Lorsqu’il a été élu à la tête de l’État en 2017, Emmanuel Macron avait prévu un programme ambitieux : lutter contre la surpopulation carcérale. Le taux d’occupation est particulièrement préoccupant dans les maisons d’arrêts où l’on estime 120% d’occupation avec deux à trois personnes, parfois plus, obligées de dormir dans la même cellule individuelle, avec des matelas à même le sol. Au 1er janvier 2021,  les établissements pénitentiaires comptaient  62 673  prisonniers pour 60 583 places.

Ce problème, qui sévit depuis tant d’années, se concentre surtout dans les maisons d’arrêts, qui accueillent les personnes en attente de jugement ainsi que celles condamnées à de courtes peines de prison. Des conditions de détention inhumaines qui ont des conséquences sur l’hygiène, l’intimité et la santé physique et mentale des détenus.

Des conditions de détentions qui se détériorent avec le temps

La France a toujours été montrée du doigt dans son traitement des prisonniers. La Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a condamné en ce sens de nombreuses fois le pays des Lumières. La plus récente condamnation, sous le mandat d’Emmanuel Macron, date du 30 janvier 2020 et se base sur la requête de pas moins de 32 plaignants. La CEDH avait alors rappelé au Président l’urgence de la situation des prisons françaises, l’absence de voie de recours efficace pour les détenus, et son non-respect de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme -ce dernier indiquant que « nul ne peut être soumis à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ». 

« Inhumains » et « dégradants » : des termes qui font écho dans la tête d’un ancien détenu de la maison d’arrêt d’Evreux. «C’est tellement vétuste que la cellule prend l’humidité de partout. On est obligé de garder la fenêtre ouverte tout le temps. Et puis, c’est sans compter les punaises de lits et les mites. Je connais des gens qui ont même eu des cafards dans leur cellule. Alors déjà que c’est sale, quand on est deux ou trois dans des cellules de 10 m², c’est encore plus difficile », narre-t-il.

Il n’y a même pas d’eau chaude en cellule, pas de réfrigérateur pour conserver de la viande ou des yaourts. Si tu as de la chance, il y a des portes battantes devant tes toilettes, sinon c’est système D.

Ce n’est pas la première fois que cet établissement mis en service depuis 1912 est critiqué pour sa vétusté. L’ancien détenu nous a confié qu’il avait eu beaucoup de mal à s’adapter à son arrivée à Evreux en janvier 2021 : « J’avais l’impression d’être pris pour un animal. Il n’y a même pas d’eau chaude en cellule, pas de réfrigérateur pour conserver de la viande ou des yaourts. Si tu as de la chance, il y a des portes battantes devant tes toilettes, sinon c’est système D. En plus, comme on est plusieurs, il n’y a pas d’intimité. Certains fabriquent des rideaux avec leurs draps, mais bon au début j’étais vraiment bloqué. Je ne suis pas allé aux toilettes pendant une semaine entière ».

Selon le ministère de la Justice, actuellement la maison d’arrêt d’Evreux ne dispose que de 162 places pour 235 détenus. Une réalité qui illustre malheureusement le quotidien de la majorité des détenus en France, entassés à plusieurs dans les cellules.

Après son élection, Emmanuel Macron tente d’endiguer un fléau historique

Malgré tout, des solutions ont été mises en place pour améliorer leur quotidien, notamment depuis la condamnation de la CEDH de 2020… Ou pas. « On a le droit de faire des courriers pour demander de réparer un tuyau ou repeindre les murs de nos cellules lorsqu’ils sont trop délabrés. Mais 95% de ces courriers sont sans réponse. C’est un cul de sac. Un jour j’ai essayé d’en parler à un maton mais il m’a dit que si je voulais changer de cellule, j’irais au mitard [quartier disciplinaire, NDLR] », ajoute l’ancien détenu.

Les difficultés rencontrées par cet ancien détenu ont été amplifiées par le contexte de crise sanitaire mondiale. Il nous raconte comment avec seulement trois douches par semaine et un manque de place évident, la maison d’arrêt d’Evreux lutte contre le COVID-19 : « Les mises en quarantaine n’étaient pas respectées. Mais en tant que détenu, le plus dur n’était pas les risques liés à la pandémie mais l’enfermement 22 heures sur 24 en cellule. On ne pouvait plus accéder à la bibliothèque ni aux cours de sport qui ont été arrêtés très rapidement ».

Une cellule pour un prisonnier : un principe sans cesse repoussé (même avec Emmanuel Macron)

Les témoignages similaires à celui de cet ancien détenu de la maison d’arrêt d’Evreux sont légions. Pourtant, le principe de l’encellulement individuel est connu et reconnu. Il est inscrit dans le Code pénal depuis 1875 dans l’idée de réduire les cas de récidive jugés trop fréquents dans les prisons collectives. Aujourd’hui, l’encellulement individuel est promu pour le respect à  la dignité humaine et à des conditions de détention acceptables. Comme l’indique l’ancien ministre de la justice Jean-Jacques Urvuoas dans son rapport de 2016 sur l’encellulement individuel : « seule la privation de liberté constitue une peine ».

Mais l’encellulement individuel est depuis 1875 sans cesse reporté par les députés. La loi pénitentiaire, dans laquelle est inscrit ce principe, a même introduit une dérogation puisque la surpopulation carcérale rend son application impossible. Aujourd’hui le nouveau délai de respect de l’encellulement individuel est fixé au 31 décembre 2022.

Un délai qu’Emmanuel Macron pensait suffisant pour faire baisser le taux d’occupation des prisons en dessous de la barre des 100%. Un plan qui était imaginé en deux-en-un : d’une part avec l’augmentation du nombre de places de prison et d’autre part avec la diminution du nombre de détenus en développant des peines alternatives à la prison.


Emmanuel Macron en visite à Fresnes en 2018. 

Le programme d’Emmanuel Macron prévoyait ainsi la construction de 15 000 places supplémentaires sur le quinquennat et la rénovation des bâtiments pénitentiaires indécents. « L’objectif est in fine que 80% des détenus au moins soient en cellule individuelle », inscrit alors la tête de liste d’En Marche dans son programme.

Il souhaitait également la création d’une agence des mesures alternatives à l’incarcération pour encourager le développement des travaux d’intérêts général comme modalité alternative d’exécution de la peine, ainsi que l’augmentation des moyens alloués aux Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP). Emmanuel Macron avait aussi prévu d’augmenter les moyens dont dispose la justice pour accomplir ses missions.

Une politique sur le long terme, et une (mauvaise) surprise

Promis en début de mandat, l’objectif des 15 000 places de prison supplémentaires sur le quinquennat a été revu à la baisse. Dans les faits, seulement 2 000 cellules ont bel et bien été livrées et le plan immobilier gouvernemental a finalement été scindé en deux phases.

7 000 nouvelles places de prison au total devraient être construites pour 2022, puis 8 000 autres à l’horizon 2027. A Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis), un centre pénitentiaire de 715 places devrait ainsi voir le jour en 2026. Ces nouvelles places permettront-elles aux détenus d’effectuer leur peine dans des conditions dignes ? Les chiffres sont ténus, mais laissent présager que plus on construit, plus on incarcère.

Avec 69.812 détenus au 1er novembre 2021 et une densité carcérale de 115%, Macron sur les pas d’Hollande.

Sous le quinquennat de François Hollande, on comptait au 1er novembre 2016, 68 560 détenus -soit un taux d’occupation des infrastructures carcérales de 117 %. Cinq ans plus tard, son successeur marche sur ses pas avec 69.812 détenus au 1er novembre 2021 et une densité carcérale de 115%.

Pas tout à fait le ‘monde d’avant’ la pandémie où les établissements pénitentiaires français avaient pu accueillir jusqu’à 72 000 personnes, mais déjà loin du ‘monde d’après’ rêvé par les tenants de l’abolitionnisme pénal. Après un temps d’accalmie dû à la pandémie de Covid-19 et aux restrictions sanitaires qui avait vu le nombre de détenus baisser à 58 000 personnes en juin 2020, les incarcérations sont donc reparties à un rythme soutenu -voire effréné.

Des remises de peines au cas par cas qui surcharge un personnel débordé et les maisons d’arrêts

Loin des effets d’annonces mais en procédure accélérée, les sénateurs et députés ont adopté la loi pour la « confiance dans l’institution judiciaire » proposée par le Ministre de la Justice, et dont l’article 9 supprime l’un des mécanismes qui permettait aux détenus d’obtenir une libération anticipée. Le Conseil Constitutionnel en a validé la constitutionnalité le 17 décembre dernier.

Les CRP ne sont pas des cadeaux offerts aux détenus. Il est même courant qu’ils sont retirés en cas de mauvaise conduite. Ce n’est pas juste

Les Crédits de Réductions de Peine (CRP) permettaient aux prisonniers de réduire leur sanction à mesure du temps qu’ils passaient derrière les barreaux : une année en détention leur permettait d’acquérir en moyenne deux mois de CRP. Il s’agissait là du principal mécanisme de réduction de peine ; le second, les Réductions de Peine Supplémentaires (RPS) étant conditionné au suivie d’une formation ou d’un travail en détention, et le troisième, la Réduction de Peine Exceptionnelle étant -comme son nom l’indique- destiné aux détenus aux comportements héroïques.

Les CRP étaient également un outil de gestion de la détention

« Avec les CRP, nous pouvions calculer a minima la date de sortie de nos clients. Cela avait l’avantage de donner de la visibilité au détenu, qui pouvait envisager sa sortie et entamer ses démarches de réinsertion », prévient Laure de Dainville, avocate en droit pénal et membre de l’association d’avocats A3D qui œuvre pour la défense des détenus. « Les crédits étaient comme une enveloppe au-dessus de leurs têtes. Ils savaient qu’ils y avaient droit en cas de bonne conduite. Les CRP étaient également un outil de gestion de la détention », explique sa consœur, Garance Le Meur-Abalain.

Au printemps dernier, l’association A3D alertée, s’insurge et signe conjointement avec une vingtaine d’organisations une lettre ouverte dénonçant « un dispositif qui aura nécessairement pour conséquence l’augmentation du nombre de personnes détenues ».

« Alors qu’il est est avocat, le Garde des Sceaux joue sur l’absence de connaissance du grand public. Les CRP ne sont pas des cadeaux offerts aux détenus. Il est même courant qu’ils sont retirés en cas de mauvaise conduite. Ce n’est pas juste », dénonce aujourd’hui l’association. « Comment voulez-vous faire comprendre ce mécanisme de crédit au grand public en un tweet ? En plus, on parle de détenus… », contextualise Garance Le Meur-Abalain.

La réalité aujourd’hui, c’est que si vous êtes incarcéré au Nord de la France ou au Sud, vous n’avez pas accès aux mêmes choses ou aux mêmes délais pour voir un médecin.

Aujourd’hui, au sein des prisons françaises, 67,8% des prisonniers effectuent leur peine en maison d’arrêt -c’est-à-dire qu’ils ont été condamnés à des courtes peines n’excédant pas deux ans. Suite au vote de la loi « pour la confiance en l’institution judiciaire », ils pourront toujours bénéficier des Réductions de Peine Supplémentaires après examen de leur dossier par une commission d’application des peines, chargée de juger du sérieux de leurs démarches de réinsertion.

Formation, travail ou suivi psychologique : les détenus sont appelés à faire plus d’effort. Seulement, « la réalité aujourd’hui, c’est que si vous êtes incarcéré au Nord de la France ou au Sud, vous n’avez pas accès aux mêmes choses ou aux mêmes délais pour voir un médecin. Il est vain de prôner un idéal d’égalité quand, dans la pratique, nous sommes incapables de le mettre en place », fustige Garance Le Meur-Abalain.

Qui plus est, la réforme du calcul des remises de peine aura inévitablement pour incidence une augmentation de la charge de travail qui incombe à la commission d’application des peines, alors même que le secteur se mobilise dans la rue sur la thématique du manque de moyen. « Avec cette loi, on prend le risque, pour des détenus condamnés à des petites peines, que leur dossier ne soit jamais étudié par manque de temps. Même s’ils ont fait preuve de bonne conduite ou répondent aux critères d’attribution », analyse l’avocate.

A l’occasion des 40 ans de l’abolition de la peine de mort en France, le collectif d’ancien détenus L’Envolée avait eu cette phrase : « le temps est venu se soustraire au couperet de la guillotine ». Emmanuel Macron : maître des horloges en prison ? Les prisonniers répondraient sûrement oui.

 Emma Garboud-Lorenzoni et Méline Escrihuela

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