On la tient enfin, l’interview de Rachida Dati. Jeudi dernier, en fin d’après-midi, six membres du Bondy Blog se sont rendus au ministère de la justice. De grands candélabres enveloppés dans du plastique transparent, façon papier de fête, illuminent la Place Vendôme et la rue de la Paix qui y conduit. Pas le temps d’admirer la déco de Noël, les questions trottent dans nos têtes. A l’accueil du ministère, les formalités avec les gendarmes vont vite. Passée la cour, nous montons un large escalier de bal d’Empire et pénétrons dans le bureau blanc et or de la garde des Sceaux. Rachida Dati porte une robe noir de princesse, elle est attendue plus tard à un meeting dans le VIIe arrondissement de Paris, où elle se présente aux municipales. Salutations d’usage et début de l’entretien.

Dans quel état d’esprit êtes-vous sept mois après votre nomination au poste de ministre de la justice ?

J’ai considéré, quand le président de la République m’a nommée garde des Sceaux, que non seulement c’était un immense honneur qu’il me faisait mais aussi une immense responsabilité qu’il me confiait. Un honneur, parce que c’était aussi de sa part une volonté forte de démontrer que ce gouvernement est peut-être plus à l’image de la société que les précédents. Une responsabilité ensuite, parce que, sur les dossiers que je porte et les réformes que j’engage, j’ai une obligation de résultats, d’autant plus grande que ma nomination revêt une dimension symbolique. Il s’agit de ne surtout pas décevoir.

Rachida Dati, on la voit partout dans les médias. Comment vivez-vous cette hyper-exposition médiatique ?

Depuis ma nomination comme garde des Sceaux, mon exposition médiatique n’est pas si grande, du moins de mon fait. Les médias me suivent beaucoup sur le terrain. Les interventions que j’ai pues faire ont été des interviews écrites essentiellement sur mes fonctions. Lorsque j’ai été interrogée sur des radios ou à la télévision, ce fut aussi sur mon travail de ministre. L’aspect plus personnel, je ne l’ai absolument pas voulu ni suscité.

Elle vous plaît, cette nouvelle vie de ministre ?

Pendant la campagne, je ne pouvais pas imaginer être garde des Sceaux. Je ne disais pas, alors, « je serai ça après avoir été porte-parole ». J’avais à cœur à cette époque que la parole de Nicolas Sarkozy soit bien portée dans le cadre de son programme. Maintenant, chaque jour me démontre la nécessité de travailler, de ne pas improviser, de connaître mes dossiers, car c’est là que les gens vous attendent.

Lorsque nous vous avions rencontré à Meaux en avril dernier, vous nous disiez déjà la difficulté d’être une femme en politique, de surcroît d’origine immigrée. Aujourd’hui, alors que vous occupez un ministère régalien, cette difficulté a-t-elle empiré ?

Ce que je voulais dire, à Meaux, c’est l’importance de ne pas être réduite, dans le regard des autres, à une origine ou à une condition, mais d’être pleinement reconnue pour son travail. Je n’aurais pas pu exercer ma fonction de ministre si je n’avais pas accumulé l’expérience du terrain en travaillant cinq ans auprès de Nicolas Sarkozy.

Depuis le début de cet entretien, vous avez souvent évoqué le président de la République. On a le sentiment qu’il est omniprésent à la fois dans votre discours et dans vos actes. Les « coups » que vous prenez depuis votre entrée en fonction ne visent-ils pas, à travers votre personne, Nicolas Sarkozy ?

Je vous laisse faire l’interprétation que vous souhaitez. Ensuite, que je fasse référence au président de la République, cela me paraît normal, il a été élu au suffrage universel. Si je suis là, c’est par la volonté des Français qui ont élu Nicolas Sarkozy. Pour le reste je vous laisse juge.

Y a-t-il des « mauvais coups » qui viennent de votre propre camp ?

Quand il y a des mauvais coups, j’ose espérer que ce n’est pas par intention malveillante.

Et toutes les suspicions sur votre curriculum vitae, et tout ce qui a été dit sur les ennuis judiciaires de vos frères, qu’est-ce que cela vous fait ?

Le fait d’avoir évoqué un faux diplôme dans mon curriculum vitae est absolument choquant, parce qu’il n’y a aucun faux diplôme dans mon parcours. C’est vouloir entacher un parcours républicain. S’agissant de mes frères, nous ne sommes pas dans une société de responsabilité collective. Je n’ai pas à m’épancher là-dessus. Ce que je subis par rapport à ces questions, je crois qu’on ne l’aurait fait subir à aucun de mes prédécesseurs.

Pourquoi vous ?

Je ne souhaite pas l’interpréter. Quand des insinuations ont été portées, je n’ai jamais dévié d’un millimètre de mes responsabilités. Certains auraient tellement voulu que je me justifie. Je n’ai pas à me justifier et encore moins à faire étalage de ma vie personnelle.

Vos origines populaire et immigrée expliquent peut-être ce traitement un peu spécial.

On peut toujours chercher à analyser le pourquoi de ces choses, mais c’est perdre beaucoup d’énergie.

Vous avez entrepris une réforme de la carte judiciaire, avec une rationalisation contestée des juridictions locales. Ce n’est probablement pas un hasard si le département de la Seine-Saint-Denis, l’un des plus touché par des faits de violences et de délinquance, n’est pas affecté par cette réforme.

La carte judiciaire, ce sont les lieux où l’on rend la justice. Cette carte qui date du XIXe siècle a été modifiée en 1958 par Michel Debré, par voie d’ordonnance, sans concertation, car sa transformation était déjà difficile à l’époque. La carte n’avait pas été revue depuis. Tous mes prédécesseurs ont essayé de la réformer, sans y parvenir, tant les résistances sont grandes. Je n’ai qu’un objectif : améliorer la justice dans l’intérêt du justiciable. Mettre tout le monde d’accord n’est pas facile. Dans la Seine-Saint-Denis, nous renforçons les moyens du tribunal de grande instance de Bobigny, là où j’ai commencé en tant que magistrate, pour mieux appréhender les problèmes judiciaires.

L’image de la justice auprès des jeunes en banlieue n’est pas toute rose. Un sentiment prévaut d’une justice douce avec les « gros bonnets » de la finance et de la politique et sévère avec les « petits ». Que répondez-vous ?

La justice à deux vitesses, elle peut être dans la décision tardivement rendue ou dans le fait de ne pas avoir accès au juge. Sinon, on peut être aussi dans la caricature. La sanction suivant un fait de délinquance doit être exécutée. Une sanction non exécutée est une forme d’impunité. Sanction ne veut pas dire automatiquement incarcération. Ensuite, vous sous-entendez que les politiques soupçonnés de délits financiers ne sont pas poursuivis. Non. Il y a des pôles spécialisés pour traiter ces dossiers un peu plus complexes.

Il y a une affaire qui a traîné particulièrement en longueur, c’est celle qui vient de rattraper le prédécesseur de Nicolas Sarkozy à l’Elysée, Jacques Chirac, mis en examen pour détournement de fonds publics. Quelle est votre réaction ?

Par principe je ne fais pas de commentaires sur les affaires en cours. Vous savez que la Constitution prévoit, pour le chef de l’Etat, que les éventuelles poursuites sont suspendues pendant son mandat. Six mois après la fin de celui-ci, il est possible de reprendre une action qui a été suspendue. Jacques Chirac entre dans ce cas de figure. Mais une mise en examen ne veut pas dire culpabilité. Il est présumé innocent.

Fadela Amara prépare un plan pour les banlieues. Votre ministère y est-il associé d’une manière ou d’une autre ?

Je souhaite ouvrir davantage les écoles de la justice. Si on prend l’école de la magistrature, on s’aperçoit que, globalement, ceux qui la fréquentent sont très majoritairement des enfants de classes dites privilégiées. La part des fils et filles d’ouvriers ou d’agriculteurs se situe en dessous de 5 %. Une classe préparant le concours d’entrée à l’école de la magistrature ouvrira le 1er janvier 2008. Elle accueillera une quinzaine de bac+4, bac+5 issus de milieux modestes. Je ferai la même chose pour toutes les autres écoles de la justice : celle des greffes, celle de la pénitentiaire, sans que cela remette en cause l’égalité républicaine. Il y a simplement des jeunes capables et brillants qui n’ont pas les moyens de payer une classe préparatoire. C’est à eux que ce dispositif s’adresse.

Travaillez-vous avec Mme Amara sur ces dossiers ?

Nous regardons ensemble les mesures en faveur de l’insertion des jeunes, par exemple. Pour ceux qui sont tombés dans la délinquance parce qu’ils n’ont pas eu la formation ou la scolarité nécessaires.

Il y a eu des émeutes en banlieue il y a deux ans. Avez-vous des craintes que cela se répète ou êtes-vous plutôt optimiste ?

Mon jugement ne peut être qu’optimiste. Le président de la République a pris un engagement en faveur des quartiers les plus difficiles, sur l’accès à l’emploi et la formation. C’est un engagement : il réalisera les réformes qu’il porte aujourd’hui. Par ailleurs, j’ai créé dans tous les parquets de France un pôle anti-discrimination. J’ai demandé à ce qu’il y ait dans chacun d’eux un magistrat référent en charge de cette lutte et un délégué du procureur par réseau associatif. Pour moi, la discrimination n’est pas un comportement, c’est une infraction.

Comment prouver la discrimination ?

Le magistrat sera chargé de collecter les éléments probants, avec le concours du délégué du procureur, qui pourra inciter les personnes s’estimant discriminées à déposer plainte. Les testings réalisés par les associations sont de bons moyens de déceler et de prouver le cas échéant des actes de discriminations.

Vous allez peut-être être élue maire du VIIe arrondissement de Paris, sans doute le plus bourgeois de la capitale. Cela représente-t-il le summum de l’ascension sociale ?

Je ne le perçois pas en termes d’ascension ou de summum. Je trouve qu’affronter le suffrage universel est une très bonne chose. J’aime être au contact du terrain.

Une élection peut-elle renforcer votre légitimité, contestée jusque dans votre parti, l’UMP ?

Cet engagement, c’est ma façon de rendre hommage à ma famille politique

Comment vous sentez-vous dans la « famille » UMP ?

Très bien, je n’ai pas de divergences avec l’UMP, sinon je n’aurais pas accepté d’être là.

Le contact avec Nicolas Sarkozy a beaucoup fait pour cela.

J’ai souhaité travailler pour Nicolas Sarkozy parce que je me retrouvais dans les valeurs qu’il défendait, dans sa manière, notamment, d’appréhender les problèmes de sécurité. Il est vraiment en phase avec la France telle qu’elle est aujourd’hui. Je n’imaginais pas, lorsque je suis entrée à son service du temps où il était ministre de l’Intérieur, que je ferais le parcours que je suis en train de faire. J’ai adhéré à l’UMP parce que c’était le parti qu’il présidait.

Si lui n’avait pas présidé l’UMP, peut-être n’auriez-vous pas adhéré à ce parti.

Comme je l’ai dit dans mon livre, être avec Nicolas Sarkozy ce n’est pas seulement un engagement à droite, c’est le choix d’un homme et d’un engagement pour la France.

On a le sentiment que votre destin est scellé à celui de cet homme.

C’est la vie en général. On rencontre quelqu’un qui vous convainc de vous battre pour une idée. C’est une rencontre qui détermine le reste.

Propos recueillis par Mohamed Hamidi

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