Le 26 mars, le Conseil régional d’Ile-de-France se réunit en séance plénière. Elue Nouveau Centre, Leïla Leghmara (photo), par ailleurs conseillère municipale à Colombes (92), propose à la discussion un projet de charte visant à « lutter contre les discriminations subies par de jeunes Français issus de l’immigration maghrébine et d’Afrique Noire dans les Centres de formation des apprentis (CFA) ». Selon elle, ces jeunes Arabes et Noirs que l’on envoie souvent par défaut dans ces voies, subissent une « double peine » : orientés dans ces filières sans forcément l’avoir voulu, ils n’y auraient pas accès aux métiers ayant un contact avec la clientèle, seraient cantonnés à des formations en bâtiment et travaux publics ou mécanique. Pire, ils auraient du mal à trouver un patron pour intégrer ces formations.

« En ayant travaillé plusieurs mois sur ce dossier, je me suis aperçue que les jeunes de ces formations subissaient beaucoup de discriminations et que personne n’en parlait. Moi à leur âge, on m’avait proposé de faire un BEP ! Pour moi, les filières en apprentissage sont aussi des filières d’excellence et il doit y avoir une revalorisation de l’apprentissage en France. Mais il doit y avoir avant tout un choix », affirme Leïla Leghmara. « Pour ces jeunes issus de ces immigrations, ce sont plus de 30 lettres de motivations envoyées contre quelques-unes en moyenne pour tout autre jeune, et ce sont 20 entretiens contre 3 en moyenne pour trouver un patron. Il y a une vraie injustice pour eux. Personne ne s’est occupé du problème. On a beaucoup parlé des discriminations dans les grandes écoles, mais personne n’a jamais parlé de la discrimination qui frappent les jeunes dans les filières d’apprentissage », déplore-t-elle.

Ce 26 mars, Leïla Leghmara a donc souhaité porter ce débat dans les rangs de l’assemblée régionale. Mais les élus présents au Conseil ce jour-là refusent l’entrée en matière. Si élus du Parti communiste et Verts acceptent de débattre de ce texte, un tout autre son de cloches se fait entendre sur les bancs socialistes et Front national, qui votent contre la discussion du texte: « J’ai senti une certaine agitation et une animosité autour de cette proposition. Les socialistes apprennent que le PC et les Verts décident de voter avec nous. Les chevènementistes, eux, se rangent derrière le PS. Je fais ma présentation en fin de séance, puis le PS propose une question préalable (procédure par laquelle une assemblée décide ou non de débattre d’un sujet, ndlr), alors même que communistes et Verts disaient que le débat devait avoir lieu. Contre toute attente, le PS s’allie au FN pour s’opposer à ma proposition. Ils ne s’opposent pas au texte en lui-même, ils refusent tout simplement d’en discuter. »

Pour Leïla Leghmara, ce n’est ni plus ni moins qu’une alliance objective entre les deux partis : « Ce qui choque, ce n’est pas temps l’alliance PS/FN, c’est surtout que le PS et le FN s’allient contre un texte qui parle de diversité et qui est censé faire des propositions pour les jeunes. Ce qui me gêne, c’est que le PS et le FN puissent trouver des points communs… »

Le PS aurait-il lancé un message à l’élue du Nouveau Centre, lui signifiant que les discriminations et la diversité sont une chasse-gardée socialiste ? « Le PS fait aujourd’hui de cette thématique son cheval de bataille, dit-elle. Et là, alors qu’il a l’occasion d’en parler, il classe le dossier. Notre responsabilité, c’est de dénoncer cette pratique. De plus, ma niche, je l’ai voulue ouverte, pas trop précise, pour que l’on puisse s’entendre malgré nos différences politiques. Avant le vote, le PS m’a dit : « Tu marches sur nos terres, là ! » »

Etait-il nécessaire, comme le demandait l’élue Nouveau Centre, de créer une charte sur les discriminations concernant les CFA ? Les textes en vigueur ne suffisent-ils pas ? « Non, répond l’intéressée. Il n’existe pas ce genre de texte au niveau régional, et il n’y avait rien concernant les CFA. Il fallait pointer du doigt ce problème. »

Leïla Leghmara juge « irresponsable » l’attitude du Jean-Paul Huchon, président PS du Conseil régional : « Il est parti juste avant que je prenne la parole en prétextant un empêchement. Il s’est excusé en off, a dit être désolé. Moi, je dis juste une chose : si, dorénavant, on ne peut plus débattre, que le PS le dise et nous ne proposerons plus rien. »

Si manœuvre politique il y a eu, comme le prétend Leïla Leghmara, cette affaire n’est-elle pas la preuve que la lutte contre les discriminations et la question de la diversité en général, peuvent être, à l’instar de l’insécurité, des domaines sujets aux stratégies politiques classiques ? « Je pense que les socialistes trouvaient l’idée très bonne mais qu’il était impossible pour eux qu’un autre parti que le PS l’incarne, qui plus est le Nouveau Centre. Politiquement, à un an des élections régionales, c’était dangereux pour eux », analyse Leïla Leghmara.

Le PS affirme de son côté n’avoir passé aucune alliance avec le FN sur ce thème-là. Selon Krystina Roger, élue PS au Conseil régional et présente à l’assemblée ce 26 mars, « le vote est un vote public et non à main levée. Chacun appuie sur le bouton pour voter. Vous ne savez pas ce que le voisin vote ». Point de consigne de vote donc ? « Je n’étais pas dans les commissions, donc je ne sais pas ce qui s’est dit auparavant. Ce que je sais, c’est que le texte posait un problème de légalité parce qu’il faisait allusion aux origines ethniques. Nous avons déjà mis en place un tas de mesures sur les discriminations et qui concernent tout le monde. Nous avons voté des mesures en faveur de la parité, par rapport aux jeunes et aux personnes handicapées », explique Krystina Roger.

Selon l’élue PS, les votes semblables du PS et du FN sur ce texte sont « un pur hasard ». Le Parti socialiste n’accepterait-il pas, par principe, de voter un texte émanant du Nouveau centre, parti de la majorité présidentielle ? « Absolument pas, répond Krystina Roger. Si vous regardez bien, nous avons voté des textes proposés par le Nouveau Centre, notamment concernant l’amélioration des places en crèches. Nous n’avons aucun problème avec cela. Nous ne nous arrêtons pas à cela. Ce qui nous importe, c’est le bien-être que l’on peut apporter au quotidien des Franciliens. »

Et sur le départ précipité de Jean-Paul Huchon ? « Il a dû partir car il avait des obligations. Il devait inaugurer ce soir-là le dispositif « ApprentiScènes ». Ce projet a été mis en place par la région afin de montrer la créativité des jeunes apprentis et de revaloriser l’image de l’apprentissage. M. Huchon a donc délaissé un débat sur les discriminations en apprentissage pour assister à des sketchs réalisés par des jeunes apprentis. » De quoi rassurer, peut-être Leïla Leghmara…

Nassira El Moaddem

Nassira El Moaddem

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