Sécurité, immigration choisie, interdiction du port du voile, lutte contre l’islamisme, grand remplacement… Les vieilles rengaines de la droite traditionnelle jusqu’à l’extrême droite rythment la campagne de la candidate des Républicains, pourtant siphonnée par le parti des Marcheurs depuis plusieurs mois. Mais que propose la Présidente de la région Île-de-France aux habitants des quartiers populaires ?

Du « Kärcher » sarkozyste au « grand remplacement » de Zemmour

Les semaines de campagne passent et la candidate multiplie les sorties médiatiques aux relents nationalistes et identitaires, quitte à forcer son jeu de chiraquienne assumée. En janvier dernier, celle qui se présente comme « une femme d’ordre » reprenait à son compte l’outrancière formule du Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur en 2005 : « Je vais ressortir le Kärcher de la cave, ça fait 10 ans qu’il y est et il est temps de l’utiliser. Je veux nettoyer les quartiers ». Mais quelles propositions concrètes se cachent derrière ses postures provocantes ?

Au-delà de travailler son image d’héritière de la présidence Sarkozy (qui s’est fait remarquer par son silence assourdissant concernant un éventuel soutien), Pécresse présente un programme offensif concernant la sécurité dans les quartiers populaires. Parmi ses propositions les plus chocs : la création de « brigades coups de poing » avec l’armement de la police municipale dans les villes de plus de 5000 habitants, l’intervention de l’armée dans les quartiers dits « difficiles », le retour des peines plancher et l’incarcération de certains délinquants dans des bâtiments publics désaffectés. Faire régner l’ordre en apparence, quitte à ne pas s’embarasser des questions de sécurité et d’insertion pour un public fragile pour qui l’incarcération ne représente pas une solution, d’après les nombreuses études réalisées à ce sujet. Une dernière mesure qui s’accompagne d’un plan de 20 000 places de prison supplémentaires.


Même si dans son camp, peu reprennent l’expression, Valérie Pécresse assume le « Karcher » de Sarkozy. 

Meeting après meeting, Mme Pécresse monte le curseur. À Cavaillon dans le Vaucluse, le 6 janvier dernier, elle affirmait vouloir « bousculer la bien-pensance, avant de poursuivre, je ne veux plus de zones de non-droit en France […] Comment être Française quand on ne peut plus porter une jupe sans se faire insulter ? ». Et de finir par marcher franchement sur les plates-bandes de l’extrême droite : « Oui, il y a un lien entre immigration et délinquance ».

C’est bien autour de ces thèmes de sécurité et d’immigration que la Présidente de la région Île-de-France construit sa campagne. Sur la question de l’immigration, la candidate prévoit d’abord la suppression du droit du sol et l’obtention automatique de la nationalité pour les enfants étrangers nés sur le territoire : « Un enfant né en France de parents étrangers pourra demander la nationalité à 18 ans mais cela doit être un choix délibéré d’intégrer la communauté nationale. Ça ne doit plus être automatique », a-t-elle expliqué lors du débat de la droite organisé sur BFMTV en novembre dernier. Ajoutant se fier à la devise de la Légion étrangère : « français par le sang versé et pas par le sang donné ».

Chasser l’extrême-droite quitte à se perdre

Sur cette thématique, Valérie Pécresse souhaite aussi instaurer des « quotas », votés chaque année par le Parlement selon les pays et les métiers afin « d’accueillir qui l’on choisit d’accueillir ». Plus concrètement, elle compte mettre la pression sur les pays qui refusent de récupérer leurs ressortissants résidant clandestinement en France. Lors de son débat contre Eric Zemmour sur le plateau de TF1 le 10 mars dernier, elle expliquait : « pour les pays qui refusent de récupérer leurs clandestins on bloquera tous les visas. Les visas de rassemblement familial, les visas de travail, les visas d’études. »

Le 13 février dernier, lors de son meeting à Paris, Valérie Pécresse franchit un cap en parlant de « grand remplacement ». Cette appropriation de la théorie phare de la campagne d’Eric Zemmour n’a rien d’anodine puisque même Marine Le Pen s’est refusée jusqu’à présent à l’utiliser, la candidate du Rassemblement National y trouvant des relents complotistes. Après le tollé provoqué par l’utilisation de la théorie, la candidate des Républicains a du orchestré un rétropédalage en règle, pour réaffirmer qu’elle a utilisé ces mots pour mieux s’en détacher.

Sur le fond, Valérie Pécresse empile les prises de positions visant directement la communauté musulmane. Elle a répondu à la polémique actuelle autour des « hijabeuses » en affirmant son opposition ferme au port du hijab sur les terrains de sports, lors du dépot de l’amendement des Républicains sur la loi Sport en février 2022 (finalement, avorté). Une manière selon elle de lutter contre le « séparatisme », tout comme l’interdiction de financement public des lieux de culte.

Un positionnement très à droite qui lui vaut les défections de certains cadres de son propre parti. Courant février, l’ancien ministre des gouvernements Fillon, Eric Woerth, quittait Les Républicains pour rejoindre la campagne de La République En Marche. Le député de l’Oise estimait notamment Valérie Pécresse « obnubilée par l’Islamisme radical ».

Une politique sécuritaire tributaire de l’adhésion des forces de l’ordre

Le 2 février dernier était organisée par le syndicat de police Alliance, une « audition » de certains candidats à l’élection présidentielle. Valérie Pécresse, Eric Zemmour, Marine Le Pen mais aussi le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin ont répondu à cette invitation – plutôt surprenante – à s’expliquer devant une organisation professionnelle de plus en plus politisée.

Derrière le pupitre, la Présidente de la Région n’y est pas allée par quatre chemins : « J’ai dit que je serai à vos côtés. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que jamais je ne dirai qu’il y a des violences policières dans la société. Parce qu’utiliser le terme de violences policières, c’est admettre qu’il y a une violence systémique de la Police. Et ça, c’est faux. »


Alors qu’elle est à la tête d’une région où les violences policières sont nombreuses, la candidate s’est refusée à l’amélioration des relations entre police et population. C’est l’autorité ou rien. 

Ainsi, rejetant en bloc l’idée de problèmes systémiques dans l’organisation policière et reconnaissant à demi-mots l’existence de quelques incidents « liés à des individus isolés », Valérie Pécresse propose une grande loi pour soutenir les forces de l’ordre avec 5 milliards d’investissement matériel et informatique. Un renforcement de moyens financiers, humains et juridiques : « La nation doit protéger ceux qui la protègent, protéger leur anonymat pour qu’ils ne soient pas jetés en pâture. […] Quand on attaquera un policier, ce sera un an de prison ferme, dès la première fois, dès la première gifle. »

Pendant ce temps Macron copie colle

L’ancienne ministre tente de mobiliser son électorat autour des questions identitaires et sécuritaires avec des discours dont l’alignement avec les candidats d’extrême droite semble n’avoir jamais été aussi marqué. Pourtant, dans le même temps, celle qui a gagné la primaire républicaine en décembre dernier dispute également l’électorat du centre-droit au Président Macron.

On trouve ainsi dans son programme des propositions telles que l’allongement de l’âge légal de départ à la retraite à 65 ans, la relance de la filière nucléaire avec le projet de construction de 6 nouveaux EPR, l’instauration d’une taxe carbone européenne, la suppression des frais de succession pour 95 % des Français.

Ces mesures, elle accuse même le Président de les avoir copiées sur son programme. Le 16 mars dans la matinale de France Inter elle avançait : « Aujourd’hui, Emmanuel Macron reprend déjà nombre de mes propositions sur les retraites, le nucléaire, le RSA… Je le dis aux Français : ne votez pas pour une pâle copie qui vous promet le contraire de ce qu’il a fait pendant 5 ans. Qui peut lui faire confiance ? ».

Restructurer les parcs HLM et bâtir une France des propriétaires

Fin janvier, sur son compte Twitter, l’ancienne ministre du budget détaillait son plan logement. Concrètement, elle promet de « lutter sans relâche contre le mal-logement » en traquant et en punissant de façon exemplaire les marchands de sommeil. Elle souhaite améliorer leur fichage, rendre automatique la confiscation de leurs biens immobiliers et renforcer les sanctions pénales à leur égard. Une démarche répressive donc, mais sans proposer pour l’heure de solutions de relogement structurel aux résidents de ces appartements qui vivent dans la plus grande précarité.

En donnant le pouvoir aux maires, la candidate risque d’éloigner encore un peu plus les populations les pauvres.

Elle souhaite ensuite « casser les ghettos et refaire confiance aux maires ». Son objectif est de favoriser la mixité réelle en instaurant un principe simple : pas plus de 30 % de logements très sociaux par commune. Et pour ce faire, Mme Pécresse compte forcer les bailleurs ne respectant pas ce « plafond anti-ghettos » à vendre chaque année 1 % de leur parc tout en faisant confiance aux maires en leur laissant 60 % des attributions de logements sociaux (contre 20 à 25 % aujourd’hui). En donnant le pouvoir aux maires, la candidate risque d’éloigner encore un peu plus les populations les pauvres, et avec elles l’idée de mixité sociale.


Les propositions logement de Pécresse qui éloigne la précarité plus qu’elles ne l’attaquent. 

Une mesure qui vise à préférer l’accès à ces logements à « ceux qui le méritent, les travailleurs de première ligne (policiers, pompiers, soignants…) ». Aujourd’hui, l’accession au logement social est un véritable parcours du combattant, avec un délai moyen allant de 3 à 6 ans dans les départements d’Île-de-France (selon les chiffres du gouvernement). Avec la mise en application des mesures de Mme Pécresse, les plus précaires seront en plus soumis au bon vouloir des maires, qui pourront arbitrairement favoriser certaines demandes, notamment en fonction de la classe socio-professionnel du demandeur.

Une absence totale de propositions face à la disparition des services publics dans ces territoires fragilisés, à l’enclavement des populations. 

La candidate projette aussi d’engager des plans de rénovations énergétiques et des parcs ascenseurs. En contrepartie, les bailleurs ou les maires devront expulser les locataires condamnés pour trafic ou violences et qui « troublent la vie des résidents » et mettre un place un bail de 6 ans renouvelable, une sorte de CDD du logement social, qui pourrait faciliter la mobilité des personnes au sein du parc de logement social mais aussi les expulsions.

Comme le souligne à juste titre notre confrère Ilyes Ramdani, de Mediapart, le programme de la candidate se fait remarquer par une absence totale de propositions face à la disparition des services publics dans ces territoires fragilisés, à l’enclavement des populations, ou encore à l’amélioration de leur relation avec la police.

Une vitrine régionale en trompe l’œil

Élue Présidente de la Région Ile-De-France en 2015 puis réélue en 2021, Valérie Pécresse mise sur son mandat pour servir de vitrine à sa candidature. Comme elle le répète si souvent « ce que j’ai fait pour la région, je veux le faire pour le pays ». Mais derrière cette vitrine se cachent beaucoup de promesses pas toujours tenues et des résultats mitigés. Depuis presque un an, ses opposants fustigent son abandon total de ses fonctions en Île-de-France pour les besoins de sa campagne.

A l’heure de faire son bilan, Pécresse met en avant sa réussite dans la gestion du budget de la région, avec des économies faites notamment grâce à la suppression d’un certain nombre de postes de fonctionnaires. Un mode opératoire qu’elle souhaite étendre au pays en diminuant de 150 000 le nombre d’agents de l’Etat.

Les quartiers riches deviennent plus riches, les quartiers pauvres s’enfoncent, la mixité sociale recule. Tel est peut-être le point le plus critique du bilan de l’action publique en Ile-de-France

Dans le domaine de l’éducation aussi, le bilan laisse à désirer. Sa politique privilégiant les lycées privés laisse bon nombre d’établissements publics dans un cruel manque de moyens. Et pas plus de réussite du côté de la réduction des écarts de richesses dans la région la plus inégale de France socialement.

Dans les colonnes du Monde le 9 janvier dernier, on pouvait lire « les quartiers riches deviennent plus riches, les quartiers pauvres s’enfoncent, la mixité sociale recule. Tel est peut-être le point le plus critique du bilan de l’action publique en Ile-de-France, même s’il ne relève pas uniquement de la responsabilité de Valérie Pécresse. » Une situation à nuancer pour ses soutiens, puisque ces inégalités se creusent depuis des décennies et que la crise sanitaire et les décisions gouvernementales ont contribué à l’accélération du phénomène.

La candidate Les Républicains semble s’enliser dans une campagne à bout de souffle. Lâchée par certains cadres de son parti, elle a choisi d’adopter une ligne « de rupture ». Lâchée par certains cadres de son parti, elle tente pourtant de se présenter comme la candidate du rassemblement, capable de séduire à la fois l’extrême – à coups de politiques sécuritaires et identitaires – et les électeurs du centre droit en promettant des réformes ultra-libérales. Un programme qui laisse peu d’espoir d’améliorations pour les classes populaires, qui n’ont finalement jamais été son cœur de cible.

Nevil Gagnepain

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