« J’avoue que j’y connais pas grand chose. Je ne m’y intéresse pas trop parce que j’ai l’impression d’être tenue à l’écart, que ça ne me concerne pas alors qu’en fait, c’est nous, les citoyens, que ça concerne directement », témoigne Camille, étudiante de 22 ans en licence de langue étrangère appliquée à l’université de Lyon 3. C’est la première fois qu’elle va voter, et se pose déjà la question du vote utile, face à nombre de candidats déclarés qui pourraient ne pas avoir accès au premier tour.

On m’a beaucoup servi le discours du vote utile. Et j’ai trouvé cela oppressant.

Depuis quelques semaines, le mot «parrainage» fait l’actualité. Et pour cause, les nombreux candidats à la présidentielle n’ont plus que quelques jours pour réunir les 500 parrainages nécessaires pour valider leur candidature auprès du conseil constitutionnel.

Ce vendredi 4 mars marquera la fin de cette folle course aux signatures et pour l’heure, seuls Valérie Pécresse, Emmanuel Macron, Anne Hildago, Fabien Roussel, Yannick Jadot, Jean Lassalle, Nathalie Arthaud et Jean-Luc Mélanchon ont réussi à s’assurer une place pour le 10 avril 2022.

Guillaume Meurice avec deux parrainages au compteur

Si l’information peut faire sourire, elle est pourtant porteuse d’un véritable message. Mouvement lancé par le jeune maire de Jobourg, Simon Cervantès, il a par la suite été suivi par Ophélie Brun, maire de Villard-Notre-Dame.

« Au départ, je voulais soutenir Mme. Arthaud car à l’époque, c’était les seuls à être venus me voir et je me disais qu’ils allaient peut-être avoir un peu plus de mal à récolter leurs signatures. Je pensais que c’était mon devoir d’aider un plus petit parti et de participer au jeu démocratique. Mais par la suite, on m’a beaucoup servi le discours du vote utile. Et j’ai trouvé cela oppressant », affirme l’élu de La Hague qui a décidé de glisser le nom de l’humoriste Guillaume Meurice dans son enveloppe destinée au conseil constitutionnel.

EDF est en train de racheter 15 hectares sur Jobourg pour installer deux piscines d’entreposage de déchets nucléaires. Et mon parrainage, c’était pour mettre en avant cette problématique.

« A force de voter utile, on se retrouve avec une ligne politique lissée qui n’est pas représentative de la diversité de la population. Je voulais aussi démontrer qu’un acte individuel peut changer les choses », explique Simon Cervantès. L’occasion de rappeler qu’un élu peut parrainer qui il souhaite.

Au-delà de la blague se cache une véritable volonté d’interpeller et de mettre en lumière un problème qui touche directement Jobourg. « EDF est en train de racheter 15 hectares sur Jobourg pour installer deux piscines d’entreposage de déchets nucléaires. Ce qui nous fera, à terme, 13 milles tonnes de déchets radioactifs pour un village de 500 habitants. Et mon parrainage, c’était pour mettre en avant cette problématique. S’ils sont élus, est-ce qu’ils soutiendront la construction de ces piscines ? Moi, je ne parraine pas quelqu’un qui nous oublie. » 

Dans de nombreux conseils municipaux, on ne fait pas de politique. Et parrainer un candidat, c’est faire de la politique. 

Des élus qui s’abstiennent pour éviter une tension locale

Le BB a contacté la plus petite mairie de France, Saint-Germain-de-Pasquier, dans l’espoir de pouvoir échanger avec Laurence Laffille, maire de cette commune. « Madame la Maire n’est pas disponible et certainement pas pour parler des parrainages. Elle ne parraine personne. Et par ailleurs, personne n’est venue nous solliciter à ce sujet. » Une réaction quelque peu tendue qui illustre la gêne que peuvent ressentir certains élus à prendre position ou à parler de ces fameuses signatures.

Ceux qui parrainent sont vraiment des élus engagés, des élus militants ou des élus qui n’ont pas peur de s’afficher politiquement. Tous les autres n’ont vraiment pas envie de
tout mélanger

« C’est une décision qui reste de l’ordre du personnel car beaucoup de maires ont été élus sans étiquette et sont toujours très gênés de montrer une couleur politique qui peut ne pas être conforme avec l’esprit de son conseil municipal ou même avec la tonalité politique de sa commune », explique Alain Chrétien, maire de Vesoul. Lui, n’a pas eu ce problème. Soutien du Président de la République, il n’a eu aucune difficulté à faire parvenir son parrainage au conseil constitutionnel.

« Ceux qui parrainent sont vraiment des élus engagés, des élus militants ou des élus qui n’ont pas peur de s’afficher politiquement. Tous les autres n’ont vraiment pas envie de tout mélanger. Dans de nombreux conseils municipaux, on ne fait pas de politique. Et parrainer un candidat, c’est faire de la politique », poursuit-il pour expliquer la forte abstention des élus.

J’aimerais comprendre pourquoi on donne ce pouvoir à des gens qui n’ont pas envie de le faire. Du coup ils ne parrainent personne et c’est toujours les mêmes qui ont leurs 500 signatures.

Interrogé à ce sujet, Samir, 27 ans ingénieur informatique à Maisons-Alfort, remet en cause le fonctionnement même de ce système. À la dernière élection présidentielle, il dit avoir voté blanc, et avoue ne pas encore savoir pour qui voter en avril prochain. « J’aimerais comprendre pourquoi on donne ce pouvoir à des gens qui n’ont pas envie de le faire. Du coup ils ne parrainent personne et c’est toujours les mêmes qui ont leurs 500 signatures. De base, ça devait permettre d’empêcher des petits rigolos de se présenter. Mais là, on parle de personnes avec de vraies idées, de vrais programmes. C’est pas assez démocratique à mon goût. » 

Du jamais vu sous la Vème république

Comme tous les cinq ans, la quête aux parrainages soulève de nombreux débats. Selon Alain Chrétien, maire de Vesoul, la véritable question actuelle réside dans le caractère inédit de cette nouvelle campagne : « La nouveauté c’est que deux candidats d’extrême droite se présentent donc cela divise par deux le vivier et le nombre de maires sensibles à cette tendance qui lui, n’a pas doublé. Nous n’avons jamais vu cela sous la Vème République. » 

J’estime que quand on fait plus de 10% dans les sondages, on a le droit de se présenter.

Une nouveauté qui a pu renforcer le sentiment de difficulté dans cette course aux signatures et qui a ouvert la voie à la discussion du parrainage démocratique qui se diffère du parrainage en guise de soutien politique. C’est ce qu’a fait David Lisnard, maire Les Républicains de Cannes, qui a accordé son parrainage à Jean-Luc Mélenchon alors qu’il ne le soutient pas. Beaucoup ont fait comme lui, estimant qu’un candidat avec un fort taux dans les sondages devrait être en mesure de se présenter.

Jean-Pierre Chouzy, maire de Belgeard, a quant à lui décidé de parrainer Eric Zemmour pour cette même raison. « C’est un acte démocratique, même si je ne partage pas forcément ses idées. J’ai toujours parrainé des nouveaux candidats. Et j’estime que quand on fait plus de 10% dans les sondages, on a le droit de se présenter. » 

Le débat actuel, c’est d’instaurer une espèce d’échelle des valeurs entre les candidats qu’il faut sauver et ceux qui ne méritent aucun intérêt et c’est cela qui est un peu gênant.

Un argument qui ne semble pas mettre tous les élus d’accord. « Moi, je ne partage pas tout à fait cette vision des choses. Je ne serai jamais allée soutenir un candidat dont les aspirations politiques vont à l’encontre des miennes », affirme Nadine Wantz, maire de Rioz.

« Le débat actuel, c’est d’instaurer une espèce d’échelle des valeurs entre les candidats qu’il faut sauver et ceux qui ne méritent aucun intérêt et c’est cela qui est un peu gênant avec ce discours. Pourquoi le candidat d’un grand parti qui n’obtient pas ses parrainages serait plus méritant que la candidate du parti animaliste, par exemple ? » conclut Alain Chrétien.

Anasse Kazib toujours dans la course

Depuis ces dernières semaines, les choses se sont accélérées pour les candidats qui n’ont pas leurs 500 parrainages. Marine Le Pen a même mis en pause sa campagne afin de pouvoir se focaliser sur l’obtention de toutes ses signatures. Mais la pression s’est surtout faite ressentir chez les plus petits partis.

En octobre dernier, le BB avait déjà suivi des militants de Révolution Permanente qui étaient à la recherche de promesses de parrainages. Aujourd’hui, Théo, militant bordelais, nous raconte l’organisation quasi-scientifique mise en place lors de cette dernière ligne droite.

On cible les petites communes car on sait qu’on aura plus de chance de trouver les maires et de discuter avec eux.

« Pour nous, c’était important d’aller directement à la rencontre des élus. C’est un processus qu’on a mis en place depuis juillet. Moi j’ai fait toute la Nouvelle Aquitaine en long en large et en travers. On cible les petites communes car on sait qu’on aura plus de chance de trouver les maires et de discuter avec eux. C’est un travail assez laborieux car, oui tu passes 8 heures dans une voiture et comme on a pas les finances des grands partis c’est nous qui finançons tout ça. Mais c’est quelque chose dont nous sommes fiers car c’est grâce à ça qu’aujourd’hui on valide 130 parrainages au conseil constitutionnel », explique Théo.

Questionné sur sa relation avec les élus, il raconte : « Malgré ce qu’on peut lire, avec eux, ça se passe très bien. A titre d’exemple, là on est logé chez un maire pendant 3 jours alors qu’il n’a même pas parrainé Anasse Kazib. Mais il voit notre investissement et il voulait nous donner un coup de main. »  

On avait à peu près 250 promesses de parrainages et on s’est rendus compte que derrière, il y avait des pressions qui étaient énormes sur les élus et beaucoup ont préféré s’abstenir.

A quelques jours de la fin de cette période de parrainage, le jeune militant décrit les difficultés que lui et d’autres de ses camarades ont pu rencontrer dernièrement : « Récemment, on a vu se mettre en place toutes les barrières anti démocratiques. On avait à peu près 250 promesses de parrainages et on s’est rendus compte que derrière, il y avait des pressions qui étaient énormes sur les élus et beaucoup ont préféré s’abstenir. » 

« Les médias jouent également un rôle important pour les parrainages. On est juste passé 5 minutes à la télévision, même pas au sujet du programme, mais au sujet des parrainages justement. Il y a même des maires qui nous ont dit ‘mais moi je pensais que vous vous retiriez car je voyais votre candidat nulle part, donc j’ai pas envoyé mon parrainage’». 

Une réflexion pour l’après de l’élection

En 2012, Lionel Jospin avait proposé de réformer le système des 500 parrainages pour le remplacer par un parrainage citoyen. Une idée qui revient sur la table tous les cinq ans et qui a notamment été reprise par des candidats tels que Philippe Poutou ou Jean-Luc Mélenchon.

« Je ne comprends pas ce système de parrainage. Je pense que c’est complètement dépassé aujourd’hui. Tout le monde a le droit de se présenter à une élection législative, municipale, cantonale, sénatoriale… Et là pour les présidentielles, il faut des parrainages. Alors peut-être qu’il faut trouver un autre système, parce que le parrainage n’est finalement pas représentatif du vote de la population puisque c’est un parrainage personnel d’élu », explique Nadine Wantz, maire de Rioz.

Selon un sondage de l’IFOP, publié le 24 février dernier, 66% des Français interrogés sont favorable à « à une refonte du système de parrainage ». Une position significative chez les partisans de candidats les plus menacés. Ainsi, 73% des proches du Rassemblement national souhaitent une réforme du système de parrainage, 81% chez La France Insoumise. Peut-être que cela inspirera une piste de réflexion au futur Président ou à la future Présidente de la République dont nous connaîtrons l’identité en avril prochain.

Camelia El Cadi

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