Entre nous, on l’appelle parfois «le village» -petit surnom que l’on n’est pas allé chercher bien loin. A l’entrée de la commune, un panneau affiche fièrement en grosses lettres: « Bienvenue à Romainville, quand une ville est aussi village». Comme dans les 40 villes que comptent le département, les électeurs inscrits ont fait barrage à l’extrême droite.

À Romainville, Emmanuel Macron a obtenu 76,74% des voix. Presque 3 points de plus que dans le reste du département qui a voté pour le Président sortant à 73,72% des voix. Malgré tout, c’est l’abstention qui détrône tout en Seine-Saint-Denis : 38,79%, soit six points de plus qu’en 2017. Record absolu dans toute l’histoire de la Vème République pour un second tour dans le département.

Même si le score de l’extrême droite est inférieur à la moyenne nationale, c’est une blessure car c’est toujours trop

Uniquement séparée de la capitale par la petite commune des Lilas, Romainville abritait en 2018 28 536 habitants selon l’Insee. Le 10 avril dernier, ils avaient placé lors du premier tour des élections présidentielles le candidat insoumis Jean-Luc Mélenchon en tête des suffrages avec 48,37% des voix. L’extrême droite, tout de même, y faisait son bonhomme de chemin en raflant alors 17% des bulletins -candidatures de Marine Le Pen, Eric Zemmour et Nicolas Dupont-Aignan regroupées. Hier, la candidate du Rassemblement National a rassemblé 23,26% des voix.

Sérieusement, tu vois un Arabe voter pour Marine Le Pen ?

« Même si le score de l’extrême droite est inférieur à la moyenne nationale, c’est une blessure car c’est toujours trop », tique le maire de la ville, François Dechy (DVG). Dans cette ville qui a accueilli le « Serment de Romainville » pour s’assurer une candidature de gauche unique à la présidentielle, on n’a pas encore tout à fait repris ses esprits depuis l’annonce des résultats du premier tour. « On ne comprend pas dans le 93 comment Marine Le Pen peut arriver au second tour. Ici, on vit pleinement la différence », jure le maire.

Aux abords d’un bureau de vote, les visages d’Emmanuel Macron et Marine Le Pen ont été recouverts de peinture rouge.

« Sérieusement, tu vois un Arabe voter pour Marine Le Pen ? », hallucinent deux amies de confession musulmane. La première s’appelle Mercedes, la seconde nous défie de la nommer « la Tata de Gagarine » -le plus dense quartier populaire de Romainville.

« Je suis dégoutée », précise une habitante qui s’apprête à voter Emmanuel Macron.

« Je suis dégoutée, je suis dégoutée », répète la seconde. Les deux femmes s’apprêtent à voter « à contre-cœur » pour Emmanuel Macron pour faire barrage à la candidate d’extrême droite. « Si Marine Le Pen gagne, le racisme va augmenter. On le ressent déjà », décrit la Tata de Gagarine. « On est tous le raciste de quelqu’un mais tout réside dans l’ignorance » complète Mercedes.

Catholiques et musulmans louent la bulle romainvilloise

À l’issue de la messe, ce dimanche, le prêtre échange quelques mots à ses fidèles. Il n’a pas donné de consignes de vote.

« Aujourd’hui les médias sont à l’union pour appeler à faire barrage à l’extrême droite mais il faut se rappeler que cela fait des mois que l’on ne nous parle que du voile et des immigrés », fustige le maire de Romainville.

Dans cette ville, où il n’est pas rare de croiser un homme avec des papillotes en sortant de la synagogue, d’entendre parler espagnol dans la rue ou arabe, on loue un certain art de vivre. « Je n’aime pas le communautarisme. Je préfère le genre de mixité que l’on a ici », s’exclame l’amie de Mercedes.

Multiconfessionnelle, la ville de Romainville change peu à peu en prévision de l’arrivée du métro.

L’habitante de la cité Gagarine avoue : « Quand les premières personnes juives se sont installées dans mon immeuble, j’avais des a priori. Mais maintenant on s’entend hyper bien. Eux aussi d’ailleurs ils avaient peur de nous ! C’est limite s’ils ne prenaient pas l’escalier pour ne pas être dans l’ascenseur avec nous », se remémore-t-elle en riant.

Midi : on doit filer à la messe. Et il y a foule. Une centaine de catholiques sortent tranquillement de l’Eglise; Blackson est l’un d’eux. Ce dimanche ill vote mais « il y a une telle fraternité dans cette ville qu’une victoire de Marine Le Pen n’y changera rien », assure l’homme âgé qui vit ici depuis 22 ans. « On a une stabilité morale et spirituelle ici. On est moins sensible à la souffrance. Par exemple, le chômage est stable et on peut compter sur un réseau associatif fort », précise l’homme qui donne son temps au Secours Populaire.

Dans cinq ans, peut-être, que l’extrême droite sera au pouvoir si les politiques continuent de jouer avec le feu.

A la messe dominicale, le prêtre a invité les fidèles à aller voter, sans donner de consigne de vote. « On sait qui va gagner de toute façon », soufflait Paula*, une jeune maman d’origine italienne. « Dans cinq ans, peut-être, que l’extrême droite sera au pouvoir si les politiques continuent de jouer avec le feu », lance-t-elle, amère.

Paula a l’habitude de voter blanc. Et les autres catholiques ? « Dans cette religion, l’idée de base est d’aider son prochain. Après c’est vrai, que le courant catholique français, c’est plutôt de la gauche pour riches », tente-elle de nous résumer à gros traits. « Si Emmanuel Macron était vraiment catholique comme il s’est montré en début de mandat, il s’intéresserait un peu plus aux pauvres dans les cités. On peut crever, il s’en fiche », clashe la jeune femme blanche née dans le 19ème arrondissement de Paris avant de passer sa jeunesse dans la cité de Gagarine.

« C’était super sympa », nous coupe-t-elle, un grand sourire qui se dessine sur ses lèvres, avant même qu’on ait eu le temps de lui poser la question. « Les appartements étaient très grands à l’époque. On avait chacun nos chambres : c’était le grand luxe. Maintenant les gens fuient l’augmentation des loyers », due à l’arrivée prochaine du métro et du tramway.

L’extrême droite gagne du terrain face à une communauté juive où les générations se divisent sur le vote

A Romainville, le panorama ne serait pas complet sans la communauté juive. C’est Ariel, 30 ans, qui s’y colle. « Je me sens Français et juif : c’est la force de la France de permettre cette mixité », lâche le trentenaire.

« Traditionnellement, j’ai l’impression que la communauté vote à droite », précise le jeune homme, qui hésitait encore sur son vote du second tour, à l’image du reste de ses connaissances. « La communauté est un peu perdue », admet Ariel.

Les instances religieuses juives -le Consistoire central suivi du grand Rabbin de France- ont beau eu appelé à faire barrage à l’extrême droite, le message ne passe pas auprès de tous. Faute à l’état du débat démocratique et aux leaders religieux qui « se posent comme gardiens de la pensée sans argumenter », selon Ariel.

La jeune génération juive vous répondrait qu’elle n’est pas la fille de son père. Je peux les comprendre

« Certains vont suivre bêtement; ceux qui ne comprennent pas se sentent frustrés. Moi je suis pour l’échange d’idées afin que chacun se fasse son propre avis. On ne peut pas simplement demander aux gens de faire barrage sans explication car à force de crier au loup, les gens n’y croient plus », avance-t-il. A l’occasion du débat d’entre deux tour, certaines personnes avaient déploré que le terme « extrême droite » n’ait même pas été prononcé par Emmanuel Macron pour attaquer son adversaire.

« Dans la génération de mon père, en 2002, c’était impensable de voter pour Jean-Marie Le Pen car il était lié au nazisme », évoque ce « juif religieux pratiquant », béret beige vissé sur la tête. Chez les jeunes juifs, le récit des aînés se heurte désormais à « l’arrogance à toute épreuve » d’Emmanuel Macron, mise en scène pendant ses cinq années à la tête du pays.

De plus, « Marine Le Pen a tout fait pour mettre en avant le côté dédiabolisation du parti. La jeune génération juive vous répondrait qu’elle n’est pas la fille de son père. Je peux les comprendre ».

Méline Escrihuela 

*Prénom d’emprunt

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