Nous sommes piégés, avouons-le. Nous le savions, reconnaissons-le. Tourner autour du pot est inutile. Les warnings sont allumés depuis un moment, en vain. Chacun ressent l’angoisse à l’épreuve de l’heure de vérité de cette élection. Les cracheurs de feux ont paradé librement autour des bottes de foin. Ils ont bafoué les valeurs républicaines et disqualifié les défenseurs de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Indépendamment du résultat de dimanche soir, leur victoire est incontestable.

La course à l’échalote identitaire a ruiné le débat en caressant les instincts haineux avec régularité depuis plus de vingt ans.

Les élections ne sont plus déterminées par des choix politiques liés au progrès, à la fabrique d’un destin commun et du bien public. L’offre est la suivante : supprimer, trier, réprimer. La promesse : l’ordre et la sécurité. La course à l’échalote identitaire a ruiné le débat en caressant les instincts haineux avec régularité depuis plus de vingt ans.

Le poison a fait son œuvre au PS et chez LR. Il ne leur reste plus que des slogans et quelques larmes pour demander des dons aux Français. Ces deux partis de gouvernement sont désormais des zombies à la recherche de leur passé révolu. La politique des narratifs de traders a fini par ramasser la mise en dépolitisant la politique. Les slides des boîtes de conseil tiennent lieu de corpus idéologique.

Des voix s’élèvent pour haranguer la foule parce que le moment est grave et qu’il faut parer à la catastrophe annoncée, même en empruntant un chemin sans garantie.

La place publique physique s’est effacée au profit de la place médiatique. L’impact du message ressassé est plus important que son sens. L’émotion écrase la raison. Le mensonge n’a pas d’odeur, l’invective circule plus vite que l’argument, les idées d’extrême-droite ont pignon sur rue, bénéficient de financements publics et de rendez-vous permanents à la télévision. Des candidats, plusieurs fois condamnés par la justice ou mis en examen pour détournement de fonds, paradent en toute impunité et sollicitent le suffrage des Français. Comment dans ces conditions espérer un débat sérieux sur des enjeux d’avenir à la hauteur d’une élection présidentielle ?

Des voix s’élèvent pour haranguer la foule parce que le moment est grave et qu’il faut parer à la catastrophe annoncée, même en empruntant un chemin sans garantie. Il faut éliminer, nous dit-on, par le bulletin de vote dimanche et poursuivre le combat politique le lendemain. Soit. À chacun de prendre ses responsabilités et d’obéir à sa conscience dans l’isoloir.

Le danger du fascisme ne mobilise plus, la gauche anesthésiée a jeté l’éponge et son courage depuis des lustres.

Depuis le début des années 2000, le pouvoir d’achat; la réduction des déficits sociaux; la lutte contre le chômage; ainsi que la protection de l’environnement sont en tête des préoccupations des français. Des études sérieuses et indépendantes sont à portée de clic pour qui souhaite s’informer avec honnêteté sur ces questions. À contrario, l’agenda setting impose un débat public appauvri et infantilisant, une personnalisation politique à outrance, la désignation de l’islam comme ennemi intérieur, l’invention de mots valises pour disqualifier la recherche universitaire et les contre pouvoirs, une culture du clash permanent sur des thématiques identitaires et une extrême-droite banalisée; au détriment des questions européennes, sociales, économiques et écologiques.

Après chaque élection, la sidération refait surface, mais n’a que très peu d’effets sur les 40% d’électeurs séduits par les idées d’extrême-droite, dont ils pensent ne jamais subir
les conséquences.

La surreprésentation de la petite-bourgeoisie dans la classe politique et médiatique est un frein à la prise de conscience des ravages du déclassement, de l’humiliation sociale et du racisme. Ces deux catégories, tétanisées par les sondages et l’audimat, sont devenues des presse-boutons, pour alimenter les angoisses collectives, terreau fertile du nationalisme xénophobe. Après chaque élection, la sidération refait surface, mais n’a que très peu d’effets sur les 40% d’électeurs séduits par les idées d’extrême-droite, dont ils pensent ne jamais subir les conséquences parce que le programme d’oppression sera appliqué uniquement contre les noirs et les arabes. Le danger du fascisme ne mobilise plus, la gauche anesthésiée a jeté l’éponge et son courage depuis des lustres, la justice est impuissante et la constitution, dernier rempart, semble être la prochaine proie de la bête immonde.

Dans les deux cas, la facture sera salée pour les pauvres, les immigrés, les ceux qui ne sont rien. Fort heureusement, les luttes continueront.

Dimanche soir, soit la constitution vole en éclat et le pire est à craindre, soit ce sera à nouveau « jusqu’ici tout va bien », avec le fascisme dans la salle, les mêmes acteurs sur scène et un spectacle politique où tout sera permis à nouveau pendant cinq ans. Dans les deux cas, la facture sera salée pour les pauvres, les immigrés, les ceux qui ne sont rien.

Fort heureusement, les luttes continueront. Toujours et encore avec l’énergie du désespoir parce que les gens les plus exposés veulent le changement, ils se battront pour l’avenir de leurs enfants, et ne lâcheront rien. Ils ont conscience des défis. Ils descendront dans les rues pour protester, pour conquérir des droits, pour construire une société juste et fraternelle. Ils n’ont pas d’autres choix. Jusqu’à ce qu’un projet politique alternatif, incarné par une nouvelle génération courageuse et ambitieuse voit le jour pour éclaircir l’horizon. C’est le sens de l’histoire, comme par le passé.

Nordine Nabili

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