Eurodéputée depuis 1999, Marielle de Sarnez, bras droit de François Bayrou depuis 30 ans et vice-présidente du groupe Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe, brigue un quatrième mandat. Face à la crise démocratique que traverse l’Union Européenne, elle tire la sonnette d’alarme. Son objectif : redonner confiance aux citoyens européens, souvent résignés et gagnés par l’euroscepticisme. Rencontre.

Des millions d’Européens ne se sentent pas concernés par les prochaines élections du 22 et 25 mai, notamment en raison de l’opacité des institutions… Comment expliquez-vous ce déficit démocratique ?

En fait, je crois que pour les gens c’est difficile d’appréhender le fonctionnement de l’Union parce que ça n’est pas un fonctionnement supranational, mais il se fait avec les Etats et avec les représentants des peuples, c’est-à-dire le Parlement européen. C’est un système très compliqué, il y a trois institutions : Commission, Conseil et Parlement. Au fond, ils ne voient pas qui gouverne, qui prend les décisions, lesquelles et comment.  Mais je pense qu’ils ont aussi peur d’une atteinte à la souveraineté mais surtout que l’Union Européenne est le bouc-émissaire de tout, puisque dès que quelque chose ne fonctionne pas bien, on dit : « c’est la faute de l’Europe » alors qu’en fait ce sont les Etats qui prennent les décisions ! Déjà les citoyens au niveau national ont l’impression qu’ils ne peuvent pas être un levier de l’action politique, ils n’y croient qu’au niveau local, au niveau national, les promesses ne sont pas tenues et au niveau européen c’est trop loin ! Je suis une obsédée de la démocratisation de l’Europe depuis des années, il faut un sursaut démocratique urgentissime, je le dis d’ailleurs dans mon dernier livre « L’urgence européenne ». En Europe, la démocratie n’est pas suffisante, il faut aller plus loin : il nous faudrait un Président de l’Europe élu par le Parlement Européen et l’ensemble des parlements nationaux, et là, on aurait une légitimité, sinon c’est la bureaucratie qui décide.

Un Président de l’Europe aux pouvoirs forts, ce n’est pas une atteinte supplémentaire à la souveraineté nationale des Etats ?

Non pas du tout, pour moi, le choix européen, c’est un choix de souveraineté justement. Si on veut retrouver une souveraineté, une capacité à agir, à peser pour réguler la finance mondiale, se doter de normes sociales protectrices, pour conserver notre modèle social qui est un des plus avancés de la planète entière mais aussi pour conserver nos valeurs, universelles, on a besoin de légitimité. Aujourd’hui, le Président de l’Europe est inexistant, il y en a plusieurs (Président de la Commission, Président du Conseil, présidence tournante) donc finalement, il n’y a personne.

Comment pallier au manque de légitimité des institutions européennes ? Par un renforcement des pouvoirs du Parlement ?

Oui je pense qu’il faut que le Parlement ait encore plus de pouvoirs. Avec le traité actuel, on en a plus, mais il en faudrait en matière de commerce international, de politique étrangère, de politique de défense. Mais attention,  je ne suis pas pour que le Parlement européen concentre tous les pouvoirs mais justement pour que les gouvernements et parlements nationaux avec le Parlement européen soient co-décisionnaires, c’est à inventer (rires). On ne peut pas considérer que tout ce qu’on fait ici, ça suffit pour la démocratie. Chaque Etat membre de l’Union doit s’exprimer et s’approprier le débat européen. Les pères fondateurs pensaient que l’Europe c’était tellement complexe qu’il fallait que ce soit l’affaire de peu de personnes, la faire avancer au fond en catimini, derrière les peuples. Et cette idée a perduré, puisque l’Europe est devenue une affaire de spécialistes, et ça c’est terrible. Parfois, je me dis que ça arrange bien les chefs d’Etat et de gouvernement, que le peuple ne s’en mêle pas trop, parce-que ça leur permet de dire un truc à Paris puis de dire l’inverse à Bruxelles, c’est un grand classique.  On sauvera l’Europe si on en fait l’affaire des peuples et pas celle des spécialistes !Et peut-être par une simplification du jargon bruxellois ?

Oui c’est vrai, le jargon utilisé est compréhensible seulement par les technocrates de Bruxelles, c’est révélateur de l’entre-soi, d’une Europe de spécialistes et ça ne peut pas marcher ! Je pense qu’il faut d’abord simplifier le vocabulaire, pour que les européens puissent avoir une pensée claire sur chaque question. On ne peut pas faire l’Europe Anonyme, comme ça a été le cas avec la « Troïka » en Grèce… Mais surtout, il faut se réapproprier les grandes questions traitées en Europe parce-que les Etats l’ont voulu, il faut qu’elles soient traitées au niveau national, pour que les français s’y retrouvent !

Les peuples, ils n’ont plus aucune marge de manœuvre, aucun pouvoir de décision aujourd’hui en Europe?

Oui malheureusement mais il le faut !  Le Président il fait ce qu’il veut, et avec le mode de scrutin qu’on a, la majorité fait ce qu’elle veut, je suis pour la proportionnelle, pour un Parlement qui ressemble à la France dans lequel il y a de la diversité, des femmes, autre chose que des fonctionnaires et des professions libérales. Le PS et l’UMP ont 90% des sièges et représentent 50% des électeurs, ça ne va pas. La démocratie pour moi, ça n’est pas que voter une fois tous les 5 ans, mais c’est quelque chose qu’on doit faire au quotidien. Les Parlements nationaux doivent être au quotidien sur les gros sujets européens, le Président de la république doit en parler avec les français. On peut imaginer des référendums européens, si on décide de faire une harmonisation fiscale et sociale, pourquoi on ne demanderait pas l’avis aux peuples par un référendum ? Je crois que si l’Europe s’est creusée et que la fracture est aussi grande entre les peuples, c’est parce-que le peuple se dit : « c’est pas nous qui prenons les décisions ». Mais vous savez, si l’Europe c’était vraiment important pour les pouvoirs publics français, on en ferait un peu plus et on n’en parlerait pas une fois tous les 5 ans, ou qu’en termes négatifs. C’est un problème spécifique à la France. En Allemagne ou en Italie, les questions européennes sont fondamentales. L’Europe ça devrait être l’horizon de l’action publique française, elle devrait avoir une place centrale permanente au cœur de la politique française, pas comme si c’était une affaire de politique étrangère, c’est notre affaire !

Les eurosceptiques, vous les condamnez ?

Non je ne les condamne pas. Les eurosceptiques, ils aiment l’idée européenne mais ils ont été déçu, alors elle doit regagner du terrain. J’espère que c’est provisoire et quand on aime beaucoup son pays, on doit croire que c’est dans l’Europe que la France deviendra grande et pas toute seule. En même temps, c’est important qu’elle soit souveraine. Pour le Mali, je suis fière que la France ait pris l’initiative d’intervenir, elle garde sa part de souveraineté. Mais je les comprends les gens qui ont le sentiment que leur souveraineté est atteinte, pas seulement pour l’Europe d’ailleurs, mais avec la mondialisation, qu’il y a des forces tellement importantes que la marge de manœuvre de chaque pays est très faible. C’est d’ailleurs pour cela que je crois qu’il faut faire l’Europe, c’est la seule réponse de souveraineté, et il faut qu’on la fasse avec les peuples.

Donc selon vous, il incombe aux gouvernements de chaque Etat membre de sensibiliser leurs citoyens aux questions européennes ?Bien sûr, c’est terrible de voir que les Parlements nationaux ne se fassent pas la caisse de résonance de débats européens fondamentaux comme l’Union Bancaire. En France rien ne se passe, il n’y a pas eu un seul débat à l’Assemblée ! Et pourtant ça concerne tous les Français et pareil pour l’accord transatlantique avec les Etats-Unis, ça concerne nos éleveurs, nos agriculteurs, les services financiers etc. Les gouvernements et parlements nationaux ont une part de responsabilité dans tout ça, on ne peut pas jeter la pierre qu’à ceux qui parlent un jargon technocratique bruxellois. C’est au gouvernement français de s’approprier les sujets et de les mettre dans le débat démocratique national, l’Europe c’est pas une affaire de politique étrangère, ceux qui ont le premier et le dernier mot ce sont les chefs d’Etats et de gouvernement. Nous on a demandé avec François Bayrou depuis longtemps que les Conseils européens où les chefs d’Etat et de gouvernement délibèrent d’un certain nombre de sujets ne soient plus à huis clos pour ne pas avoir le double langage des politiques : ça coûterait zéro euro !  Pourquoi le gouvernement ne parle jamais des grandes questions européennes au Conseil des Ministres français ? Pourquoi le Parlement ne s’en saisit pas vraiment ? Nous on en parle, on fait notre job.

Vous pensez que cela explique l’abstentionnisme record aux dernières élections européennes en France notamment ?

Oui bien sûr, mais j’ai vraiment envie que ça change. Vous avez le sentiment que le gouvernement français est préoccupé des élections qui arrivent ? Ils sont préoccupés de savoir quel score feront les socialistes, l’UMP ou le FN. Mais finalement, on s’en fout, c’est secondaire, la question centrale c’est à quoi servent ces élections ? Quelle Europe on va choisir ? Pour faire quoi ?

Quelle est votre définition de l’Europe ?

Ce sont des pays qui ont décidé qu’ils allaient se mettre en commun pour gérer un certain nombre de choses, c’est une construction très originale, ça ne s’est jamais fait nulle part ailleurs ! Et à partir du moment où on s’unit pour construire quelque chose en pensant qu’on est plus fort quand on est ensemble, il faut qu’on s’occupe de l’essentiel. Et souvent l’Europe ne s’est pas occupée de l’essentiel : elle s’est occupée de plein de petites choses. Moi je crois, qu’elle doit se recentrer, et il y a plusieurs grandes questions que l’on doit traiter ensemble et pas séparément.

Alors justement, quelles sont les préoccupations essentielles de l’Europe aujourd’hui ?

L’essentiel c’est tout ce qui est au service de la croissance et de l’emploi. Par exemple, on voit bien que tout seul, isolément, on n’a pas forcément, les moyens, d’investir, de relancer les politiques, de construire des grandes infrastructures, les moyens d’imaginer l’Europe de demain en matière d’énergie renouvelable, les moyens de penser une industrie européenne sur des grands secteurs comme avec Airbus. Mais les questions essentielles c’est surtout les valeurs, on en parle jamais des valeurs, mais c’est très important. Il y a aussi toute la question des normes, qui chez nous sont extrêmement protectrices, en matière sociale, sanitaire, environnementale, en matière de droit du travail, tout ça, ça fait parti des valeurs qu’on a à défendre ensemble.

Quelles sont les valeurs européennes que vous défendez ?

On a des valeurs universelles d’Etat de droit, de justice. Vous savez, moi je suis allée trois fois en Ukraine, eux ils savent très bien quelles sont les valeurs européennes, parce qu’ils ne les ont pas chez eux ! Pour nous, elles sont évidentes, parce qu’on on a une justice indépendante, des médias libres, on respecte les libertés individuelles, les libertés publiques. Il faut préserver ces valeurs, c’est précieux, vous savez on a le modèle social le plus développé au monde en matière de protection sociale et de solidarité.

Pourtant, les citoyens européens ont souvent l’impression que les intérêts économiques priment sur ces valeurs universelles, vous les comprenez ?

Je les comprends. Moi je parle des valeurs parce que c’est plus important que tout. Trop souvent, on a le sentiment que l’Europe c’est celle du marché et des grandes entreprises : mais je pense que quand on dit croissance et emploi, l’Europe doit d’abord être aux côtés des PME même si dans de grands secteurs d’avenir, on a besoin de géants européens si on veut peser sur la scène internationale.

Quand vous parlez de modèle social européen le plus avancé, vous voulez dire que  l’Europe sociale est aboutie ?

Non, elle n’est pas aboutie parce-qu’on a encore des dumpings et des disparités fiscales et sociales pas seulement au sein de l’Europe, mais au sein de la zone euro. Et une des priorités pour les années qui viennent, serait de mettre fin aux disparités en écrivant un agenda de la convergence : on se donne 5 ans pour faire converger la fiscalité et nos systèmes sociaux. Je suis pour une fiscalité harmonisée et des droits sociaux harmonisés : pour un contrat de travail européen et d’apprentissage européen. Aujourd’hui c’est pas possible que des travailleurs détachés viennent en France, plus d’un million aujourd’hui, les entreprises vont les chercher parce-qu’ils leur donnent un salaire français et ils paient les charges du pays d’origine, mais une chose simple, c’est qu’il faut payer les charges du pays dans lequel on travaille et qu’elles soient cumulables.

Mais pensez-vous qu’il y a une réelle compatibilité entre libéralisme, concurrence et social ?

La concurrence ne doit pas être l’alpha et l’oméga de la politique européenne. Il y a deux problèmes : d’abord, au nom de la concurrence, on empêche des regroupements de grosses entreprises or on a besoin de géants européens comme Airbus dans les énergies renouvelables par exemple. Aussi, elle doit être au service d’une politique de croissance et de l’emploi. Il ne faut pas faire l’Europe que des gros, il faut une taille critique dans la compétition mondiale mais en même temps, il faut faciliter la vie de toutes les petites et moyennes entreprises et qu’on les protège, par un Small Business Act européen, comme l’ont fait les Etats-Unis. La concurrence ce n’est pas une fin en soi, moi je ne vais pas mourir pour la concurrence, par contre le progrès, le développement, l’emploi oui ça compte beaucoup !

Pourtant la politique menée au niveau de l’Union Européenne, elle est plutôt pro-libérale non ?

Non, au contraire, on régule beaucoup au Parlement Européen, l’Union bancaire c’est libéral ? Non ça ne l’est pas. Tout n’est pas réglé, mais ça va dans le bon sens, les banques s’assurent elles-mêmes et en cas de faillite, ce sont elles qui paieront, et plus les contribuables. L’Europe n’a pas de couleur politique c’est ridicule, c’est ce que vous allez entendre en France les 10 jours de campagne, l’UMP va dire : « aux municipales on a donné un carton jaune à Hollande, maintenant, il faut lui donner un carton rouge », puis d’autres vont dire, « l’Europe est de droite, si elle était de gauche, ça fonctionnerait ». Mais c’est consternant. Ici au Parlement européen, on est obligés de se mettre ensemble pour prendre ensemble toutes les décisions, on est pas à camp contre camp, contrairement au Parlement français. Il y’a la droite, la gauche, le centre et on décide ensemble parce qu’il faut faire masse au Parlement.

Et l’ouverture des marchés à des pays qui ne respectaient aucun des critères comme la Roumanie, ce n’est pas aller vers plus de libéralisme ?

Ca c’est tout le problème de l’élargissement : moi j’étais pour approfondir l’Europe avant de l’élargir mais pour les ex-pays soviétiques, l’Europe c’était un avenir pour leur survie, la liberté, c’est pour ça qu’ils ont frappé à la porte mais je pense que c’était prématuré. Mais après, quand on fait rentrer la Roumanie ou la Bulgarie, c’est difficile de leur dire : « on vous fait rentrer dans l’Union Européenne, mais vous ne pouvez pas circuler, ni faire partie de la zone euro ». En même temps, je ne fais pas peser les difficultés sur les autres, sur les étrangers, sur ceux qui viennent d’ailleurs. C’est une manière de voir la politique française toujours à la recherche de boucs-émissaires, quelques fois c’est l’Europe, la finance, les immigrés ou les européens de l’Est, moi je ne veux pas fonctionner là-dedans, parce-que si on a des difficultés aujourd’hui , c’est d’abord notre responsabilité, ce n’est pas de la faute des autres ou des immigrés.

La politique d’immigration, elle doit être gérée au niveau européen ?Oui parce qu’à partir du moment ou on a un espace de circulation, ça concerne tout le monde, globalement il faut qu’on ait une politique cohérente et régulée en matière d’immigration. Ça ne doit pas être seulement une affaire nationale, l’Europe ne peut pas se vivre comme une forteresse. On doit mutualiser les efforts au niveau européen, avoir une police aérienne, des gardes côtes pour sauver des vies dans les pays en première ligne comme la Grèce, l’Italie ou l’Espagne.

Et sur la gestion des Roms ?

Personne ne fait son travail mais surtout la Roumanie et la Bulgarie ne font pas leur job. Il y a des fonds européens très consistants pour l’intégration des Roms dans leur pays, mais ils ne sont pas utilisés. Dans leur pays, ils sont traités comme des sous-hommes donc si les fonds étaient utilisés, s’il y avait une vraie politique d’intégration dans leur pays d’origine, il n’y aurait pas ce problème. Je ne sais pas ce qu’ils font avec ces fonds…

Qu’attendez-vous de l’Europe pour les années à venir ?

L’Europe doit se refonder, se renouveler, se démocratiser, se simplifier mais la France doit aussi faire son boulot et  ça on ne le dit pas assez.

Propos recueillis par Myriam Boukhobza

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