Des militants résignés, le regard déjà rivé sur l’élection d’après. Hier soir, à la Belleviloise dans le 20ème arrondissement de Paris, les soutiens de Yannick Jadot avaient la mine des mauvais jours. Ce lieu, apprécié des Verts pour avoir été le théâtre de succès électoraux passés, rassemblait principalement des jeunes venus partager leur angoisse des résultats.

En ce début de soirée, les sympathisants écologistes n’entretenaient que peu d’espoir sur l’issue du scrutin présidentiel. Ils espéraient au moins décrocher le lot de consolation : faire mieux que les 5,25% de Noël Mamère en 2002 et ainsi réaliser le meilleur score du parti à la présidentielle. À mesure qu’on approchait de vingt heures, la possible accession de Mélenchon au second tour allumait dans la salle une lueur d’espoir. Une lueur vite éteinte par l’unique écran de télévision de la salle au moment où les visages des deux qualifiés, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, sont apparus.

Les militants écolos sont arrivés timidement à la Belleviloise et ont fini par occuper tout l’espace qui leur était reservé.

Coup de massue pour les militants quand le portrait de leur candidat, Yannick Jadot, apparaît en sixième position avec seulement 4,4% des suffrages. Même pas suffisant pour atteindre le seuil de remboursement des frais de campagne, fixé à 5%.

Les enjeux climatiques éclipsés de la campagne

Lisa et ses amies étaient venues dans l’attente d’une bonne nouvelle. C’est raté pour ce soir. « Je suis dépitée », confie-t-elle. À peine le temps de lui poser une autre question, elle embraye : « Je me rends surtout compte que dans les médias, les thèmes importants n’ont pas été évoqués, comme les rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Finalement, on a mis sur la table des thèmes d’extrême droite et ça nous a clairement empêchés de faire campagne. Nous, on a cherché à faire de la politique et pas de la polémique, c’est ce qui nous a coûté cher ».

À ne pas vouloir jouer le jeu du buzz et du bruit médiatique, Jadot n’en est-il pas devenu invisible ? Difficile d’exister pour le candidat écologiste dans une campagne dominée d’abord par la pandémie de Covid-19 et l’irruption de Zemmour puis par la guerre en Ukraine. Une campagne qui a largement relégué le climat au second plan. Ces dernières semaines, malgré une progression, le climat n’a ainsi représenté qu’entre 1,5 % et 5,5 % du temps médiatique, selon le baromètre des quatre ONG de « L’affaire du siècle ».

C’est affligeant de voir que le débat s’est focalisé sur les déclarations racistes de certains candidats pendant que le GIEC alertait pour nous prévenir qu’il reste seulement trois ans pour sauver la planète.

Et pourtant, le réchauffement de la planète inquiète. Selon un sondage publié par Le Monde, l’environnement est la troisième préoccupation des Français, derrière le pouvoir d’achat et la guerre en Ukraine, et devant l’immigration. Lisa ne décolère pas : « On n’abandonne pas pour l’avenir mais c’est affligeant de voir que le débat s’est focalisé sur les déclarations racistes de certains candidats pendant que le GIEC alertait pour nous prévenir qu’il reste seulement trois ans pour sauver la planète ».

Autre tournant de la campagne : la guerre en Ukraine. Sur la question de la souveraineté énergétique et la dépendance au pétrole russe, Jadot avait quelques cartes à jouer. L’occasion idéale de plaider pour l’accélération de la transition énergétique et la décarbonation de notre économie. Au lieu de cela, quand il n’était pas occupé à dénoncer les ambiguïtés de Mélenchon sur Poutine, le candidat écologiste passait son temps à se justifier sur sa volonté de sortir du nucléaire.

Le temps des leçons

Il n’y a pas que sur les enjeux climatiques que le parti écologiste est passé à côté. Europe Ecologie Les Verts a une nouvelle fois souffert de son image de « parti bourgeois de gauche » et n’est pas parvenu à mobiliser l’électorat populaire. Coiffée de son béret, Lisa en tire les leçons : « On doit se remettre en question si on n’a pas réussi à convaincre la gauche de se rassembler derrière notre projet. On doit faire plus d’efforts pour montrer que l’avenir que l’on souhaite sera profitable à tout le monde, que lutter contre le réchauffement climatique, c’est aussi militer contre la pauvreté ». 

Même son de cloche pour Julien, militant à Génération.s, le parti fondé par Benoît Hamon, qui a soutenu la candidature de Yannick Jadot : « Il nous faut changer de programme et de méthode pour aller chercher les classes populaires ». Le jeune homme, qui a voté pour la première fois hier, a déjà les élections législatives en tête. Avec sa camarade Naëlle, ils se disent très motivés pour cette prochaine échéance. Comme eux, nombre de militants écolos croisés ce soir-là appellent de leurs vœux une alliance des partis de gauche aux législatives autour du bloc écologiste.

Mais avec ce faible score, les cadres d’EELV sont-ils en mesure de négocier une recomposition de la gauche autour de leur parti ? Au regard du score des Insoumis (22%), difficile de le croire. C’était l’autre enjeu de ce scrutin pour les Verts : le duel entre Yannick Jadot et Jean-Luc Mélenchon. Celui qui en sortait vainqueur se voyait promettre le leadership à gauche. Avec 18 points d’avance, la France Insoumise est confortée dans son rôle de première force politique à gauche.

L’écologie sera donc absente du second tour. Mais elle ne peut pas l’être du quinquennat.

Les appels au vote utile à gauche en faveur de Jean-Luc Mélenchon se sont multipliés ces dernières semaines. Au point de siphonner les voix du candidat écologiste. Et la prochaine échéance pour les Verts arrive vite : les législatives le 12 juin prochain. Les écolos n’ont pas de groupe à l’Assemblée Nationale et comptaient sur de bons résultats pour revendiquer la tête de l’opposition de gauche au Palais Bourbon. Une ambition malmenée donc par les 4,4% récoltés hier.

S’exprimant devant les journalistes et les militants de son parti, Yannick Jadot a lui aussi fixé le prochain cap, direction le scrutin de juin prochain : « L’écologie sera donc absente du second tour. Mais elle ne peut pas l’être du quinquennat. C’est pourquoi il faudra bien, et vite, très vite, lors des élections législatives, regarder et enfin voir la situation en face et agir. Nous aurons des députés ».

Yannick Jadot a pris la parole vers 20h30, chaudement applaudi par les militants écologistes.

Un appel unanime à faire barrage à l’extrême droite

Avant de se projeter sur les législatives, reste un tour d’élection présidentielle pour lequel militants et cadres du parti ont appelé d’une seule voix à voter Emmanuel Macron. Jadot le premier. Prenant « une fois de plus » ses responsabilités, « sans hésitation, sans ambiguïté », le candidat écologiste a demandé à ses soutiens de « faire barrage à l’extrême droite ». Avant de mettre en garde le président sortant : « Notre vote ne vaut pas caution pour sa responsabilité dans la fracturation du pays à force d’inaction écologique, de déni social, de conformisme et de mépris démocratique. Il vaut encore moins soutien au projet qu’il a esquissé pendant la campagne ».

Les militants ont ensuite pris le relais : « On ne peut pas jouer avec l’extrême droite, en tant que gay je suis bien placé pour le dire », met en garde Julien. Lisa rappelle le danger d’une présidence Le Pen : « C’est quelqu’un qui veut enlever des droits sociaux à des personnes, juste parce qu’elles n’ont pas la nationalité française. Ce sont surtout les personnes blanches qui ont le luxe de penser que Macron et Le Pen, c’est la même chose ».

En attendant, le futur d’EELV se jouera, après les urnes, sur le site internet du parti, où Yannick Jadot à appeler ses soutiens à faire un don. Europe Ecologie-Les Verts a un besoin urgent de financement, estimé par le secrétaire général Julien Bayou, à deux millions d’euros.

Yunnes Abzouz

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