Voynet, je trouvais qu’il y avait un risque de retour en arrière. » Apparatchik, c’est aussi ce que Mouna Viprey dit ne pas être. « Oui, on a peut-être ça en commun. Sauf que Mouna a été deux fois candidate aux législatives socialistes. (…) Elle a une assise politique locale. Moi c’est le retrait de Dominique Voynet qui m’a fait entré en politique. Je considère que les citoyens doivent se mêler de politique. » Est-ce que l’expression « premier maire noir d’une ville de 100 000 habitants » utilisée par l’actuelle maire le gêne ? « Noir, je le suis, répond-il avec le sourire. C’est pas un sujet. Si je suis le premier à occuper cette fonction-là, je pense que symboliquement ce serait quelque chose de fort. »

S’il assume une grande partie du bilan de l’équipe sortante « Dominique Voynet a été une excellente cheffe de projet. 80% des engagements qu’elle a pris ont été tenus», souligne-t-il, Ibrahim Dufriche ne partage pas tout à fait les idées politiques de son célèbre aïeul, Marcel Dufriche, ancien maire de Montreuil. « Je trouvais que les communistes voulaient faire le bonheur des gens malgré eux. Ils sont dogmatiques ». Le Parti socialiste lui correspond mieux : « Pour moi Rocard, c’est l’homme politique français qui a la manière de faire de la politique axée sur la résolution de problème, sur l’imagination. Et c’est un homme qui me séduit tout en étant un idéal très fort en termes de valeurs. Il est axé sur ‘’je cogite pour trouver, pour inventer’’, et cette façon de faire de la politique qui me séduit, d’où mon attachement au Parti socialiste. »

Consultant en management d’entreprises, diplômé en agronomie, ce Montreuillois d’origine semble comme jeté sur le devant de la scène par un groupe politique auquel il n’appartient pas vraiment, même s’il dit en partager les valeurs et les projets. « Socialiste plutôt que communiste et aujourd’hui je suis porté par EELV ».

Pour lui, l’écologie politique appliquée, ce sont des espaces de télétravail partagés et gérés par la Mairie et des jardins à la place des friches urbaines en attendant qu’elles trouvent promoteur. « Des espaces de coworking, ça c’est une idée écolo. C’est aussi le développement économique. Le principe : vous arrivez dans une salle avec wifi, des bureaux où chacun peut travailler à moins d’un kilomètre de chez lui de manière à limiter les déplacements, à limiter le stress. Deux ou trois endroits comme ça à Montreuil, c’est des abonnements qu’on fait payer aux entreprises au lieu de financer des mètres carrés de bureaux. » A-t-il pris des contacts ? A-t-il pensé à des lieux ? « Le modèle je l’ai en tête, puisqu’il a déjà été testé. On peut très vite benchmarker, on a des quartiers à rénover comme la Croix de Chavaux, la rue de Paris, la rue Capitaine Dreyfus pour faire une continuité jusqu’ici [quartier mairie]. C’est pas l’espace qui manque, on trouvera forcément des bâtiments qu’on pourra mettre  disposition pour que ces lieux de coworking se fassent. Evidemment, il faut que ces lieux se fassent à proximité des transports, en centre-ville. Mais on peut aussi les décentrer vers le Haut [Montreuil] » Le projet est au stade de l’idée, il en convient.

L’écologie à la Dufriche, c’est aussi des jardins en ville, « l’agriculture en ville c’est pas utopique, ça a une vertu, dit l’agronome. La végétalisation de la ville de manière à ce qu’il y ait un marqueur plus écolo à Montreuil, ça j’y tiens parce que ces six années c’était des écolos, mais malheureusement ça ne se voit pas. Moi je vais faire en sorte que ça se voit. Prenez par exemple les friches qu’on peut transformer en jardins en attendant que les spéculateurs spéculent. Mais on n’est pas obligé de subir cette espèce de blessure dans la ville parce qu’il y a des zones qui sont abandonnées. Non, on va en profiter, le temps qu’on construise, pour en faire des jardins. Esthétiquement ce sera plus agréable. »

Ses priorités sont la petite enfance, la jeunesse, le développement économique et l’équilibre entre le Haut et le Bas Montreuil. Difficile de les lui faire développer, tant il prend le temps de détailler son point de vue sur l’actuel gouvernement, le bon boulot des ministres écolos, sa définition de l’écologie, son aversion pour « la croissance comme religion de l’économie moderne… » Sur la petite enfance, il formule la proposition d’inciter les assistances à se former, en leur accordant une subvention alignée sur celle déjà accordée par le Conseil Général. « Cette formation devra leur permettre de professionnaliser leur métier, de manière à ce que ce ne soit pas juste des gardiennes d’enfants, mais qu’elles soient capables de faire de la stimulation, de faire de l’éveil. C’est l’approche pédagogique axée sur la méthode Montessori qu’on souhaiterait porter à connaissance de ces assistances maternelles. » Ainsi les familles tiraillées entre la crèche et la nounou auraient le choix entre deux options équivalentes.

Pour les moins jeunes, Ibrahim Dufriche fait le constat : « Vous avez aujourd’hui beaucoup de jeunes qualifiés sont CAP, BEP, Bac Pro, BTS. La plupart d’entre eux sont au chômage » Il propose de créer une coopérative (SCOP) qui les regroupera et proposera des prestations aux professions libérales. Une manière, plus efficace, selon lui de les mettre au travail, car ainsi ils créeront leur propre emploi : « Je vais créer ce dispositif en agrégeant tous les financements – mission locale, Pôle emploi et tout ce dont ces jeunes doivent bénéficier – de manière à mettre en place un programme qui va leur donner les compétences pour vendre à des travailleurs en profession libérale des prestations. Le petit artisan, le petit plombier qui ne peut pas tenir sa comptabilité, il trouvera au sein de ce SCOP des comptables, un webmaster qui sera capable de faire son site, un spécialiste du marketing qui sera capable de raisonner la présentation de son offre commerciale, un juriste. Bref, ces jeunes ils vont apprendre à vendre directement leur savoir-faire et je peux vous dire que c’est une façon de déconstruire l’idée que pour s’en sortir il faut être salarié. Et ils gagneront leur vie. »

Sa troisième priorité c’est « évidemment de continuer l’équilibre Haut/Bas. Nous avons une ville qui est très inégalement aménagée entre le Haut et le Bas de Montreuil. » Il énumère les infrastructures pour le Haut-Montreuil : tramway en 2017, médiathèque, équipements sportifs, l’aménagement d’une ZAC Boissière Acacia en 2019-2020, ouverture de la piscine écologique (tant décriée par les autres candidats, pour son coût).

Ibrahim Dufriche est très clair : il ne souhaite pas de retour en arrière. « Il faut arriver à composer une majorité qui soit réellement non pas sûre de gagner mais de gouverner, dans l’intérêt des Montreuillois. C’est ça l’enjeu. Pour que cela soit possible, je pense qu’une majorité qui peut être basée sur les écologistes sera en capacité d’entrainer et d’être dans le prolongement de ce qui a été initié depuis ces six dernières années. Les écolos, ils ont été là pendant six ans. Ils maitrisent les dossiers. »

Pourtant il a conscience, que même entouré de nombreux maires-adjoints sortants, il devra travailler dur pour endosser son costume de maire, s’il était élu : « Ce qui peut être difficile c’est la patience. Est-ce que les gens vont accepter que je mette un temps suffisant pour m’imprégner des dossiers en cours, pour apprendre ce nouveau métier parce que les gens sont en quête de résultats rapides ? Mais pour le reste, je pense m’appuyer justement sur un socle d’élus qui ont la maîtrise des dossiers. » C’est vrai qu’on élit une tête de liste, mais aussi une équipe, un projet. Un socialiste, issu du monde privé, à la tête d’une mairie écolo, c’est peut-être ça l’esprit d’EELV.

Bouchra Zeroual

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