Invitée par le seul festival de cinéma du pays, les Rencontres du film court, j’interroge l’actualité française. Dans la chambre de l’hôtel Sakamanga, pas d’infos internationales si ce n’est CNN et l’Afghanistan. Dans le réfectoire au contraire, Euronews tourne en boucle le matin. Lorgnant sur un match de tennis, le serveur Daniel, 23 ans, accepte de répondre à mes questions. Suit-il les élections françaises ? « Non, pas vraiment » répond-t-il en riant. « Est-ce qu’il y a encore Ségolène Royal ? » Bon, ok, l’actu a pris cinq ans.

Dans la rue, je me fais alpaguer par un vendeur de journaux français. Balzac, 37 ans, est ravi de croiser une « vazaha » (comprenez blanche ou étrangère puisque ma peau est pigmentée). Assis avec sa femme, sa fille et des membres de sa famille, il me demande : « Sarkozy, il est bien ? » Au moins, en voilà un qui connaît notre président.

A l’entrée de l’Institut Français de Madagascar, haut lieu de la culture hexagonale, je croise Fara, 43 ans, hôtesse d’accueil et responsable de la billetterie. Puisqu’elle est salariée d’une institution française, peut-être qu’elle suit davantage l’actualité ? « Oh… sur Internet, Yahoo ! … » Un pronostic ? « Je n’en ai pas parce que je ne vote pas ». Une influence quelconque sur l’avenir de son employeur ? « Sûrement au niveau budgétaire » conclut-elle en scannant une carte d’abonnée.

Grimpant les marches de l’IFM, j’atterris devant la médiathèque où un écran plasma diffuse en continu LCI. Alors que François Bayrou passe à l’antenne sur le plateau de France Info, Brunel, 19 ans, accepte de répondre à mes questions. Super, en voici un qui suit l’actualité ! Mais non, la télé de l’IFM, c’est un peu comme Paris-Match chez le médecin. Ça sert à patienter. En classe de terminale, Brunel prépare son bac, m’avoue que « la politique et [lui], ça fait deux » et que de toute façon, « on ne s’intéresse pas trop à [son] pays ».

Effectivement, hormis le meurtre récent d’une jeune française à Tuléar, la France et l’étranger parlent très peu de cette île qui a basculée dans l’instabilité en 2009 avec un gouvernement « de transition » présidé par un ancien DJ de 34 ans. Depuis trois ans, la population attend des élections et le niveau de vie baisse à tel point que la classe moyenne est en train de disparaître.

Selon Vaha, commerçant de 37 ans, l’influence française n’intéresse pas les Malgaches parce que « chaque fois qu’il y a un nouveau leader, le pays s’enfonce toujours ». Lui qui suit l’actualité à la télévision pense que « si Hollande passe, il gagnera, si c’est un autre, Sarkozy restera ».

« On veut être libre tout en étant prisonnier », me confiait la veille Ifa, 23 ans, étudiante en médiation culturelle. « Les Malgaches sont divisés au sujet de la France parce que la moitié pense qu’elle ne veut pas lâcher prise sur son ancienne colonie et l’autre moitié pense que c’est elle qui nous a permis d’évoluer ».

A la médiathèque de l’IFM, Domoina, étudiante en architecture de 21 ans, lit les pages sociales des quotidiens malgaches. En français (car la presse locale est aussi en malgache). Pour elle, c’est sûr, le nouveau président français « apportera un changement à Madagascar dans tous les domaines ».

C’est aussi l’avis de Monique, 65 ans, ancienne monteuse de cinéma rencontrée lors d’une projection. Suivant l’actualité sur RFI tous les matins, elle estime : « que ce soit Sarko ou Hollande, ça va changer, mais en bien ou en mal, je ne sais pas». En couple avec une française, Jo, 27 ans, assistant-réalisateur, analyse : « Hollande a du potentiel mais les gens ne sont pas derrière. Eva Joly est dans la piste mais elle ne passera pas au second tour. A Madagascar, ça changera forcément parce que la France-Afrique existe toujours ».

La France-Afrique. Accompagnée d’un malgache pour traduire mes questions, je rencontre un groupe d’hommes assis à l’ombre d’un arbre. Alors qu’ils rient quelques secondes plus tôt, leur mine s’assombrit dès que Ridha s’adresse à eux. Le mieux habillé de tous, tenant un téléphone portable, refuse sèchement de répondre à mes questions car il n’aime pas la France « qui a aidé le gouvernement actuel à renverser le pouvoir ».

Dans la rue, les passants aiment s’arrêter pour lire les unes des journaux accrochés à des fils avec des pinces à linge. L’Express, Les Nouvelles, La Vérité sont autant de quotidiens qui relèguent l’actu internationale en dernières pages. Accroupi sous son présentoir, José, 38 ans, explique que ce qui plaît ici c’est « les fusillades, les faits divers malgaches et les cataclysmes climatiques ». Vendeur de journaux depuis qu’il a perdu son emploi de peintre en bâtiment, José pense que l’actuel président français sera réélu. Tané par la vie, souffrant de la crise, il représente à lui seul la frange de citadins malgaches qui attendent patiemment un retour à des jours meilleurs. Et des élections qui tardent à s’organiser.

Claire Diao

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