Le samedi 8 février, un colloque a regroupé à Paris des citoyens de toute la France pour débattre d’une proposition visant à créer un espace de discussion politique au profit des quartiers populaires : « un lieu d’interpellations, de propositions et de co-constructions citoyennes ». Au terme d’un long débat, les participants se sont mis d’accord sur les grands principes d’une plateforme qui serait à l’usage des habitants des quartiers.

 « Ça ne se fera plus sans nous »

Des citoyens de la France entière se sont réunis à Paris pour débattre sur une proposition du rapport qui a été présenté au ministère de la Ville le 8 juillet 2013 par Marie-Hélène Bacqué, sociologue, et Mohamed Mechmache, président de l’association AC LE FEU de Clichy-sous-Bois *. Ce rapport propose des solutions pour améliorer radicalement la participation des habitants des quartiers à la vie politique.

Critiqué pour la radicalité de ses positions, le rapport répond néanmoins à une attente primordiale de la société. En témoignent l’ampleur de sa diffusion depuis juillet 2013 et les premières avancées, significatives, en matière de législation. Selon Marie-Hélène Bacqué, « le succès de ce rapport tient dans sa radicalité et dans sa capacité à indiquer un véritable horizon de transformation – et pas des petites mesures éparpillées, comme celles que l’on vit depuis une trentaine d’années ».

La proposition en question consiste à mettre en place une plateforme associative nationale réunissant des collectifs et des représentants associatifs agissant dans les quartiers définis par la politique de la ville. Elle projette aussi de développer les tables de concertation, désormais reconnues par la loi comme « conseils citoyens », regroupant localement des acteurs organisés à l’échelle du quartier. Elle veut enfin accroître le rôle des citoyens au sein des instances politiques de la ville.

Le colloque, intitulé Pour une réforme radicale de la politique de la ville, a été sous-titré « Cela ne se fera plus sans nous », concernant la politique de la ville et la démocratie française dans son ensemble. Il part d’un constat : impossible pour la politique du pays de se poursuivre sans les habitants des quartiers populaires, urbains et ruraux.

« Est-ce qu’on se sent représentés lorsque des gens décident à notre place ? » Mohamed Mechmache s’adresse à la classe politique, à ceux « qui ont fait à notre place », pour leur dire qu’un changement s’impose. « Ça n’est plus “donne-moi tes idées, je vais les transmettre pour toi“ ; c’est “j’ai des idées, j’irai les transmettre moi-même“. On peut le faire ensemble, à une condition : c’est que tu nous traites d’égal à égal. »

En créant une plateforme associative nationale pour les quartiers de France et en créant des conseils citoyens, la voix des plus défavorisés du pays serait clairement entendue. Il s’agit aussi de poser « des garde-fous à partir du bas » pour que l’on ne subisse plus les politiques publiques. C’est un enjeu, c’est même une nécessité pour garantir la cohésion sociale et politique dans les années à venir. La nation ne peut plus se passer de la voix du peuple.

Parmi l’assistance, un membre du collectif Pouvoir d’agir confie : « Cela fait trente ans que les associations se battent pour la démocratie participative. C’est long. Mais aujourd’hui, on franchit une étape : des associations locales et nationales sont présentes, ainsi que des professionnels, des habitants, des chercheurs… on n’avait jamais réussi à rassembler autant de populations différentes sur le sujet. »

La journée avait pour objet de débattre et de préciser les grandes lignes de la proposition. « Rien n’est décidé », déclare Marie-Hélène Bacqué en ouverture du colloque. L’assistance s’est répartie en cinq groupes de réflexion, qui ont abouti à un vote sur le fonctionnement, la composition et les objectifs de la plateforme nationale en projet. Un texte bref a été publié, reprenant ces objectifs.

 Une assemblée citoyenne pour l’avenir démocratique des quartiers

Avec ce débat, les participants ont initié un mouvement qui promet de se structurer comme une structure politique à part entière. Ce samedi 8 février, ce qui se présentait comme un simple colloque a pris l’ampleur d’une véritable assemblée citoyenne. Une minorité de volontaires a été élue pour faire avancer le projet dans chaque région de France qui était représentée, en attendant un nouveau colloque national prévu pour septembre 2014.

La discussion collective a permis de préciser certains aspects de la proposition. Certains points restent encore en débat, comme l’autorisation pour les élus de participer à la plateforme, ou les modalités de financement. Il est apparu qu’il ne fallait pas limiter le projet aux quartiers populaires sélectionnés par le ministère de la Ville. Beaucoup ont revendiqué la plateforme comme un contrepouvoir et comme un espace de discussion : un relais permettant aux habitants de s’organiser entre eux, un espace d’information, d’interpellation, de mise en réseau devant faciliter l’action des associations et des habitants. Certains ont tenu à ce que, à l’avenir, les votes soient pris par co-décision, de manière collégiale.

La plateforme a donc vocation à devenir une structure politique organisée horizontalement, c’est-à-dire, sans comité de direction autonome. Elle fait appel à une éthique particulière fondée sur l’intelligence collective : chacun apporte sa participation. Les lignes directrices mêmes du projet seront le fruit de ces initiatives, et ne dépendront pas d’une minorité de scientifiques et autres professionnels présents sur le terrain. Ceux-ci sont néanmoins à disposition pour faire partager leurs connaissances et répondre aux questions des autres.

Les participants se sont enfin résolus à la plus grande vigilance pour éviter toute instrumentalisation politique de la plateforme, pour empêcher tout opportunisme et toute appropriation du mouvement par un groupe d’intérêt minoritaire. Les premiers jalons sont posés, il reste un long chemin à parcourir. Le nouveau collectif devra combler une grande lacune : malgré son ambition de donner la parole aux plus défavorisés, l’assemblée compte plus de responsables associatifs que d’habitants des quartiers. Elle n’est donc pas encore assez représentative de ces populations. Tout en remarquant la diversité géographique des participants au colloque, venus principalement du sud et d’Île-de-France, Mohamed Mechmache a déploré que si peu d’habitants des quartiers populaires se soient déplacés. Le rapport se proposait de poursuivre l’ambition de « faire des habitants les acteurs du changement ». La difficulté sera d’inciter les habitants de ces quartiers à se mobiliser.

Jean-Baptiste Eyraud, président de l’association Droit au logement, explique : « C’est ça qu’il faut arriver à enclencher : donner du positif dans l’action collective, donner confiance dans le groupe. Les gens ne croient plus dans l’action collective, alors ils se replient sur eux-mêmes. Il faut arriver à faire sauter ces barrières-là. » Pour inciter les marginaux à s’exprimer, pour les encourager à défendre leurs droits, les membres du colloque s’impliqueront de toute leur volonté. « C’est notre rôle de porter le travail sur le terrain », affirme une participante.

« On a besoin de tout le monde », affirme M. Mechmache. « Il nous faut créer une union au-delà des spécificités de chacun. » Concernant les points de désaccord ayant émergé lors du débat, le président d’AC LE FEU a incité l’assistance à ne pas perdre de vue l’objectif : accompagner les gens, leur donner les outils pour qu’ils puissent s’auto-organiser. « Il faut qu’on puisse siéger dans des instances où il y a des décisions qui se prennent. » Un participant, militant de longue date aux côtés de Mohamed Mechmache, interpelle l’assemblée : « Aujourd’hui, l’urgence est de se demander : qu’est-ce qu’on peut faire ensemble ? »

Louis Gohin

* Le rapport a été rédigé par une commission composée de responsables associatifs, d’élus locaux, de chercheurs et d’autres professionnels qui ont mené des visites de terrain, des auditions et d’autres démarches pour interroger l’avis de citoyens et recueillir leurs suggestions. Ses ambitions : inciter les habitants à entrer dans le débat politique et à interpeller les élus. Susciter les initiatives collectives, l’organisation de solidarités ; faire aboutir des réponses concrètes. Dans un second temps, provoquer des transformations institutionnelles pour garantir la cohérence et la viabilité de ces avancées (et articuler « ces deux dynamiques, institutionnelle et d’initiative »)

 

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