On pourrait parler du Front national à Bondy comme mes amis parlent de mes conquêtes féminines : nombreuses mais on ne les voit jamais. Toujours en deuxième position aux élections locales mais totalement invisibles dans la ville. Pas de permanence, pas de militants sur les marchés : Ce sont les ninjas de la municipalité. Trois longues semaines d’investigation ont été nécessaires pour rencontrer un élu FN. La section locale avait snobé le Bondy Blog dans sa période suisse malgré les tentatives de Sonia Arnal. Cette fois, on a bien voulu nous donner une interview.

Le Front National est représenté dans notre ville par Christian Sence. Ancien ingénieur commercial, Bondynois depuis 1945, il est entré au conseil municipal en 1989. Ses premiers mots sont pour nos pères fondateurs, les Suisses : « J’espère que vous n’avez pas trop de questions méchantes. Vous me direz j’ai l’habitude, les journalistes suisses avaient écrit :  » le Front National à Bondy est représenté par un touriste – simplement parce que je partais le lendemain – et par deux grabataires parce que les deux autres étaient malades. Ce n’est quand même pas très sympa. »

M. Sence a encore cette fois-ci un avion à prendre juste après l’interview. Dans ce fief socialiste il dit se battre contre « des moulins à vent ». Ses relations avec la majorité municipale sont inexistantes. « Depuis que je suis arrivé au conseil, je ne sais même pas s’il y en a un qui m’a serré la main. Pourtant je n’ai jamais tué personne. » Les élus FN s’opposent aux décisions du maire : « Il s’occupe trop du futur. Les écoles pour nos petits enfants, c’est bien gentil ! Mais nous c’est le bien-être des Bondynois d’aujourd’hui qui nous intéresse .»

Des routes rénovées et des commerces le dimanche, c’est ce que réclame cet élu. Un programme soft par rapport à celui du Front National. Lorsque le parti a réussi à prendre le pouvoir, les mesures prises ont été radicales : aides parentales filtrées selon l’origine ethnique, subventions coupées aux associations travaillant avec des immigrés, prime de naissance pour les « enfants de souche. » Car ce n’est pas avec du bitume et des superettes ouvertes le week-end que Jean-Marie Le Pen est arrivé au second tour en 2002.

Je lui demande donc comment il compte appliquer les grandes propositions du FN à Bondy. La réponse fuse telle le vent : « Je ne suis pas raciste, je tiens à vous le dire tout de suite. Mon meilleur copain c’est un gars de Blida (ndlr : en Algérie) que j’ai rencontré quand j’ai fait mon service militaire il y a quarante ans. Il m’écrit tous les ans. » Il est bien pratique le copain de Blida, tous ceux avec un peu de merguez dans le sang en ont entendu parler. Il y a aussi le copain de Tel Aviv très utile quand on raconte des blagues sur les Juifs, ou le copain d’Abidjan quand on essaye de convaincre sa petite sœur de ne pas sortir avec un Noir.

La préférence nationale s’invite dans la conversation. Christian Sence en dit : « Vous êtes né en France, à Bondy. Vous êtes autant Français que moi sinon plus. La préférence nationale ça veut dire… que tous ceux qui débarquent, les pauvres malheureux, on ne va pas encore… (Il se reprend) Ce n’est pas facile de les assimiler… ». Assimilation, Jean Marie le Pen préfèrent ce mot à celui d’intégration. L’assimilation vise à effacer toute différence, à rendre tout semblable. L’intégration permet de préserver un peu son exotisme. Mais pour Christian Sence, cette rhétorique ne signifie rien : « Le Pen n’est pas comme vous croyez. Je le connais personnellement, il est gentil, sympa. Il est obligé d’avoir un tel discours pour se faire entendre, de dire des choses un peu excessives pour se différencier de ceux du centre, comme, ah j’ai oublié son nom, (on lui souffle), comme Bayrou ». Mais quand même, selon notre élu, « rentrer dans le moule c’est bien. C’est bien d’avoir chacun sa religion, mais vous êtes dans un pays pas mal, autant faire comme les autres, accepter les coutumes, les modes de vie ». Il aimerait un islam « un peu moins agressif » parce que « les vieilles personnes ont peur des jeunes même s’ils ne sont pas méchants. C’est ce qu’elles nous disent. »

L’entretien se poursuit sur les émeutes et la réponse de Christian Sence est plutôt étonnante: « Ca se comprend. Ces jeunes qui n’ont pas trop de travail, ça les a agacés pour le moins, deux gars qui se font tuer comme ca. » Il ne souhaite pas s’exprimer sur la politique nationale du FN ni sur son programme. Christian Sence en dit néanmoins : « Il y a mille pages c’est beaucoup. Mais le FN d’aujourd’hui est moins agressif qu’il y a trente ans. Il est comme son patron, il a vieilli. Il s’est adouci. » Une stratégie de séduction pour arriver au deuxième tour des présidentielles qui fonctionne, visiblement : 50 % d’adhérents en plus à Bondy depuis 2004.

Idir Hocini

Idir Hocini

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