Stanley n’a pas voté le 10 avril, et n’ira pas non plus voter au second tour de l’élection présidentielle. Le jeune homme de 27 ans, résidant à Bobigny, l’assume. Pourtant, la politique, le jeune papa qui vient de terminer ses études, s’y intéresse. Bien qu’il soit « déçu » par la gauche depuis le quinquennat de François Hollande, présenté comme beaucoup comme le fossoyeur de la gauche.

Malgré un intérêt pour la candidature de Jean Luc Mélenchon, peu d’espoir dans l’élection et le vote

Lorsqu’on lui demande les raisons de son abstention volontaire dimanche prochain, les sujets fusent et c’est un bilan sombre du président sortant qu’il résume en une phrase : « Les riches sont encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres ». Depuis la crise du Covid-19, entre 5 et 7 millions de personnes, 10% de la population du pays, ont du se rendre à l’aide alimentaire pour se nourrir, d’après le Secours catholique.

Il déplore particulièrement la gestion de la crise du Covid qui a touché sa mère, femme de ménage à l’hôpital. « Elle n’a jamais loupé un jour. Macron avait promis une prime de 1000 euros, et pourtant elle n’a pas eu un centime de plus », se souvient-il.

À Bobigny, comme dans la plupart des villes de Seine-Saint-Denis, Jean-Luc Mélenchon a largement dépassé les autres candidats, malgré une forte abstention.

Sur la dalle de Bobigny, le calme règne en cette fin de journée ensoleillée tandis que quelques jeunes garçons se préparent à jouer un match de foot. Dans les halls des bâtiments, le nom de Jean-Luc Mélenchon est dans toutes les bouches. Farid*, 19 ans, qui vit avec sa mère, se désintéresse de la politique « mais Mélenchon j’en ai entendu parler sur les réseaux. Tout le monde appelait à voter pour lui pour ne pas que Marine Le Pen passe », dit-il timidement.

Je ne vais jamais voter. Que Macron ou Le Pen passe, ça ne changera rien à ma vie. Dans tous les cas, je vais devoir me lever le matin et aller travailler !

Dans cette ville de la Seine-Saint-Denis (où l’on compte 23 366 électeurs), comme dans 37 villes sur 40 du département, le candidat de gauche de l’Union Populaire, Jean-Luc Mélenchon, est arrivé en tête avec plus de 60% des voix, bien loin devant Emmanuel Macron qui y obtient 17% des suffrages.

Macron- Le Pen : le duel annoncé depuis des mois et redouté par tous, surtout dans les quartiers populaires.

Malgré son abstention, Stanley s’engage. Le jeune homme a monté une association avec d’autres jeunes du quartier. Il ne croit plus que les politiciens puissent changer nos vies : «C’est nous les associations qui pouvons le faire. Ici les gens se battent contre les logements vétustes, les rats, les cafards. Ce n’est pas des problèmes au programme des politiciens.»

Julien Talpin, chercheur en science politique au CNRS, confirme que c’est l’un des facteurs pour expliquer l’abstention : « L’argument ‘ça ne sert à rien’ c’est l’idée que la politique n’a plus de prise sur la vie quotidienne et les problèmes des habitants des quartiers. C’est un sentiment de résignation qui est nourri par des décennies de promesses non-tenues. »

Se mobiliser contre l’extreme droite à l’échelle de son quartier

La résignation se retrouve aussi à Colombes, en banlieue nord-ouest de Paris où pavillons, nouveaux immeubles, et cités construites dans les années 1930 se côtoient. A l’image de la cité où vit Malek depuis son arrivée en France, après l’Algérie : « Dans mon quartier, les pauvres ont été virés pour être remplacés par une population plus aisée. Plus personne ne se mobilise. »

À Colombes, dans le Nord-Ouest de Paris, Malek tente de convaincre les électeurs de faire barrage à l’extrême droite.

Une ville divisée, à l’image des scores serrés du premier tour où Jean Luc Mélenchon est arrivé en tête avec 36% des voix, suivi de près par Emmanuel Macron avec 31%, et un taux d’abstention de 23%. La voisine de Malek, Leïla*, une jeune mère de deux enfants, qui vit avec sa mère dans l’appartement qui l’a vu grandir, est une abstentionniste convaincue  : « Je ne vais jamais voter. Que Macron ou Le Pen passe, ça ne changera rien à ma vie. Dans tous les cas, je vais devoir me lever le matin et aller travailler ! ». 

Nous les immigrés on fait tourner la France. Tu crois qu’elle va nous renvoyer ? C’est impossible

Après un quinquennat de Macron particulièrement violent pour les classes populaires, notamment mises à mal par la crise du Covid-19, Malek et d’autres jeunes de banlieues populaires se sont inquiétés du retour de bâton, avec le vote « contestataire pro Marine Le pen ». Ils ont imprimé des milliers de tracts pour se mobiliser contre Le Pen qui n’a jamais été aussi proche du pouvoir.

Malgré sa conviction de faire barrage à l’extrême droite, Malek n’arrive pas à inciter explicitement au vote Macron : « ça me fait trop mal. On en est là à cause de lui. »

Malek et d’autres dans les quartiers font tout pour éviter que Marine Le Pen se retrouve au pouvoir. Elle serait capable d’expulser plus d’un million de locataires étrangers de leur logement social.

Quant à Leila*, tout juste réveillée lorsque Malek frappe à sa porte pour lui donner un tract, elle ne croit pas au programme de Marine Le Pen : « Nous les immigrés on fait tourner la France. Tu crois qu’elle va nous renvoyer ? C’est impossible » et termine en partageant ses doutes : « Quand j’ai vu que ma cousine qui porte le voile va voter pour la première fois je me suis dis peut-être que c’est important. Ma mère le porte aussi… ». Le quinquennat Macron est aussi celui du vote de la loi contre le dit séparatisme islamiste (qui facilite les fermetures de lieux de cultes et associations musulmanes notamment), qui accentue un climat de stigmatisation encore jamais atteint.

Un « vote musulman » de protection ?

Dans un sondage publié par le quotidien La Croix, 70% des électeurs interrogés de confession musulmane ont donné leur voix au candidat de la France Insoumise au premier tour. Un vote que Julien Talpin analyse : « C’est une question importante parce que les musulmans ont l’impression d’être à leur insu au cœur du débat public en permanence. Il a été l’un des seuls candidats à prendre position sur le sujet. »

J’espère que Marine Le Pen passera. Je veux que ça pète et que les gens se réveillent !

A Châtelet, au cœur la capitale, nous retrouvons Mariam, 20 ans, Ream, 21 ans, et Taymour, 30 ans, trois jeunes musulman·e·s. Taymour, fondateur du collectif des étudiants musulmans, caractérise la politique de Macron d’« islamophobie d’Etat » et ajoute que « ce n’est pas pour faire diversion et éviter de parler d’autres sujets. Quand c’est tous les jours, c’est un système. » Pour lui, l’abstention est un acte politique.

Sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie, beaucoup de militants s’activent pour dissuader les électeurs de confession musulmane d’un vote pour Marine Le Pen.

Ream, 21 ans, étudiante en informatique, voilée, lunette de soleil en forme de cœur sur le nez, refuse de porter la responsabilité du choix du candidat du second tour. Elle a voté Mélenchon pour faire barrage au premier tour : « J’espère qu’elle passera. Je veux que ça pète et que les gens se réveillent ! », lance-t-elle, sous le regard de Mariam et Taymour qui ne partagent pas son avis.

« Si Marine Le Pen passe, je ne serai plus tranquille. Je me sentirai vraiment en danger. Les personnes qui veulent nous agresser vont se dire qu’ils ont l’Etat de leur côté », s’inquiète Mariam, jeune femme en école de comédie et serveuse, qui porte le voile depuis un an. Bien qu’elle désigne Macron comme son « cauchemar », les menaces d’interdiction du voile dans l’espace public et la peur de l’arrivée du fascisme la pousse à déposer un bulletin pour Macron : « abstention  ou vote blanc, ça revient à voter pour Le Pen. Je ne veux pas être responsable de ce qui peut arriver à ma communauté. »

Anissa Rami

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